[DOSSIER] Transition écologique : la valse des partis !

Publié le mer 12/05/2021 - 10:44

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Par Elodie Crézé

La transition écologique, préoccupation tant citoyenne que politique, apparaît en véritable enjeu de la campagne des élections régionales 2021. Autour de cette question, des alliances politiques se forment, des stratégies se mettent en place. Les écolos d'EELV, forts de la vague verte des dernières municipales, espèrent garder leur avantage et se montrent offensifs. Au prix, parfois, d'éviter de rejoindre leurs alliés historiques.

Les élections régionales, reportées pour cause de crise sanitaire les 20 et 27 juin prochains, sont perçues comme une marche supplémentaire à franchir avant l'échéance de 2022 par les écolos : « Cette préparation de la présidentielle, on la prend avec une rigueur extrême », amorçait Julien Bayou, le patron des Verts, lui-même tête de liste en Ile-de-France, lors de ses voeux à la presse en janvier dernier. Entendez : « créer une dynamique et nous propulser vers 2022. », comme l'exprime clairement Matthieu Orphelin(1), tête de liste sans étiquette dans les pays de la Loire.

Un tremplin vers l'Élysée, certainement. C'est dire si le risque évoqué d'un deuxième report des élections a rencontré des réticences dans le monde politique. Au-delà de la question de 2022, il n'en demeure pas moins que l'écologie reste un véritable enjeu de ce scrutin. Un « enjeu phénoménal », arguait Julien Bayou, dans le sens où les régions peuvent incarner « le fer de lance » de la transition écologique. « Dans un moment où tout le monde se repeint en vert, ces listes [EELV- Ndlr] seront les seules qui feront encore de l'écologie après les élections », assurait encore le patron des Verts.

Rares en effet sont ceux qui envisagent de laisser l'écologie sur le bord des programmes, au risque de le payer au niveau des retombées électorales :  « Les responsables politiques ne veulent laisser à aucun concurrent le possible monopole d'une telle thématique, face à la constatation d'une préoccupation relevée dans l'opinion publique », décryptait Brice Teinturier(2), analyste politique et directeur général délégué de l'institut de sondages Ipsos. Mais au-delà du seul  enjeu électoral, la transition écologique apparaît à la croisée de plusieurs compétences portées par les régions : qualité de l'air, eau et littoral, développement des énergies renouvelables, énergie dans le bâtiment, protection de la biodiversité, développement et appui à une économie circulaire, etc. (Cf article précédent).

Changer le modèle

D'un parti à l'autre, différentes visions de l'écologie se font face. (Lire encadré). Pour schématiser, les Verts (EELV) et La France insoumise (LFI) estiment qu'il est nécessaire de changer de modèle économique pour sauver la planète, alors que Les Républicains (LR) et La République en marche (LaREM) s'accordent pour tenter de concilier croissance économique et défense de l'environnement. Côté Rassemblement national (RN), un peu de vert oui, mais à condition de s'émanciper d'une « écologie punitive », dénonçait la présidente Marine Le Pen, lors d'une conférence de presse, début mars 2021. Place donc à l'écologie "patriote" : l'achat "made in France", qui aura certes un impact écologique, mais qui est loin de résoudre tous les problèmes de la planète dans un contexte de globalisation. Un positionnement qui faisait dire à l'historien des idées et spécialiste des droites radicales Stéphane François, dans un entretien accordé au journal Le Monde en mars dernier, que le RN n'était en fait « toujours pas converti à l'écologie ».

