Accueil des migrants : des citoyens s’engagent

Publié le lun 02/01/2017 - 14:34

Par Céline Cammarata, François Delotte et Benoît Vandestick

L’incapacité de l’hébergement d’urgence à répondre aux besoins de logements laisse de nombreux migrants à la rue. Pour pallier cette situation, citoyens et associations s’engagent. Certains ouvrent leur porte, d’autres ouvrent des squats. La solidarité passe aussi par l’aide alimentaire, médicale, matérielle, éducative ou administrative. Un engagement essentiel, alors que l'Occitanie accueille depuis fin octobre un millier de migrants de la « jungle » de Calais.


Calm : le réseau social d'aide aux réfugiés s’installe en Occitanie

« Ça y est, ils arrivent… Les migrants dans notre centre-ville », menaçaient des affiches placardées par l'équipe de Robert Ménard dans les rues de Béziers, en octobre dernier… Mais, heureusement, tous les habitants d'Occitanie n'ont pas perdu leur sens de l'hospitalité. C'est le cas des membres du dispositif Calm (Comme à la maison), porté par l'association Singa, qui a créé une antenne à Montpellier cet automne. Un réseau social qui met en relation migrants et citoyens solidaires. Rencontre avec Mohamed, réfugié soudanais, chez ses hôtes, Ludivine et Christophe.

« J'ai besoin de pratiquer la langue et de mieux connaître la culture française », confie Mohamed, Soudanais, réfugié politique de 28 ans. « Après avoir habité à Paris, nous venons d’emménager à Montpellier dans un T3 de 90 m². Nous avons de la place. Nous nous sommes dit qu’accueillir quelqu'un venant d'un autre pays serait enrichissant », témoigne Christophe, jeune chercheur en écologie de 25 ans. Avec sa compagne Ludivine, étudiante en médecine de 24 ans, ils se sont rapprochés du réseau Calm, qui dépend de l'association nationale Singa. Ce programme leur a permis de rencontrer Mohamed, qui habite avec eux depuis dix jours.

Pour Mohamed, habiter avec des Français est l'occasion de pratiquer la langue et faciliter son insertion sociale © F. Delotte

Rapprocher réfugiés et société civile

Calm a été créé en juin 2015 en région parisienne. Les réfugiés et les candidats à l'accueil remplissent un formulaire en ligne et Singa se charge de mettre les personnes en relation. Une initiative qui se développe en région : après Lille et Lyon, Calm est arrivé cet automne dans l'Hérault. « Environ 250 familles se sont inscrites pour recevoir des personnes chez elles ». Pour l'instant, seuls « deux individus sont accueillis dans des familles », témoigne Rebecca Ajavon, directrice de la communauté Singa en Occitanie. Il faut avoir le statut de réfugié pour intégrer Calm. « Nous ne proposons pas d'hébergement d'urgence. Nous voulons faciliter l'intégration des personnes, clarifie Rebecca Ajavon. Il y a trois Centres d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) à Montpellier. Ils peuvent recevoir chacun entre 70 et 90 individus. C'est la première phase. Ceux qui obtiennent le statut de réfugié peuvent alors nous rejoindre. » Suite au démantèlement de Calais, « on peut imaginer qu'un nombre grandissant de demandeurs d'asile » arriveront sur le territoire durant les prochains mois.

Mohamed a obtenu le statut de réfugié politique en février 2016, après un voyage semé d’embûches. « Je suis arrivé en France en juillet 2015 », indique le jeune homme. Originaire du Darfour, celui-ci est victime de la répression exercée par le régime de Khartoum. Évadé de prison, son histoire est celle des milliers de migrants tentant de fuir la guerre en Afrique ou au Proche-Orient. Après un passage par la Libye, il traverse la Méditerranée sur un bateau de fortune en compagnie de plusieurs centaines d'hommes, femmes et enfants. « Par chance, la mer était calme », souffle Mohamed. Au bout de plusieurs heures, l'embarcation est repérée par un navire de l'Union européenne. Mohamed débarque en Italie. Après un passage par Venise et Vintimille (à la frontière française), il rejoint Paris en se cachant dans un camion. « Je préférais la France, j'aime ce pays », avoue-t-il. Arrivé dans la capitale (il trouve qu'il y fait « très froid »), il décide de se rendre à Montpellier où il possède un contact soudanais.

