[FNE] Que se passera-t-il après le démantèlement des organisations environnementales ?

Publié le mer 03/12/2025 - 11:00

Par Patrick ten Brink (Secrétaire général du Bureau Européen de l’Environnement), et Antoine Gatet (Président de France Nature Environnement)

Au niveau Européen, comme en France, les associations de protection de la nature et de l’environnement sont menacées de disparition. Fin octobre, sur EUobserver, Alberto Alemanno a analysé comment l’espace civique en Europe est étouffé : comment les ONG meurent. Cet article pose la question suivante, qui vient naturellement à l’esprit : que se passera-t-il alors ?

Une Europe sans organisations environnementales ?

À quoi ressemblera l’Europe lorsque la société civile organisée et regroupée au sein du Bureau Européen de l’Environnement – les organisations indépendantes qui existent pour protéger l’intérêt général en matière environnementale – sera réduite au silence, marginalisée ou progressivement privée de ses moyens ?

La question peut paraître dramatique. Pourtant, les périodes de crise démocratique, comme celle que nous traversons, exigent de la clarté, et non de la complaisance. 

Pendant des décennies, les associations de protection de la nature et de l’environnement, et en particulier celles, comme France Nature Environnement, reconnues d’utilité publique, ont été des partenaires essentiels dans l’élaboration, la mise en œuvre et le respect des protections sur lesquelles comptent les populations françaises et européennes :

  • air et eau propres
  • alimentation et lieux de travail sûrs
  • environnement sain, ambition climatique
  • et bien plus encore

Elles surveillent, informent, proposent des solutions et veillent à ce que les lois de l’UE apportent des bénéfices concrets.

Leur travail est souvent technique et invisible ou parfois, au contraire, tout à fait visible, mais toujours indispensable.

Une Europe et une France dans laquelle personne ne souhaite se réveiller

Imaginez-vous vous réveiller dans une Europe et une France où vous ne pouvez plus faire confiance à l’eau du robinet, à l’air que vous respirez, ni à la nourriture dans votre assiette. Où les règles protégeant votre famille des produits chimiques dangereux, des lieux de travail insalubres ou des rivières polluées sont affaiblies sans contrôle.

Une Europe sans défense des citoyennes et citoyens

Aucun organisme de surveillance. Personne pour demander des comptes aux gouvernements et aux entreprises. Aucun soutien aux communautés qui défendent leurs droits, leur santé et leurs moyens de subsistance.

Ceci n’est pas de la fiction dystopique. C’est l’aboutissement logique d’une tendance déjà visible à Bruxelles et dans plusieurs capitales, y compris à Paris : un effort délibéré pour délégitimer, démanteler et contraindre ceux qui font le lien entre les citoyens, les citoyennes et les décideurs.

Les démocraties s’érodent lorsque la responsabilité disparaît, que la vérité devient négociable et que les citoyens et citoyennes perdent leur capacité d’expression.

Une Europe où la santé et la biodiversité se dégradent

L’amélioration de la qualité de l’air, la sécurité des produits et la restauration des rivières ou de la biodiversité en Europe ne sont pas le fruit du hasard. La société civile a imposé des mesures contre les produits chimiques dangereux, dénoncé la pollution, enrayé la destruction de la nature et défendu les lois climatiques lorsque les gouvernements ou les intérêts économiques de court terme ont tenté de les affaiblir.

Cela a nécessité expertise, preuves, données scientifiques, engagement citoyen, recours juridiques et, souvent, courage.

La démocratie n’est pas un exercice quadriennal. C’est grâce à la société civile que les préoccupations des citoyens et citoyennes parviennent au pouvoir entre les élections, transformant la participation en responsabilité et empêchant la démocratie de devenir un simple spectacle.

Le démantèlement a déjà commencé

Cette érosion n’est pas une hypothèse. Des organisations du secteur de la santé ont récemment vu leurs financements européens suspendusentraînant des licenciements et des fermetures. Les organisations environnementales sont la cible de désinformation les accusant de malversations financières – des accusations systématiquement démenties.

