Architecture : faites confiance aux enfants !

Publié le mar 17/07/2018 - 17:12

Par François Delotte

Faire la ville avec et à partir des enfants, c'est mieux inclure ces citoyens en formation dans la vie de la cité. C'est aussi concevoir un environnement urbain plus accueillant, respectueux des piétons comme des personnes âgées et/ou en situation de handicap. À Marseille, suivant ce principe développé par le psycho-pédagogue italien Francesco Tonucci, le collectif les ArchiMinots réalise des créations architecturales avec des enfants. L'association aimerait contribuer à aménager le quartier Consolat avec l'apport des plus jeunes… 

Sur les tables, des mains concentrées s'affairent. Morceaux de bois, ficelles, tronçons de bambou… Le matériel est en place. Des structures s'assemblent, donnant progressivement forme à des bâtiments miniatures. « C'est une douche. Un panneau solaire fixé sur le toit permettra de faire chauffer l'eau », imagine Valère, du haut de ses treize ans, en contemplant sa réalisation. « Nous travaillons sur des maquettes que nous allons présenter à un centre de loisir d'Aubagne. Il nous a proposé d'aménager un terrain de camping éphémère qui accueillera des colonies de vacances au mois de juillet », précise Vittorio Leone, architecte marseillais de 38 ans, à la barbe poivre et sel. Une première commande pour les ArchiMinots !

Cet atelier d'architecture pas comme les autres propose à des enfants du quartier de Consolat (1er arrondissement), non loin de la gare Saint-Charles, de se familiariser avec l'art de construire des bâtiments et d'aménager l'espace. Plus d'une dizaine d'enfants y participent une fois par mois, le samedi après-midi, sous l'encadrement de Vittorio Leone (alias Vitto) dans l'atelier de la céramiste Marie-Christine Meyer.

 

Les jeunes apprennent à manier certains outils comme la perceuse ou le pistolet à colle. © F. Delotte

La ville à hauteur d'enfant

Car tout part de la rencontre de ces deux-là, en 2014. « Je suis venu un jour chez Marie-Christine, qui travaillait déjà avec des enfants, et nous avons commencé à organiser ensemble des ateliers de céramique et architecture », raconte le trentenaire italien, une pointe d'accent dans la voix. « Mais l'impulsion est surtout venue des enfants eux-mêmes, qui nous ont demandé d'aller plus loin », complète-t-il.

De la motivation et des idées, les jeunes en ont à revendre. « Je conçois une sorte de lit suspendu qui pourrait être accroché dans un arbre », décrit Daphné, douze ans, en montrant une ingénieuse petite construction en cannes de Provence. Celle qui est désignée par Marie-Christine comme étant le « pilier » de l'atelier, semble se distinguer par son assiduité. Elle manie aussi bien la perceuse que le pistolet à colle. Sur l'autre table, Louis, dix ans, et cadet de la bande, bricole une baraque sur pilotis. Le blondinet présente son œuvre à l'assemblée. « Au rez-de-chaussée, on trouve un espace familial. On peut monter sur le toit pour se reposer ou pour bronzer », indique l'enfant avec un sourire malicieux. « Ton idée de panneaux photovoltaïques est intéressante, mais peut-être un peu coûteuse. On pourrait imaginer un réservoir qui chauffe simplement l'eau avec les rayons du soleil », conseille Vitto à Valère. « Je leur apporte une expertise en leur disant quels matériaux existent, en leur expliquant ce qui est réalisable, mais je ne leur dis jamais ce qu'il faut faire », indique l'architecte, bienveillant.

Car prendre en considération les points de vues des enfants est l'une des idées-forces des ArchiMinots. Marie-Christine et Vitto se fondent sur les écrits de Francesco Tonucci. Ce psycho-pédagogue italien est l'auteur d'un livre publié en 1991 : La Città dei bambini (La Ville des enfants). « Le projet de Tonucci est clairement politique parce qu'il propose que les enfants participent à la vie publique, qu'ils puissent exprimer leurs idées et qu'on les prennent en considération », commente Vitto, passionné. « Tonucci explique que les politiques urbaines mises en place après-guerre sont suicidaires, car elle ne reposent que sur la place de la voiture en ville. Il dit qu'il faut prendre le problème différemment. Partir de l'enfant pour aménager la ville est une démarche plus inclusive. Car une ville adaptée aux enfants l'est aussi pour les personnes âgées ou handicapées. C'est une ville plus douce où le piéton passent avant l'automobile », défend l'architecte. Car l'atelier est aussi un outil de transmission. «Ce qui m'intéresse dans la pratique de l'architecture, c'est de partager un savoir et des techniques avec les futurs usagers d'une réalisation. Et ici, avec les enfants », affirme Justine Faure, architecte de 27 ans, qui s'investit dans le projet de camping avec l'association.

