[ TOULOUSE ] " Le bidonville, je sais qu'on peut s'en sortir "

Publié le mer 19/06/2019 - 11:03

Par Florence Brau

Près de 40 familles vivent dans le bidonville de la Flambère, l’un des plus anciens de Toulouse. Ses habitants n’aspirent qu’à une chose : avoir une « vie normale ». Grâce à la politique d’accompagnement social de la mairie et la mobilisation sur le terrain, certains y parviennent. Et aident ceux qui attendent encore.

Cet après-midi du mois de mars, Robert passe en visiteur au bidonville de la Flambère. Il sera resté plus de dix ans sur cette friche industrielle, avant de pouvoir se reloger avec sa famille. Il est employé « au métro de Toulouse », et sa femme travaille dans un hôtel. Une nouvelle vie qu’il résume en souriant : « J’ai fait la manche et maintenant je mange comme tout le monde ! Dans l’appartement, c’est calme et les enfants peuvent se doucher avant d’aller à l’école. » Puis il désigne un hangar désaffecté. C’est là qu’il dormait lorsqu’il est arrivé de Roumanie. Autour de l’ancien squat, des cabanons fabriqués en matériaux de récupération s’insèrent entre des caravanes vétustes, parfois agrémentées d’auvents. Trente sept familles vivent à la Flambère, depuis de nombreuses années. Environ 1301 hommes et femmes, dont un tiers de mineurs, avec qui Pascale, infirmière bénévole de Médecins du monde, a tissé des liens lors de ses veilles sanitaires. « Ils ont quitté leur pays pour fuir la misère et les discriminations contre les Roms. Sans aucune ressource, ils se sont retrouvés en bidonville par défaut », relate-t-elle. Robert secoue la tête : « Jamais je ne reviendrais vivre ici, même si on me donnait des millions. »

La quête de l'autonomie

Pourtant, pour ces migrants, dont certains ont déjà connu l’errance de terrain en terrain, la Flambère représente une certaine sécurité. Et ce depuis que l’ancienne municipalité l’a stabilisée au tournant des années 2010, trouvant un accord avec le propriétaire pour éviter une expulsion imminente. Fin 2015, la nouvelle équipe a engagé une politique d’accompagnement des habitants pour les aider à s’insérer professionnellement et par le logement : un objectif « d’inclusion dans la société toulousaine », pour Daniel Rougé, adjoint au maire chargé des affaires sociales et de la solidarité.
« Nous avons préfiguré l’instruction du 25 janvier 2018 », souligne l’élu. Ce cadre d’action national encourage à résorber les bidonvilles en accompagnant les personnes le temps qu’elles demeurent sur le terrain, dans l’attente de solutions de relogement, plutôt qu’à les expulser.

« J’ai rencontré des gens qui m’ont aidé et je sais qu’on peut s’en sortir » Luca, 22 ans

Trois fois par semaine, des travailleurs sociaux vont à la rencontre des familles. « Nous cherchons à comprendre leurs parcours et leurs besoins. Nous identifions ce qu’il y a à faire pour qu’elles trouvent du travail et un logement pérenne », explique Hélène Mahieu de Soliha31, l’association à qui la mairie a confi é ce suivi de proximité. « L’objectif est aussi de les rendre autonomes dans leurs démarches », précise-t-elle. D’abord, il faut veiller à ce que les habitants aient leurs droits ouverts à l’assurance maladie et à Pôle emploi et qu’ils s’approprient l’accès aux soins, ce qui est à présent le cas pour la majorité d’entre eux. Les adultes sont encouragés à suivre des cours de français auprès d’associations partenaires, porte d’entrée vers l’insertion professionnelle. Ensuite, une formation et une aide dans leur recherche d’emploi peuvent être proposées. Enfin, les familles sont aidées dans la recherche d’un appartement adapté. « On arrive à avoir de bons résultats », se félicite Hélène Mahieu : ainsi, 30 personnes ont pu trouver un emploi salarié, dont quatre en CDI. Près de 20 familles ont pu quitter définitivement le bidonville.

Des installations insalubres et vétustes composent le bidonville de la Flambère

« L’école, c'est pour tout le monde »

Luca et sa femme entrevoient le bout du tunnel. Comme une dizaine d’autres familles, ils ont déposé un dossier pour obtenir un logement social. Ils ne savent pas le temps que cela prendra, mais Luca est confiant. Avec l’optimisme de ses 22 ans, il affirme : « Depuis que je suis arrivé ici à l’âge de 11 ans, j’ai essayé de m’attacher à la vie. J’ai rencontré des gens qui m’ont aidé et je sais qu’on peut s’en sortir. » Luca s’investit pour les autres. Il s’implique dans des ateliers collectifs mis en place depuis un an par Solhia. Leur but : créer une dynamique entre les habitants autour de la citoyenneté, les droits et devoirs, l’intégration. En plus de son temps partiel dans une société de nettoyage, le jeune homme s’est engagé dans un service civique avec Rencont’roms nous, une association qui veut « déconstruire les préjugés sur les Roms » selon son fondateur, Nathanaël Vignaud. Alisa et Roxana, respectivement 21 et 18 ans, également en service civique, et Andrei, 16 ans, en stage d’orientation dans l’association, tous trois anciens habitants du bidonville, viennent prêter main-forte. Tous ont fait de la médiation scolaire leur cheval de bataille. Auprès de la direction de l’école, ils expliquent que les conditions de vie précaires et les discriminations empêchent souvent une scolarité régulière. Et, aux parents, le fonctionnement de l’école et son importance pour l’intégration. Andrei l’affirme : « L’école, c’est pour tout lemonde, même pour ceux qui sont à la rue. » À la Flambère, l’assiduité est encore chancelante, mais tous les enfants sont inscrits.


Activités de survie

Ces derniers mois, la médiation a également permis à chaque famille d’obtenir sa propre poubelle. Une sensibilisation aux toilettes sèches sera bientôt organisée à la demande de la mairie, qui les a faites installer il y a près de deux ans. Les huit cabines sont reléguées côte à côte dans un petit bois, en lisière du terrain. Il est aisé de comprendre qu’elles soient si peu utilisées. Il est également facile d’imaginer les efforts quotidiens pour s’assurer un minimum d’intimité et d’hygiène, lorsque seuls sept ou huit tuyaux d’eau, traînant à même le sol et fuyant par endroits, desservent le terrain. A l’entrée du bidonville, un amoncellement de ferrailles témoigne d’activités de survie. Plusieurs familles en dépendent encore. Si globalement la situation s’améliore, « certains sont en grande difficulté », alerte Luca. Lorsque la priorité est de trouver à manger au jour le jour, que l’on vieillit ou que l’on rencontre des problèmes de santé, s’impliquer dans un long processus d’insertion devient compliqué. D’ailleurs, dans la capitale régionale, plus de 1 500 adultes et enfants, migrants originaires de l’Union européenne pour la plupart, mais également extra-communautaires, attendent des solutions. Ils vivent dans une dizaine de bidonvilles et entre 60 à 90 squats (chiffres de la mairie de Toulouse, 2018). Finalement, l’insertion des personnes en bidonvilles n’est pas spécifique à une certaine minorité : c’est un enjeu de lutte contre la grande précarité et l’habitat indigne, avec des processus longs et fragiles, mais qui peuvent trouver des résultats. Telle est la conclusion d’une étude nationale2 . A Toulouse, on y croit.

1. Chiffres Mairie de Toulouse. Médecins du Monde en dénombre plutôt 150.

2. L. Bourgois, A. Le Clève, E. Masson- Diez, O. Peyroux, « Du bidonville à la ville : vers la vie « normale » ? Parcours d’insertion des personnes migrantes ayant vécu en bidonvilles en France », novembre 2015.

Plus d'infos : rencontromsnous.com
www.medecinsdumonde.org

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !