[ NADIA SAMMUT ] Une cuisine libre et engagée

Publié le ven 12/07/2019 - 17:10

Dans sa cuisine méditerranéenne, Nadia Sammut, chef étoilée, pratique son art avec bienveillance. Elle cultive la liberté en cuisine, déploie toute sa créativité à travers des plats gourmands et très digestes pour amener le mangeur vers une « conscience éveillée » à l’encontre de la planète. Rencontre avec une femme « libre et engagée ».

Comment se caractérise votre cuisine « libre et engagée » ?

La Cuisine libre, C'est un projet qui a pour vocation d'amener le mangeur vers une conscience éveillée à l'encontre de la planète. C'est également une manière de penser la cuisine d'un point de vue sociétal, une philosophie d'une certaine manière, pour vivre libre et sans gluten ! A travers cette cuisine engagée, je cherche à me libérer des contraintes, pour libérer la créativité, favoriser le partage et la transmission à table.
La cuisine libre peut être interprétée par chacun, c'est l'idée d'une cuisine bonne, propre et juste, comme les valeurs du réseau international Slowfood avec lequel je milite régulièrement et donne des cours au sein de l'université en Italie.

Quelle place accordez-vous au local dans votre cuisine ?

Je prête particulièrement attention à la traçabilité de nos produits à l'Auberge de la Fenière dans le sud Vaucluse, en faisant appel à des ingrédients locaux, comme le pois chiche du Luberon par exemple.

Comprendre la semence de cette légumineuse, savoir comment elle est plantée, observer qu'elle ne nécessite pas beaucoup d'eau et permet de fixer l'azote dans le sol, tout cela m'incite à tisser des liens avec les producteurs locaux que nous accompagnons durablement. Cette légumineuse extraordinaire m'inspire beaucoup en cuisine, c'est un aliment vertueux de la graine à l'assiette ! Constatant les bienfaits de cette plante, j'ai proposé à plusieurs agriculteurs locaux d'en planter en rotation sur leurs sols. Ils ont accepté et je me suis engagée à leur acheter une grande partie de leur production, inscrite dans une démarche de respect de l'environnement. Les pois chiches récoltés passent ensuite dans notre moulin pour les transformer en farine, à Lourmarin. Car nous sommes aussi meuniers ! Notre équipe de boulangers-pâtissiers-meuniers en écrase ainsi jusqu'à 100 kg par heure.

Vous avez également un atelier de production sur le Min de Cavaillon ?

Outre le restaurant, l'hôtel et le bistrot, notre atelier transforme l'ensemble des produits locaux que nous utilisons : huile d’olive, farines de pois chiche, châtaignes, riz, sarrasin, pommes de la vallée de la Durance. A partir de ces matières premières qualitatives, nous créons de la boulangerie-pâtisserie vertueuse. Tels des gressins, des biscuits, produits dans une démarche locale et zéro déchet ! On n'utilise même plus de poubelle désormais. Pour éviter le gaspillage et favoriser le recyclage, nous utilisons le surplus de farine de pois chiche pour notre tofu ou encore les pelures de pommes pour le muesli. Bref, on ne jette plus rien !

Nadia Sammut, une cheffe étoilée qui cuisine sans gluten. Photo : Grégoire Kalt

Qui vous a transmis le goût de la cuisine ?

C'est ma grand-mère paternelle qui nous a transmis à ma mère et moi son savoir-faire, sa cuisine méditerranéenne… Et plus largement cette culture familiale de la table et de la convivialité. Tout comme cet esprit de l'accueil que l'on m'a inculqué. Car j'ai toujours vécu avec des gens à la maison. Recevoir, accueillir, c'est naturel, un art de bien vivre avec les autres.

Dans ma cuisine, je ne travaille pas en brigade, comme le font de nombreux chefs, mais plutôt en essayant d’agréger la somme de créativité de l'équipe.
Pas de brigade certes, mais un management participatif, où chacun apporte une valeur ajoutée de par ses compétences. J'ai notamment des collaborateurs issus de l'économie sociale et solidaire ou de l'agriculture durable, qui impactent sur le projet collectif en apportant leur pierre, en proposant des idées, développant des projets concrets dans l'entreprise familiale qui compte 40 collaborateurs désormais.
Une autre part de cet héritage féminin se manifeste en cuisine : au moment du service, on ne crie pas chez nous, c'est calme, serein, on médite en se concentrant. La bienveillance y a toute sa place, c'est essentiel et ça surprend beaucoup de monde !