Consolat, quartier des enfants

Cette ville des enfants, les ArchiMinots tentent de l’expérimenter à leur échelle. En 2017, les gamins ont réalisé un pavillon taille réelle sur la place Alexandre Labadié, toujours dans le 1er arrondissement. « Cette jolie place de forme ronde comprend un espace central qui n'est malheureusement pas accessible aux enfants, ni à personne d'ailleurs. C'est un quartier difficile, avec de la prostitution. La ville a préféré fermer les grilles du petit square plutôt que de l'aménager  », se désole Marie-Christine. L'idée des ArchiMinots était donc de conquérir ce morceau de territoire urbain. « Les enfants doivent s'approprier leur environnement direct en apprenant à être acteur de leur quotidien. La place qu'ils se font bénéficiera ensuite à tous », analyse Zahia, 46 ans, mère de Youri, 12 ans, et convaincue par le projet. « On ne peut pas jouer dans le quartier. Il y a peu d'espace pour ça », poursuit, concrètement, Violette, 12 ans. D'où cette envie des ArchiMinots de construire une cabane, un endroit à eux, refuge ludique déposé au cœur d'une densité urbaine pas toujours soucieuse des marmots. Le bâtiment léger, dont la structure a été réalisée par un véritable charpentier, a fière allure. Dans une volonté de sensibiliser les enfants aux enjeux de l'éco-construction, les cloisons sont composées de cannes de Provence récupérées dans une entreprise qui fabrique des anches de saxophone, près de Toulon. Sympathique projet. Pourtant, la ville a insisté pour que l'association retire la hutte de la place Labadié. Elle est désormais installée dans les locaux de l'école des Beaux-Arts d'Aix où elle devrait accueillir un espace autogéré par les étudiants.

Mais les minots n'ont pas été découragés par le manque d'intérêt de la municipalité pour leur démarche. En juillet 2017, ils sont invités à la biennale d'architecture de Lyon. Aidé par l'agence d'architecture espagnole Ctrl+Z, qui travaille avec des matériaux de récupération, les enfants réalisent une sphère et une sorte d'igloo. Le recyclage est encore de mise : les œuvres des petits Marseillais sont cette fois le résultat d'assemblages de morceaux de volets roulants en PVC et de palettes. Accompagnés par l'agence MAP Architecture, dans laquelle travaille Vitto, et l'association de professionnels de la construction durable Bâtiment Durable Méditerranéen (Envirobat-BDM), les architectes en herbe défendent leur projet. « Les adultes parlent beaucoup, mais ne font pas grand-chose. Nous, on ose les réaliser », lance Rosa, 11 ans.

Plus motivée que jamais, l'association poursuit son rêve de faire de Consolat un « quartier des enfants ». Depuis septembre 2017, elle mène dans ce sens des ateliers avec les élèves de l'école Leverrier, où est scolarisé le petit Louis. Et si la cité phocéenne laissait enfin plus de place à ses minots ?

Plus d'infos : www.facebook.com/archiminots

 


Ewa Struzynska : « La ville doit être un terrain d'exploration pour les enfants »

Propos recueillis par FD

Ewa Struzynska est architecte. Elle a dirigé jusqu'en avril 2018 et pendant dix ans le programme de travail « Architecture et enfants » de l'Union Internationale des Architectes. Pour elle, la ville doit redevenir un lieu « d'aventure » pour les jeunes.

Vous intervenez dans les écoles pour parler d'architecture. Est-ce que les enfants sont spontanément sensibles à ce sujet ?

Les enfants sont spontanément curieux, mais ils ne savent souvent pas ce qu'est l'architecture. Pour eux, les architectes sont surtout des techniciens. Or l'architecture est l'un des arts les plus complets. C'est l'art de concevoir des espaces et des volumes en intégrant l’esthétique et la technique. Mais également les aspects culturels, sociaux, économiques et du développement durable. Les enfants – rassurés qu'il ne s'agisse pas seulement de maths – sont heureux d’apprendre à travers l’architecture ces notions qui font le bien-vivre ensemble.

Pourquoi confronter les jeunes aux questions que soulèvent l'environnement bâti et l'aménagement urbain ?

Pour être actifs, les enfants, futurs citoyens, doivent avoir un esprit critique et être force de proposition. Par exemple, pour pouvoir prendre part à une enquête publique, il est utile et nécessaire d’en maîtriser le vocabulaire. Derrière la culture urbaine, se profile une culture citoyenne.Si l'enfant n'a pas de culture architecturale, il ne pourra ni être acteur de son environnement urbain ni jouer un rôle dans les choix qui s’imposeront à lui dans le respect de l'environnement. Il est capital qu’il ait les outils pour pouvoir exercer ses prérogatives afin que la société démocratique ne soit pas menacée.

Doit-on intégrer les enfants dans la réalisation de projets architecturaux ou d’aménagement ?

Bien sûr. Certains projets proposent aux enfants de participer à la rénovation de leur école. Cela leur permet, par exemple, de créer un espace qu'ils peuvent s'approprier et qu'ils respecteront davantage. 

À Helsinki, en Finlande, un quartier a été aménagé en faisant intervenir les élèves des écoles.Les enfants ont été consultés et certaines de leurs propositions ont été intégrées dans les projets des architectes. Dans les pays scandinaves, on estime que l'enfant est un citoyen à part entière. La ville doit être plus inclusive pour les enfants, comme pour les personnes âgées. L'enfant a aujourd'hui difficilement sa place dans une ville de plus en plus contrôlée et sécurisée. Il est cantonné dans des lieux « à jouer ». Or la ville est un formidable terrain d'aventure, d'exploration et de socialisation. Dans la ville s’apprend le vivre ensemble. 


Plus d'infos : www.architectureandchildren-uia.com

message.ewa@gmail.com

 

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