Un dispositif d'immersion

Avant d'obtenir son statut de réfugié, Mohamed vit dans un squat. Il manifeste une vive envie de s'intégrer et de travailler. « Je suis électricien. Mais en France, on ne pratique pas ce métier de la même manière qu'au Soudan. Je dois donc me former », précise-t-il. Cependant, avant toute chose, l'administration exige que cet arabophone perfectionne son français via 200 heures d'apprentissage. Sa rencontre avec Rebecca Ajavon et Singa, il y a cinq mois, lui permet de bénéficier d'un accompagnement. De leur côté, pour proposer un hébergement, les accueillants doivent disposer d'une pièce dans laquelle « l’accueilli » pourra jouir de son intimité. L'association organise alors une rencontre entre les personnes après avoir vérifié leur « compatibilité » (centre d'intérêt, caractère...). « Nous avons fait la connaissance de Mohamed dans un bar. On a senti un bon feeling. Nous avons tout de suite plaisanté », explique Christophe. « J’aimerais rester deux mois au contact de Christophe et Ludivine pour parler le français. La prononciation et la conjugaison des verbes du troisième groupe sont difficiles », confie Mohamed, souriant.

Mohamed, réfugié politique soudanais, raconte le long périple qui l'a mené jusqu'à Montpellier © F. Delotte

Échanges interculturels

Le courant a effectivement l'air de passer ! A l'heure du dîner, assis autour de la table de la salle à manger pour partager des tartes salées, on parle cuisine. « Mohamed prépare des plats délicieux : de la soupe à la viande de mouton mijotée, des chaussons au poulet et au fromage... », décrit Ludivine. «Il essaie aussi de m'apprendre des mots d'arabe. C'est vraiment cet échange que nous recherchions », appuie Christophe. En parallèle de l'accueil, les membres-réfugiés de Calm bénéficient d'actions menées par la communauté : ateliers culturels, discussions… Mohamed est suivi par un « budy » (« copain » en anglais). « Ils peuvent faire régulièrement le point ensemble sur les doutes et projets de Mohamed », commente Rebecca Ajavon. Des rencontres avec des professionnels et des formations sont aussi mises en place pour les réfugiés qui veulent monter leur entreprise. L’accueil chez l’habitant dure douze mois maximum. L'accompagnement de Singa n'est, lui, pas limité dans le temps. Il est destiné à encourager les réfugiés à « participer à la vie économique locale. Et pourquoi pas, à embaucher », expose la directrice de Singa Occitanie. Une façon de s'attaquer aux stéréotypes qui stigmatisent les migrants.

Plus d'infos :

www.singa.fr

www.calm.singa.fr


Calais n’a pas quitté les abords de la Manche

 

 

 

Dessin et inscriptions sur une cabane de la "jungle" de Calais © C. Cammarata

Par Céline Cammarata

Calais et sa « Jungle » restent un haut lieu de paradoxes. Car dans la misère et la boue se sont exprimés les plus grands élans d’humanité. La position géographique de cette ville l’a transformée en dernier rempart avant l’Eldorado, l’Angleterre. Aucun démantèlement ne changera rien à cette irrésistible attraction. Les associations en témoignent.

Dans cet immense bidonville circulaient certes des trafiquants et des passeurs mais surtout des êtres humains en lutte pour leur survie et d’autres venus les soutenir. Cette énergie de vie était palpable par toute personne qui prenait le temps de s’arrêter dans ce lieu, ville dans la ville avec ses restaurants et ses petits commerces. A Calais, le bénévolat est devenu un métier et un sacerdoce. L’une des plus anciennes associations, L’Auberge des migrants, s’attèle à l’accompagnement des réfugiés depuis 2008. Elle fait partie des associations auditées par les émissaires du gouvernement mais non entendues, s’insurge François Guennoc, l’un de ses piliers : « Une seule solution et provisoire a été envisagée : les CAO en région. Sans prendre en considération les risques encourus par les mineurs et les cas particuliers comme les personnes entrées en formation, celles qui suivent un protocole de soin à l’hôpital, et celles, bien sûr, qui souhaitent passer en Angleterre et que rien ne pourra dissuader d’aller rejoindre leur famille. »

La prise en charge des mineurs isolés reste une pierre d’achoppement telle que MSF s’est retiré du dispositif d’évacuation : « Des garanties nous avaient été données concernant les mineurs. Des entretiens individuels avec possibilité de traduction et de présentation de pièces administratives devaient avoir lieu. Et en cas de rejet d’un mineur, des mesures de recours s’envisageaient. Or mardi 25 octobre, une seule personne faisait face à la file des mineurs et les désignait au seul faciès et sans appel. Mercredi en milieu d’après-midi, l’enregistrement des mineurs s’est interrompu. Plusieurs dizaines d’entre eux, totalement démunis, sont retournés dormir dans la jungle. Nous ne savons pas ce qui va leur arriver », s’inquiète Samuel Hanryon, chargé des relations presse de MSF, présent sur place.