Difficile alors, dans ce maelstrom d'idées, de former des alliances politiques, pourtant nécessaires - notamment du côté de la gauche -, pour espérer compter sur l'échiquier politique local. Les Verts, forts de leur succès aux municipales, envisagent de mener leur barque en toute autonomie dans certaines régions, au risque de ne pas toujours réussir à atteindre le second tour. (4)

Une attitude jugée parfois hégémonique par les potentiels alliés d'EELV, comme leur reprochait le chef de file de LFI, Jean-Luc Mélenchon(5) : « Dans toutes les régions, ils refusent une discussion nationale pour les régionales et […] nous disent : “Nous voulons faire une liste mais c’est nous la tête de liste” ». Et plus tard, poursuit l'Insoumis en chef : « Les écologistes considèrent absolument partout qu’il n’y a qu’eux qui peuvent être tête de liste et par conséquent il ne supportent rien ». Le 21 mars, Jean-Luc Mélenchon proposait toutefois un compromis aux écologistes, en acceptant que LFI n'ait qu'une seule tête de liste et EELV les autres, dans 6 régions en discussion. Concernant l'accord sur la tête de liste, le leader de LFI suggérait l'Ile-de-France, avec Clémentine Autain, ou la PACA. Une proposition vertement accueillie par Julien Bayou, qui pour autant, ne fermait pas la porte aux discussions : « On ne va pas faire du troc de régions, et surtout, on laisse chaque région décider de sa stratégie ; ce n’est pas la direction nationale qui décide ». Naturellement...

Pas d'alliance avec LaREM

L'idée de mettre de côté des divergences idéologiques pour s'unir et gagner sur un projet local, n'est donc pas sans poser un certain nombre de difficultés, au regard de celles constatées pour former des alliances sur tout le territoire entre EELV et la gauche. (Lire encadré Alliances).

La droite, sans surprise, donnée favorite dans plusieurs régions, n'envisage nulle alliance avec EELV mais pourrait toutefois se rapprocher de listes locales écologistes sans étiquette voire classées à droite ou au centre, comme Cap21 de Corinne Lepage. Aucun rapprochement n'est envisagé non plus entre les listes écologistes et LaREM. Celle-ci tente de convaincre - avec peine, au vue des manifestations de mars dernier - de son engagement en faveur de la transition écologique, en continuant d'appuyer son action sur des personnalités écologistes, souvent anciens d'EELV.(6) Face aux candidats de LaREM, parfois, des membres de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), déçus du rabotage de ses propositions par l'exécutif qui se lancent en politique. Ainsi, deux d'entre eux ont annoncé leur union avec la gauche et les écologistes pour conquérir les Pays de la Loire aux régionales 2021. « Il n'y aura pas d'alliance de second tour avec LaREM », précisent-ils. De fait, estime l'une des deux candidates et membre de la CCC Mélanie Cosnier, « quand je vois que certaines mesures ne passeront pas au niveau national, je me dis que la région peut être le bon échelon pour bouger ».

D'ailleurs, dans les régions, les têtes de liste vertes ont veillé à reprendre certaines préconisations des 150 citoyens. C'est notamment le cas avec le plan ferroviaire à 1,5 milliard d'euros en Auvergne-Rhône-Alpes, un soutien renforcé à l'agriculture bio dans les Hauts-de-France, ou encore la mise en place d'une alternative végétarienne quotidienne dans les cantines en Ile-de-France. De quoi mettre un petit taquet à l'exécutif sur la question écologique : « Le gouvernement parle beaucoup mais agit peu, on le voit avec le projet de loi Climat, vidé de son sens. En face, les écologistes agissent, dans les villes, dans les métropoles, comme à Lyon où on a instauré un RSA jeune(7)… Demain, à l’échelle régionale, on peut réaliser ce que le gouvernement rechigne à faire », assurait la secrétaire nationale adjointe Sandra Regol lors de la conférence de presse du 31 mars dernier. Sur quoi Julien Bayou ajoutait : « L’avenir, c’est l’écologie. Le passé, c’est le Rassemblement national ; le présent, où il faut s’adapter sans cesse sans cap ni vision, c’est La République en marche.»

Un positionnement et une assurance qui tendent à démontrer que la donne a bel et bien changé pour les Verts. Ces derniers peuvent désormais compter comme une véritable force politique et une alternative crédible face à la droite. « On assiste à une montée en puissance de l’écologie dans la population, mais aussi au niveau politique. Avec les régionales, nous voulons réaliser une consolidation de l’écologie politique », concluait ainsi Julien Bayou. Rendez-vous est pris pour les électeurs les 20 et 27 juin prochains. Les urnes, alors, se teinteront peut-être de nouveau de vert. Mais pour cela, il faudra toutefois réussir à convaincre d'éventuels partenaires pour le second tour...

 

Note de bas de page :

(1) Source citation : Reporterre. D'ailleurs, EELV prépare dès à présent son programme pour 2022, avec le lancement de sa plateforme, l'écologie, 2022 ! - les 10 premiers chantiers - www.2022lecologie.fr

(2) Source : France Info

(3) Marine Le Pen lançait alors : « Face au  diktat d'une écologie punitive, nous affirmons notre volonté de rendre désirable, ce qui est nécessaire ».

(4) Pour mémoire, il faut atteindre 10 % des inscrits du premier tour pour atteindre le second tour des régionales et les listes peuvent fusionner dans l'entre deux tours.

(5)  Source : France Inter

(6) C'est le cas de Barbara Pompili, l'actuelle ministre de la Transition écologique, de Pascal Canfin ancien directeur du WWF et député européen ou encore de l'éphémère président du Palais-Bourbon, François de Rugy, chef de file LaREM pour les régionales en Pays-de-Loire.

(7) Lyon souhaite déployer un « Revenu de solidarité jeunes » (RSJ). Il s'agirait d'une allocation mensuelle de solidarité de 300 à 400 euros par jeune.

 

La transition écologique : partis pris !

Conversion réelle, libérale ou anti-capitaliste, timorée, marquée à l'écologie ou simple "greenwashing" de la campagne, les différentes visions de l'écologie politique des partis s'expriment ensuite clairement sur des sujets concrets. Si l'objectif est le même (la protection de la planète), les moyens sont très différents. Sur les choix économiques et sociaux d'abord. Comme le mentionne Dominique Bourg : « une première voix mentionne qu'une société écologisée n'est possible que si l'on resserre les inégalités de revenus. Car les riches se sont octroyé un droit de détruire les conditions de vie sur terre supérieur à celui des pauvres. Chaque fois qu'il y a inégalités, il y a droit de destruction. Une autre voix consiste à dire que pour écologiser la société, il suffirait qu'une infime minorité possède tout et le plus grand nombre rien. Ainsi, peu de ressources seraient consommées au final. »

Autre point d'achoppement par exemple, celui des éoliennes. Sur le sujet, LFI, EELV et PS se montrent favorables à leur développement, contrairement au RN et à LR. Quant à LREM, le positionnement n'est pas franchement marqué, en dépit d'un soutien à la programmation pluriannuelle de l'énergie. Le Président Macron se montrait ainsi prudent en affirmant, lors d'une conférence de presse (janvier 2020), que « la capacité à développer massivement de l’éolien (…) [était] réduite ». Chaque sujet de société, même avec une visée écologiste, peut donc être vu selon différents prismes. Et donner des politiques de terrain très différentes.

 

La stratégie des alliances Gauche/ EELV

Depuis la fameuse phrase de Yannick Jadot en 2019  :« Nous appelons au rassemblement de toutes les forces écologistes qui veulent gouverner. Nous voulons préparer la conquête et l’exercice du pouvoir par un mouvement démocratique en rupture avec les anciens clivages partisans à l’égard desquels nous affirmons notre indépendance », la tête du parti EELV, - a contrario de son fondateur Réné Dumont en 1974 qui était contre le capitalisme agressif et altermondialiste  -, a placé son écologie politique « ni de droite/ni de gauche » ou « et de droite/et de gauche », selon ses interlocuteurs.

