[DOSSIER] Expulsions, atteintes à la biodiversité, climat : Total à la barre

Publié le jeu 08/07/2021 - 18:08
© Juliette Renaud. Les chutes de Murchison Falls sur le Nil Victoria. Le projet de Total prévoit notamment de faire passer un oléoduc souterrain sous le fleuve.

Par Elsa Gautier

La loi sur le devoir de vigilance alimente depuis deux ans un véritable feuilleton judiciaire impliquant la firme Total. En 2019, une première action en justice cible la vigilance défaillante de Total dans ses investissements en Ouganda, où la major pétrolière construit un pipeline géant. En 2020, nouvelle affaire : le géant pétrolier est cette fois accusé de négliger le risque climatique lié à ses activités.

Le parc naturel des Murchison Falls, à l'ouest de l'Ouganda, est plein de trésors :  outre des chutes d'eau splendides, on y trouve des éléphants, des girafes, des hippopotames... et du pétrole. Le projet Tilenga, opéré par Total, prévoit de forer 400 puits à la lisière et même à l'intérieur de cette aire protégée depuis 1926 ! L'or noir serait ensuite acheminé via un oléoduc de 1 445 km jusqu'à un port de l'océan Indien...  Aux yeux du journaliste et militant écologiste américain Bill McKibben, cité dans le rapport des Amis de la Terre et de Survie, le tracé de ce pipeline géant « semble dessiné pour mettre en danger le plus grand nombre d'animaux possible ».

Expulsions et intimidations

Pour Juliette Renaud, chargée de campagne sur la régulation des multinationales aux Amis de la Terre France, « l'urgence actuelle, plus qu'environnementale, est sociale. Pour construire toutes ces infrastructures, des dizaines de milliers de personnes sont en train d'être expulsées de leurs terres. » Plus de 100 000 personnes seraient impactées en Ouganda et en Tanzanie, dans des régions où domine une agriculture vivrière. « Les personnes affectées nous disent qu'elles ont souvent été forcées à signer des formulaires de compensation (valant acceptation de l’évaluation et du montant) suite à des intimidations, témoigne-t-elle. Sur le tracé du pipeline, certains témoignent même avoir dû signer sans savoir quel sera le montant de la compensation ! »

Pour stopper ces violations, les Amis de la Terre France aux côtés de Survie et de quatre associations ougandaises ont assigné Total en justice. Lors de la première audience en décembre 2019, les ONG ont fait venir deux témoins ougandais. « Ils ont été la cible d'intimidations inacceptables, dénonce Juliette Renaud. L'un d'eux a été arrêté à l'aéroport à son retour en Ouganda tandis que l'autre a été attaqué chez lui dix jours plus tard, la nuit de Noël ! ». A la surprise des associations, le juge de Nanterre s’est déclaré incompétent, considérant que l'affaire, touchant à la gestion de l'entreprise, devait être jugée par un tribunal de commerce, comme l'ont demandé les avocats de Total. Confirmée en appel fin 2020, cette décision est « une interprétation erronée de la loi », estime l'association qui compte se pourvoir en cassation. « L'idée même du devoir de vigilance, c'est de sortir de la gestion interne de l'entreprise, pour se tourner vers ses impacts externes ! », conclut- Juliette Renaud. 

Justice climatique

En 2020, une autre coalition d'associations et de quatorze collectivités - dont Grenoble, dirigée par l'écologiste Eric Piolle - s'est attaquée à son tour à Total. Leur objectif : obtenir du juge qu'il ordonne au géant pétrolier « de prendre toutes mesures nécessaires pour aligner sa trajectoire de réduction des gaz à effet de serre avec les objectifs de l'Accord de Paris », selon Lucie Chatelain, chargée de plaidoyer et contentieux globalisation et droits humains chez Sherpa. Total devrait ainsi, pour atténuer son impact climatique, réduire de 37% sa production de pétrole en 2030 par rapport à 2010. Il est aussi censé cesser immédiatement la recherche de nouveaux gisements d'hydrocarbures. Selon Lucie Chatelain, le devoir de vigilance a en effet vocation « à avoir un impact sur la stratégie d'entreprise et potentiellement à réorienter ou à abandonner certaines activités. » Cette fois, le juge a rejeté la demande de Total de transférer l'affaire au tribunal de commerce. Le géant pétrolier a fait appel. Mais un amendement adopté le 17 avril 2021 dans le cadre du projet de loi Climat, a confirmé la compétence des tribunaux judiciaires concernant les litiges liés au devoir de vigilance.

Dans ces bras de fer avec l'industrie fossile, un signal encourageant est arrivé des Pays-Bas début 2021. Suite à un recours des Amis de la Terre Pays-Bas, le tribunal de La Haye a en effet condamné fin janvier la compagnie pétrolière Shell à réparer les dégâts massifs causés par des fuites répétées de pétrole dans le delta du Niger. « Ce qu'on a à tirer de ce jugement, c'est un espoir : on arrive parfois à gagner contre ces mastodontes !, se réjouit Juliette Renaud. D'un autre côté, il a fallu treize ans pour ce que ça aboutisse..."

--

Bioraffinerie Total : la palme du greenwashing !

A la Mède, près de Marseille, Total s'est lancé depuis 2019 dans la production d'agrocarburants à partir d'huiles végétales : du "biodiesel" et même du "biojet" pour les avions ! Problème : la culture de l'huile de palme, importée pour alimenter la "bioraffinerie", est à l'origine d'une déforestation massive en Indonésie. Le 1er avril 2021, à la demande de Greenpeace, des Amis de la Terre et de France Nature Environnement, le tribunal administratif de Marseille a demandé à Total de revoir l'impact climatique du projet et donné six mois au préfet des Bouches-du-Rhône pour réexaminer l'autorisation d'exploitation.

+ D'INFOS

www.totalautribunal.org/amisdelaterre

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !