Pour ou contre les emplois aidés

Publié le lun 11/01/2016 - 00:00

+0,4 % de hausse du chômage en décembre pour clôturer 2015. Le Gouvernement relance les contrats aidés en 2016. Il prévoit même un budget de 2,6 milliards d’euros uniquement pour ces emplois subventionnés par l’État ou les collectivités. Ils visent à la réinsertion sociale et professionnelle des personnes éloignées de l’emploi. Ils concernent le secteur non-marchand (collectivités, associations, services publics) et le secteur marchand. Largement utilisés par les politiques de droite comme de gauche depuis une trentaine d’années, ils sont une réponse au chômage pour certains, un non-sens pour d’autres.

CONTRE

Bertrand Martinot

Économiste, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy et ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle.

 

« Les emplois aidés sont une spécialité française !

Nous sommes le pays de l’OCDE qui consacre la plus grande part de son budget « Emploi » aux aides : 3,6 milliards sur les 11 du budget total. Ces 33 % représentent en fait beaucoup plus : il s’agit de toute la marge de manœuvre du ministère ; le reste des dépenses étant très rigides, comme les allocations de fin de droit des chômeurs par exemple. Ces contrats aidés se font donc au détriment d’autres mesures qui seraient, selon moi, bien plus efficaces. Ainsi, dans le budget 2014, on a ratiboisé 550 millions d’aides à l’apprentissage pour financer les 50 000 emplois d’avenir complémentaires. En plus, ces emplois n’améliorent pas la trajectoire des bénéficiaires. Si l’on prend deux personnes qui ont les mêmes caractéristiques (ndlr, âge, sexe, niveau d’étude), l’un passe par un contrat aidé, l’autre non. Et bien sur 3 ou 4 ans, le taux d’emploi est le même ! Illustration : 60 % des bénéficiaires d’un emploi aidé dans le secteur non-marchand se retrouveront au chômage ou seront en inactivité au bout de 6 mois. Ils seront 30 % suite à un contrat aidé dans le secteur marchand. De par mon expérience, je sais que seuls des contrats aidés ciblés sur des personnes très éloignées de l’emploi pourraient être efficaces. S’ils sont assortis de mesures d’accompagnement, de formation, de suivi... Il s’agirait d’être intransigeant, à la fois sur le choix des bénéficiaires et sur celui des employeurs. Cela concernerait seulement 150 000 à 200 000 emplois. Mais aujourd’hui, nous sommes dans une politique du chiffre. Les 500 000 contrats aidés créés chaque année ne sont pas assez exigeants : plus il existe de contrats aidés non-marchands et plus les employeurs sont sélectifs. Résultats : ce ne sont souvent pas les personnes les plus éloignées de l’emploi qui entrent dans ces dispositifs. L’objectif est manqué ! Je pourrais néanmoins comprendre qu’en période de récession, l’État crée des emplois publics. Cette démarche keynésienne peut pallier une crise conjoncturelle. Mais cela fait 30 ans que l’on fait des emplois aidés : ils sont structurels ! Même ici, cet argument tombe ! Certaines associations ou collectivités ne vivent que de ces contrats, c’est un vrai problème. Mais ce n’est plus celui de l’emploi. Soit l’on croit à la décentralisation, et les collectivités se veulent autonomes financièrement. Soit on est jacobin et alors on laisse l’État gérer ses emplois. Mais en tout état de cause, qu’un employeur bénéficie d’une subvention à hauteur d’environ 80 % a quelque chose de déresponsabilisant. Alors oui, les contrats aidés permettent, dans un contexte où beaucoup de choses échappent à l’État, de donner au président la possibilité de créer des emplois. Le ministre du travail peut se dire la même chose. De même que les élus locaux. Cette vision n’est pas uniquement électoraliste : elle permet aussi de redonner un peu de confiance aux Français. Ralentir la progression du chômage d’environ 0,2 point, cela peut soutenir un peu le moral des ménages. Ce qui est bon pour la consommation... Mais il faut toujours mettre en regard le coût d’une mesure et ce que cela apporte réellement à l’économie.

 

POUR

Laurence Fortin

Conseillère régionale déléguée à l'économie sociale et solidaire et à la vie associative, présidente de la commission économie à la région

 

« Une passerelle vers l ’emploi »

« Évitons d’emblée les oppositions classiques entre une économie d’entreprises qui créeraient de l’emploi et celles qui bénéficieraient de subventions. La création d’emploi reste l’affaire de tous : les entreprises du privé, celles du public, les institutions et le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS). C’est une responsabilité collective que l’on doit se partager, notamment grâce à la formation. Le contrat aidé est un marche-pied pour des personnes éloignées de l’emploi. Il offre un travail et redonne de l’espoir à des gens qui en ont souvent besoin. Je préfère un actif pourvu d’un emploi, qu’un chômeur inactif ! Ces emplois, même partiels, ont une dimension sociale très importante. Leur impact ne peut pas se mesurer uniquement en terme financier. Ils sont aussi un moyen pour sécuriser le système économique. À la Région, nous soutenons, par exemple, le secteur associatif comme les entreprises. Car ce tremplin est valable aussi bien pour le secteur marchand que non-marchand. Toutefois, c’est quand même le domaine agricole qui bénéficie le plus d’aides publiques. Au global, ces aides – principalement européennes – sont le résultat d’une volonté politique au départ de nourrir les hommes. À chaque moment sa priorité politique et donc son secteur à financer. Cette intervention publique est là pour soutenir l’activité, accompagner des initiatives. En se sens, un soutien à l’ESS, qui est une économie qui ne se limite pas au secteur marchand, créatrice d’innovation sociale, me paraît tout à fait d’actualité. Afin de développer l’emploi, il faut accompagner les structures dans leur développement. Si elles se développent, elles créeront de l’emploi. Nous devons donc veiller aussi au modèle économique des organisations qui bénéficient des emplois aidés et autres aides financières. Il s’agit d’impulser une dynamique et de former des personnes éloignées de l’emploi. Certainement pas de mettre des organisations sous perfusion ! Si le recours à un contrat aidé est systématique au sein d’une structure, c’est qu’il s’agit d’un problème financier. Dans ce cas, il existe d’autres dispositifs qui permettent une consolidation financière. Le contrat aidé n’est qu’une passerelle, pas un élément constitutif. Ces aides directes ne sont pas les seules. Nous disposons de divers dispositifs d’aides à l’investissement par exemple. Nous essayons aussi d’innover en proposant un accompagnement des jeunes au sein des Coopératives jeunesse de service. Enfin, la formation, l’éducation populaire... ne sont pas à négliger. Le rôle de la collectivité est de créer des conditions optimales au développement de l’activité. La collectivité a finalement un rôle d’accompagnement et de mobilisation sur son territoire. »

Plus d'infos

Chômage, inverser la courbe,B. Martinot, publié par l’Institut Montaigne aux éditions Les Belles Lettres, 2013, 19 euros.

 

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