En revanche, du côté des militants de terrain, les alliances avec des partis centristes ou de droite (Génération écologie, Mouvement écologiste indépendant, Cap 21, ou l'Alliance écologiste indépendante)– bien qu'écolos – passent mal et la tendance est plutôt à un rapprochement avec les listes de gauche. Du coup le parti avance en ordre dispersé, dans un climat interne « très compliqué et tendu », nous confie un militant en Paca. Car si l'objectif de chacun est la victoire, les moyens pour y parvenir ne sont pas les mêmes. À chaque fois que le parti a tenté d'imposer à ses militants un candidat « mesuré » en tête de liste, c'est à dire un candidat qui ne remettrait pas en cause le système, il s'est heurté à une levée de boucliers. Dernier exemple en date : l'édifiante éviction de Nicolas Hulot au profit d'Eva Joly en 2012; madame 2%... Et à chaque fois qu'il est parti seul, ses électeurs n'ont pas été suffisants pour atteindre la victoire, excepté toutefois lors des dernières municipales.

Excès de confiance ?

Mais du coup quelle stratégie adopter en région avant l'épreuve tant attendue de la Présidentielle ?

Eh bien elle est plurielle, la stratégie. Quitte à devenir inaudible pour les électeurs, sur le plan des valeurs et des priorités. Déjà en Ile-de-France, région phare de 12 millions d'habitants, l'accent est  mis sur des alliances de second tour. En gros : aucune candidature commune au 1er tour. Chaque parti portera haut ses couleurs (EELV avec Julien Bayou). Excès de confiance ? La stratégie est risquée puisque le dernier sondage en date (BVA, mars 2021), donne Valérie Pécresse largement en tête, suivie des candiats RN et LaREM. Tous les partis de gauche et EELV fleurtent avec les 10 % au premier tour. Donc pourraient laisser une triangulaire toute bleue au second tour.

En revanche, une alliance emblématique de la gauche autour de EELV est actée dans les Hauts-de-France, où PS, PC et LFI se sont alliés derrière une tête de liste écologiste, la députée européenne Karima Delli. Pour la gauche, s'unir aux écologistes sert une ambition claire : revenir dans l'hémicycle régional, dont elle a été absente durant 6 ans. En 2015, en effet, elle s'était retirée au profit de la droite pour faire barrage à l'extrême droite.

À situation similaire, stratégie différente en PACA, où c'est carrément « la guerre », nous confie une source chez EELV. Tandis que l'instance nationale d'EELV a formé une alliance début mars avec d'autres partis écolos pour mener une liste indépendante, les militants régionaux espéraient une alliance avec la gauche (PS Génération.s et LFI) pour faire barrage au RN. Et ainsi ne pas revivre un "2015 bis" : tous les partis de gauche et écolos s'étaient retirés au second tour pour faire barrage à l'extrême droite. Stratégie reboutée : Jean-Laurent Felizia portera seul l'écologie, face à la gauche, la droite et le RN. Triangulaire assurée ! Le RN se frotte les mains !

Et les exemples se poursuivent, en Occitanie, où la gauche n'est pas parvenue non plus à séduire les écologistes. Carole Delga, socialiste à la tête de la région, a affirmé son intention de faire barrage au RN, en bonne posture dans les sondages. Mais si elle est parvenue à rassembler les socialistes, les communistes et les radicaux de gauche, elle n'a obtenu qu'un soutien mitigé des écologistes : 4 sur les 8 élus verts de la majorité sortante se sont ralliés à elle, avec en plus celui de l'ancien député européen écologiste, José Bové. Les autres élus se sont rapprochés d'Antoine Maurice, l'ancien candidat à la mairie de Toulouse avec Archipel citoyen, en 2020. Aujourd'hui tête de liste EELV, il a décidé de s'allier à Génération-s et les régionalistes et a refusé une alliance avec LFI. Les mêmes difficultés pour la gauche et les écologistes à s'unir ont persisté en Auvergne-Rhône-Alpes, Centre-Val-de-Loire, Bretagne et Nouvelle-Aquitaine.

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