Dans cet épisode du podcast What if to what next, Rob Hopkins se demande : et si la terre était détenue et gérée pour le bien commun ? Ses invités sont Guy Shrubsole, militant écologiste et auteur, et Kate Swade, engagée dans le partage de technologies et de données, et dans une réflexion de nouvel avenir pour la terre.
Rob Hopkins : Bienvenue sur le podcast où l'imagination compte plus que tout, où nous imaginons le monde tel qu'il pourrait être si nous pouvions réaliser nos rêves. Comme le dit Nnedi Okorafor : « Vous n'êtes pas fou, vous êtes juste prêt à changer ».
Notre question, aujourd'hui, est : et si la terre était détenue et gérée pour le bien commun ?
Pour y répondre, nos invités sont : Guy Shrubsole et Kate Swade.
Kate Swade est codirectrice de Shared Assets et de la Digital Commons Co-operative. Elle s'intéresse à l'infrastructure invisible nécessaire pour un monde plus juste, les données, la gouvernance, etc.
Guy Shrubsole est un militant écologiste et auteur. Son premier livre, l’excellent Who Owns England [Qui possède l'Angleterre ? non traduit en français] nous plonge dans les opaques secrets de la propriété foncière et explique comment une petite élite est arrivée à posséder la majeure partie de l'Angleterre. Il est également l'un des organisateurs d'une intrusion massive qui a eu lieu récemment à Totnes, ma ville.
Cette intrusion massive a permis à des centaines de personnes de se promener et pique-niquer sur un terrain appartenant au duc de Somerset, qui est un terrain subventionné par l'argent public, mais interdit au public. Cette opération a rencontré un énorme succès et a généré de nombreux débats nationaux autour de la question de la propriété foncière.
En effet, en Angleterre, seulement 1% de la population possède la moitié des terres. À titre d'exemple, près de la moitié de Dartmoor(1) appartient à seulement quinze propriétaires terriens. Une grande partie appartient à l'aristocratie et à la noblesse, et, plus récemment, aux banquiers, oligarques et entreprises privées. Dans les années qui ont suivi l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, en 1979, environ la moitié des terres autrefois détenues par le secteur public ont été vendues et privatisées.
Les citoyens n'ont le droit de parcourir que 8 % de l'Angleterre, contrairement à l'Écosse où, depuis 2003, il existe un droit légal d'accès sur la plupart des terres du pays. Cette interdiction d'accès à notre propre terre existe depuis longtemps. Alors qu’en 1600, la terre commune couvrait environ 30% de l'Angleterre, elle n'est aujourd'hui plus que de 3%.
Pourtant, l'urgence climatique et écologique exige une grande réforme sur la façon dont les terres sont utilisées : réensemencement, reboisement, utilisation régénérative des terres, permaculture à grande échelle et agroforesterie. Donc, comment une société qui n'a pas accès à la terre peut-elle faire face à une urgence climatique et écologique ? Et donc, si la terre est la propriété d'un petit nombre de propriétaires, qu'est-ce qui rendrait possible une utilisation plus équitable de la terre pour le bien commun, donc pour un plus grand nombre de personnes ?
Guy Shrubsole : En Angleterre, la propriété foncière est extrêmement concentrée : 1% de la population possède la moitié des terres. Cela signifie que les propriétaires ont une énorme influence sur la façon dont les terres sont utilisées. Le concept de propriété est en fait assez complexe. Nous avons tendance à penser que les propriétaires possèdent cette terre et qu'ils en font ce qu'ils veulent. Mais en fait, la propriété foncière concerne tout un ensemble de droits de propriété liés au féodalisme puis au capitalisme. Ce droit ne concerne donc pas seulement la simple possession de terres, mais aussi le droit d'exclure les autres, de pouvoir faire fructifier cette terre, de la cultiver ou non, ou de la louer. C'est également le droit de pouvoir la détruire ou mettre en friche. Nous le voyons dans de nombreux sites abandonnés. C'est un énorme pouvoir, notamment celui d'empêcher les autres d'entrer dans cet immense domaine de plus de 40 kilomètres carrés. Bien que la communauté ait contribué à en faire un endroit agréable à vivre et que le secteur public ait investi dans les routes et les équipements, le propriétaire sera la seule personne à vraiment bénéficier de la plus-value de ce terrain. Ce sont là quelques-unes des injustices du système actuel. Donc je pense qu'il faut commencer à examiner ces différents droits et nous demander si cela doit perdurer ainsi. Car, oui, il peut y avoir une propriété privée, mais dans quelle mesure ? Dans de nombreux autres pays, cela ne se passe pas de cette façon et, à d'autres époques, il n'en a pas toujours été ainsi.
« Imaginer la propriété d'une manière différente, notamment par rapport à la façon dont nous pouvons répondre à l'urgence climatique, serait très utile. »
Kate Swade
Rob Hopkins : Kate, qu'en pensez-vous ?
