[DOSSIER] Pour relocaliser, il faut produire autrement

Publié le lun 26/10/2020 - 07:57

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Propos recueillis par Guillaume Bernard 

La France a depuis longtemps délocalisé une partie de sa production. Or la pénurie de masques pendant la crise sanitaire a rappelé à quel point l’autonomie productive était une question importante et les relocalisations nécessaires. Également bénéfiques sur le plan social et environnemental, ces dernières sont régulièrement invoquées par les politiciens de tous bords. Mais ces paroles sont rarement suivies d’actes. Pourquoi ? Entretien avec Murielle Bruyère, maître de conférences en économie à l’université Toulouse II et membre des économistes atterrés.

 

Les grands discours mettant en avant la nécessité de relocaliser une partie de notre production se multiplient depuis quelques années, et encore davantage depuis la crise de la Covid-19. Or on constate qu’ils sont peu suivis d’effets. Comment l’expliquer ?

Il faut avant tout bien comprendre qu’aujourd’hui nos grandes entreprises fonctionnent avec des réseaux d’unités productives, réparties aux quatre coins de la planète. C’est ce qu’on appelle une chaîne globale de valeur et celle-ci est dominée par ceux qui en maîtrisent le bout, livrent le produit fini, posent la marque : Nike, ou Apple par exemple. Ce sont ces firmes multinationales qui décident de l’organisation du maillage industriel mondial. Les grands discours gouvernementaux sur le consommer et produire français sont donc relativement vains à l’échelle des masses puisque les États n’ont pas réellement de prise sur cette organisation.

Vous évoquez dans votre note de juin1 « La part sombre de l’industrie : la relocalisation industrielle à l’heure du capitalisme numérique », une version forte de la relocalisation, que vous opposez à une version plus faible. Pouvez-vous nous éclairer sur cette distinction ?

Une relocalisation réelle, forte, ne peut pas seulement vouloir dire rapatrier quelques maillons industriels de la chaîne de valeur en France. Si on se limite à cela, la relocalisation restera trop fragile et les firmes multinationales n’hésiteront pas à délocaliser l’unité rapatriée dès que l’occasion de faire plus de bénéfice ailleurs se présentera. En clair : si l’ensemble du système productif reste mondial et dominé par des firmes multinationales, il n’y aura pas d’autonomie productive. Un retour de notre souveraineté productive ne peut se faire qu’en relocalisant l’ensemble d’une chaîne de valeur.

On voit au contraire que la période post-confinement est l’occasion pour certaines grandes entreprises d’aller chercher de la compétitivité ailleurs et donc de  délocaliser. C’est le cas d’Airbus qui a récemment stoppé un programme de fabrication de nacelles prévu à Nantes pour le confier à un sous-traitant américain.

Il est clair qu’il n’y aura pas de relocalisation sans limitation de la concurrence. Les entreprises, tout comme les consommateurs, ne peuvent pas à la fois être inondées d’offres à bas coût et se voir reprocher d’y céder. Or si ces produits coûtent peu cher, c’est parce qu’ils ont été produits dans des conditions sociales et écologiques déplorables et il faut donc les taxer à la frontière. C’est pour cela qu’il ne faut pas ratifier les accords commerciaux comme le CETA, qui cherche à augmenter les échanges entre le Canada et l’UE et entrave de fait les initiatives de relocalisation.

Limiter les importations, c’est prendre le risque de voir nos produits d’exportation eux-aussi taxés par les autres pays. Ce qui pourrait faire péricliter certaines industries et donc des emplois. Comment gérer cela ?

Je soutiens que l’on ne peut pas parler de relocalisation sans parler de réduction de la taille des entreprises. Il faut donc à la fois réduire le nombre de salariés mais également le nombre d’unités productives qui constituent la chaîne de valeur.

Cela va bien-sûr entraîner une baisse de la productivité de ces entreprises mais celle-ci doit être anticipée voire souhaitée. Cela ne veut pas nécessairement dire perte d’emplois, ces nouvelles entreprises redimensionnées devront proposer des emplois dans lequel le travail sera moins mécanisé, donc moins gourmand en énergies fossiles et plus vivant donc créateur d’emplois. Selon moi, l’autonomie industrielle passera forcément par la création d’un tissu de petites et moyennes entreprises industrielles intégrées à leur territoire et produisant des biens pour celui-ci.

Plus d’infos : https://atterres.org

http://universitepopulairetoulouse.fr/
 

Note de bas de page : 1.http://atterres.org/sites/default/files/Note%20EA%20Relocalisation%20industrielle.pdf

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