Racontez-nous votre cuisine...

Ma cuisine sort instinctivement comme de l'écriture automatique, je pose, souvent la nuit, un texte en lumière avec des ingrédients rêvés la nuit. Je repense à cette famille croisée en Cappadoce, je vais rechercher une photo de cette histoire, puis je tente de la mettre en scène par le goût !
Et puis parfois je pense à certains ingrédients, comme cette cosse d'amande verte, qui donne de l'acidité et m'a beaucoup émue lorsque je l'ai goûté pour la première fois dans mon enfance. Ma créativité part de là !
Raconter en cuisine, c'est faire remonter toutes ces histoires, ces émotions liées aux vertus d'une alimentation positive, une digestion positive qui m'anime depuis que j'ai appris ma maladie cœliaque. Celle-ci m'empêche d'ingérer du gluten. Avant d'imaginer cette cuisine libre, la cuisine était pour moi une activité plutôt négative, privative, étouffante… Désormais, j'imagine une alimentation positive, très digeste. Je fais très attention à toutes les formes de fermentations qui compliquent la digestion. Je sais par exemple comment un artichaut agit sur le foie et comment je peux, en l'associant à d'autres ingrédients atténuer cette action.

Vous dites travailler sur la « sérénité » à table, qu'en est-il ?

80 % des neurotransmetteurs de la sérotonine, qualifiée par certains d'hormone du bonheur, sont situés dans l'intestin. Si l'on apporte à table de la sérénité, du bonheur aux gens dans une digestion facilitée et positive, alors on offre un bien meilleur moment à nos convives. Le lactose comme le beurre sont difficiles à digérer, c'est pourquoi je remplace ce dernier par le saindoux de porc mangalica, l'huile d'olive ou de noisettes. Le cailler d'amande ou de cajou apporte une certaine fermentation, de l'acidité, mais aussi de l'onctuosité, j'utilise à bon escient ces éléments végétaux alternatifs dans ma cuisine.

Proposez-vous uniquement des plats végétariens à votre table ?

Je n'ai pas fait ce choix. Viande, poisson, fromage sont aussi au menu, comme le cochon ou l'agneau que j'achète en entier dans des élevages de proximité, respectueux de l'environnement et des animaux.
Je suis très engagée sur la pêche responsable. Mon père va deux fois par semaine à Sète ou Martigues pour chercher des poissons frais et de qualité. A partir de ses trouvailles de poissons issus de filières durables ou de surplus de la pêche, j'imagine ensuite des plats à base de mulet, de galères (petites cigales de mer) ou autres poissons souvent méconnus mais dont la ressource n'est pas en danger.

Quel est votre rêve à travers cette cuisine ?

Mon rêve, c'est d'accompagner le changement vers l'indispensable transition alimentaire. Pour cela, j'ai créé un institut dédié à cet art culinaire, où je forme les brigades d'autres grands chefs, pour une transition alimentaire en cuisine, aux bonnes pratiques écologiques, au management participatif. En ce moment, je travaille pour cinq brigades de chefs étoilés. En ce sens et pour tenter d'aller vers ce rêve, d'ici fin 2020, l'institut que j'ai créé va devenir un lieu de vie, d'accompagnement à la transition alimentaire, grâce à une cellule de recherche et de développement engagée dans la démarche d'une cuisine libre pour tous !

 

Plus d'infos
institut-cuisine-libre.com
slowfood.fr
aubergedelafeniere.com

Plus web
Retrouvez notre interview audio avec Nadia Sammut, réalisée lors de la table-ronde du 4 mai dernier « Soyons gourmands, c'est bon pour la santé ! » organisée par Sans Transition ! à la bibliothèque de l'Alcazar à Marseille plus d'une centaine de participants.


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