Kate Swade : Imaginer la propriété d'une manière différente, notamment par rapport à la façon dont nous pouvons répondre à l'urgence climatique, serait très utile. Nous soutenons de nombreux et différents organismes communautaires qui gèrent des terres ou tentent d'accéder à la propriété. Notre système découle de l'histoire et semble immuable. Or, il y a des exemples étonnants, à travers le pays, de personnes qui réalisent des choses merveilleuses dans des propriétés communes de terres et de bâtiments. Souvent le processus est long à mettre en place. Cependant, il arrive que des personnes héroïques, pendant leur temps libre, essaient de se réapproprier un site pour en faire quelque chose de bien. Il y a quelques années, ou quelques mois, des citoyens de Langholm ou d'Écosse avaient lancé un financement participatif pour améliorer la propriété commune et la régénérer. Cela montre quel genre d'initiative et quel monde sont possibles. Imaginez si les propriétaires terriens avaient des responsabilités égales à leurs droits, et que l'une de ces responsabilités concerne l'avenir commun, et pas seulement leur compte en banque. Mais qu'entendons-nous par « propriété » ? Nous pouvons commencer à examiner ce que nous voulons vraiment conserver et ainsi, peut-être, faciliter la tâche des communautés ou des organisations publiques, ou simplement des entrepreneurs individuels, qui veulent créer quelque chose de productif avec la terre.
Rob Hopkins : Et que pouvons-nous apprendre des autres pays sur la façon dont la terre peut profiter à la communauté ?
Kate Swade : Des pays ont commencé à réfléchir à la façon dont la plus-value foncière est partagée. Par exemple, lorsque vous possédez un terrain, vous ne le créez pas. Vous possédez une partie de la Terre et de ses écosystèmes, qui existent depuis des milliards d'années. Donc le duc de Westminster a eu beaucoup de chance en héritant par mariage, il y a plusieurs centaines d'années. À l'époque, il s'agissait de champs très marécageux qui, depuis, sont devenus Mayfair et Belgravia, c'est-à-dire des quartiers aujourd'hui très prestigieux et onéreux. Ils ne sont pas prestigieux parce que le duc de Westminster en était propriétaire par héritage, mais parce que le secteur public a investi dans des routes et des infrastructures, etc., et que beaucoup de gens ont décidé d'y vivre, d'y acheter des maisons et en ont fait des quartiers prestigieux.
Guy Shrubsole : La communauté, à travers l'État ou des collectivités territoriales, a contribué à aménager des sites. Il y a de nombreuses façons de conserver, d'entretenir et de gérer la terre. Le rôle des autorités locales et des conseils locaux pourraient intervenir et offrir plus de terres pour le bien commun. Des organisations municipales locales, déjà existantes ou à créer, auraient le pouvoir de posséder, d'acquérir, d'acheter des terres et de les gérer de façon stratégique à long terme. Mais ils sont souvent absents de ces débats et je pense que quand on parle de la communauté, on peut penser notamment au rôle de l'État.
« Des organisations municipales locales, déjà existantes ou à créer, auraient le pouvoir de posséder, d'acquérir, d'acheter des terres et de les gérer. »
Guy Shrubsole
Kate Swade : Pour sortir de cette urgence climatique, nous devons presque tout réinventer. L'une des opportunités incroyables de la réforme agraire serait de penser différemment à la terre et réfléchir à ce que signifie vraiment d'être dans un lieu, appartenir à un lieu et appartenir à la terre. Si nous sommes capables de repenser nos relations avec la terre, nous devrons également repenser nos relations entre nous et nos relations avec l'État. Et je pense que toutes ces choses sont nécessaires pour en sortir. Actuellement, la façon dont la terre est détenue, contrôlée et gérée est essentiellement une question d'exclusion et de mise à l'écart des gens. Mais en fait, nous avons besoin de processus beaucoup plus étendus pour vraiment débloquer ce qui pourrait être possible.
Rob Hopkins : Je veux, comme nos auditeurs, participer à la mise en place de cette réforme agraire, de là où je suis. Il y aurait-il une chose que vous pourriez suggérer, indiquer ou nous recommander pour nous aider à nous impliquer ? Quel serait votre seul premier conseil ?
Kate Swade : Je suppose que la plupart des gens qui s'intéressent à la réforme agraire dans la région s'intéressent également au logement, à la justice et peut-être à la campagne anti-gentrification ou aux droits d'accès routier. J'encourage donc les gens à rechercher des personnes qui œuvrent dans ce sens et à les rejoindre. D'autres, ailleurs, partagent vos points de vue.
1. Le Dartmoor est une région montagneuse du centre du Devon, au nord de Plymouth, en Angleterre.
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