 

Plus d'infos :

www.laubergedesmigrants.fr

www.msf.fr

Pour en savoir plus et apporter votre aide

N’hésitez pas à consulter la page Facebook Info CAO Bretagne (il existe une page dédiée par région). Un réseau de bénévoles a été créé par les associations humanitaires de Calais afin de permettre un accompagnement des réfugiés durant leur séjour en CAO (Centre d'accueil et d'orientation). Des CAO totalement disparates d’un lieu à l’autre. Certains offrent un hébergement de qualité quand, dans d’autres, l’Auberge des migrants a dû envoyer des vivres.


Le saviez-vous ?

- Les demandeurs d’asile se trouvent légalement en situation régulière tant que leur demande est en cours d’instruction et ont, à ce titre, droit à un logement.

- Malgré la création de plusieurs milliers de places en Cada (Centre d’accueil des demandeurs d’asile) ces dernières années, leur nombre reste insuffisant pour accueillir tous les demandeurs d’asile.


Je veux aider, comment faire ?

Faire un don ou s’impliquer bénévolement dans des associations présentes dans toute la France :

- France terre d’asile : www.france-terre-asile.org

- La Cimade : www.lacimade.org

- Le Gisti : www.gisti.org

- La Croix-Rouge : www.croix-rouge.fr

- Le Secours populaire : www.secourspopulaire.fr

- Le Secours catholique : www.secours-catholique.org

- Médecins du monde : www.medecinsdumonde.org

- Médecins sans frontières : www.msf.fr

Proposer un hébergement :

- Réseau CALM (Comme A La Maison) : https://singa.fr

- Réseau Welcome : www.jrsfrance.org

S’informer et communiquer, en parler autour de soi, déconstruire les préjugés, proposer une initiative dans sa commune, signer des pétitions…

- Les centres Ritimo, pour s’informer et comprendre : www.ritimo.org

- Un site pour rencontrer des personnes désireuses d’aider, près de chez soi : https://aiderlesrefugies.fr


Lexique

Migrant : personne qui se déplace d’un pays à un autre, pour des raisons économiques, politiques ou culturelles.

Demandeur d’asile : personne qui a déposé une demande d’asile.

Réfugié : personne dont la demande d’asile a été acceptée.


 

Corinne Makowski : « L’aide n’est pas une question de spécialistes, tout le monde a des compétences à apporter »

© Secours Populaire

Propos recueillis par BV

Corinne Makowski est secrétaire nationale du Secours populaire français, en charge de la solidarité internationale.

 

Comment les conditions de vie des migrants, en France, ont-t-elles évolué ces dernières années ?

Globalement les migrants ont toujours été un groupe de personnes plus vulnérable que les autres. Ils viennent de pays étrangers, avec des cultures différentes. Il y a déjà des difficultés dues à l’intégration. Des difficultés administratives aussi, pour obtenir des papiers.

Quelles sont les actions du Secours populaire pour faire face à cette situation ?

Le Secours populaire a ouvert un « fonds d’urgence migrants réfugiés ». Il va permettre de faire face à cette situation au niveau européen, avec des associations partenaires, mais aussi par des actions dans les pays voisins, comme la Turquie ou le Liban, où les gens se sont réfugiés. Nous répondons aux besoins matériels et alimentaires mais nous organisons aussi des sorties avec les familles et des activités sportives.

Que peuvent faire les citoyens pour venir en aide ?

Faire un don ou organiser des événements comme des concerts, pour récolter des fonds. L’argent va permettre d’acheter du matériel en fonction des besoins des personnes. Les gens parlant des langues étrangères peuvent aider à traduire ou donner des cours de français. Il y a aussi besoin d’aide dans les maraudes pour distribuer des produits. L’aide n’est pas une question de spécialistes, tout le monde a des compétences à apporter. 

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