Au Parlement européen, une majorité conservatrice et d’extrême droite a créé un groupe chargé de cibler les financements des organisations environnementales au lieu d’examiner plus largement les financements européens.

La société civile ne demande pas à agir sans contrôle, elle défend depuis longtemps les règles de transparence et a contribué à leur mise en place. Elle exige que le contrôle soit équitable, proportionné et appliqué à tous ceux qui influencent les politiques publiques – et non instrumentalisé de manière sélective contre ceux dont le rôle est de garantir la responsabilité des pouvoirs publics.

Dans les États membres de l’Union Européenne, on observe des accusations d’« agents étrangers », des blocages administratifs, des poursuites-bâillons en justice et une pénurie de ressources financières. Des schémas autrefois associés aux gouvernements hors de la communauté démocratique européenne émergent désormais en son sein.

Le pouvoir ne disparaît pas lorsque le contrôle se relâche : il se concentre

Deux tiers des réunions de haut niveau documentées de la Commission européenne se tiennent avec des représentants d’entreprises, tandis que seulement 16 % environ impliquent des ONG. Un déséquilibre flagrant entre ceux qui représentent les intérêts privés et ceux qui agissent de façon désintéressée en faveur de la protection de la nature et de l’environnement.

Lorsque les organes de contrôle s’affaiblissent, les intérêts particuliers ne se contentent pas de gagner en influence : ils élaborent les règles censées les régir.

Simplification ou destruction de la biodiversité ?

Un vocabulaire de « simplification » et de « réduction des contraintes » se répand rapidement depuis quelques temps. La recherche d’efficacité, dans la limite du raisonnable, et une mise en œuvre intelligente des règles adoptées sont certes bienvenues, mais le démantèlement des protections sous ce prétexte ne l’est pas.

Les normes qui protègent la santé publique, les familles, les travailleurs et la nature sont désormais perçues comme des obstacles à la croissance plutôt que comme les fondements d’une Europe et d’une France justes et compétitives sur le long terme.

Une fois démantelées, les garanties ne se reconstruisent pas facilement.

Lire notre rapport sur la simplification

La pression des lobbys face à la dégradation de l’environnement

L’Europe et la France sont confrontées à des pressions convergentes : instabilité géopolitique, crise du coût de la vie, inégalités croissantes, désinformation, accélération de l’érosion de la biodiversité, aggravation de la pollution et un réchauffement climatique déjà supérieur à 1,5 °C. Dans un tel contexte, affaiblir le contrôle indépendant qu’est capable d’offrir nos organisations n’est pas seulement imprudent, mais réellement périlleux.

La société civile organisée n’est pas un accessoire de la vie démocratique ; elle en est une composante essentielle. Elle renforce l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes, la transparence et la responsabilité. Elle instaure la confiance, la participation et la légitimité. Elle donne corps aux lois européennes et françaises.

Répondre aux attentes des Européens et Européennes

La Commission vient de publier la première stratégie de l’UE en faveur de la société civile. Ce texte devra marquer un tournant, reconnaissant le rôle crucial de la société civile organisée dans la démocratie. Il doit garantir une participation effective, un financement stable et indépendant, et assurer le fonctionnement des organismes de surveillance indépendants.

L’Europe, avec la France et les autres États membres, n’est pas devenue un leader mondial de la protection environnementale et sociale en faisant taire les voix indépendantes, mais en les intégrant pleinement. Affaiblir la société civile organisée, c’est affaiblir la capacité de l’Union et de la France à répondre aux besoins de ses citoyens et citoyennes, à maintenir sa crédibilité internationale et à aborder sereinement la décennie décisive qui s’annonce.

La société civile organisée est le système d’alerte précoce, le témoin ancré dans la réalité du terrain, le garant exigeant de la redevabilité des autorités et créant du lien entre les institutions et les citoyens en Europe, comme en France.

L’écosystème est encore vivant. Mais il a besoin d’être défendu. Et il est urgent de le faire !

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