[DOSSIER] Plan de vigilance : Les multinationales font-elles leur devoir ?

Publié le jeu 08/07/2021 - 17:59
© CCFD Assemblée des habitants d'Unión Hidalgo, issus de la communauté autochtone zapotèque. La constitution mexicaine garantit leur droit à un consentement libre, préalable et éclairé sur les projets affectant leur territoire.

Par Elsa Gautier

Quatre ans après l'adoption de la loi sur le devoir de vigilance en France, quel bilan peut-on tirer de son application ? Transparence, cartographie des risques, prévention des atteintes : les actions en justice des ONG se multiplient pour obliger les entreprises à faire leur devoir.

Depuis 2017, la loi impose aux multinationales françaises de publier et de mettre en œuvre un plan de vigilance pour éviter que leur activité ne contribue à des violations des droits humains ou à des dégradations de l'environnement. "Ce plan est un support pour assurer un certain niveau de transparence, explique Swann Bommier, chargé de plaidoyer sur la question de la régulation des multinationales au CCFD-Terre Solidaire. Mais ce qui compte, c'est qu’il se passe des choses concrètes sur le terrain. » Le seuil à partir duquel les firmes tombent sous le coup de la loi est en théorie très clair. « Le problème, c'est qu’identifier les entreprises de 10 000 salariés dans le monde relève de la gageure car Il y a une opacité complète », dénonce-t-il. Devant le refus des autorités publiques de fournir les noms des entreprises concernées, le CCFD et l'association Sherpa ont mené l'enquête et établi une liste de 265 firmes. Parmi elles, 61 n'ont publié aucun plan de vigilance à ce jour. C'est le cas du groupe Bigard, de McDonald’s France, de Castorama ou encore du leader mondial des services industriels Altrad, dont le logo apparaît sur les maillots de l'équipe de France de rugby...

Fournisseurs à hauts risques

Les bons élèves de la vigilance sont rares. En 2020, le Forum pour l'Investissement Responsable (FIR) a décerné à Schneider Electric le prix du meilleur plan de vigilance. Grâce à une base de données privée indépendante (Verisk Mapplecroft), le groupe industriel a en effet repéré 1500 fournisseurs "à hauts risques" parmi les 52 000 qui l'approvisionnent. Des audits lancés à partir de 2018 ont permis à l'entreprise d'identifier, notamment en Chine et en Inde, des "non-conformités de priorité absolue" concernant la sécurité incendie, les heures de repos ou l'absence de contrat de travail. Après un délai laissé aux partenaires ciblés pour changer de pratiques, Schneider a annoncé dans son plan de vigilance 2020 avoir mis fin à ses relations avec six fournisseurs défaillants en 2018 et 2019.

Cette transparence est loin d'être la norme. Selon Swann Bommier, « un très grand nombre, voire tous les plans, sont lacunaires". Lucie Châtelain, chargée de plaidoyer et contentieux globalisation et droits humains chez Sherpa, pointe le groupe Téléperformance, coté au CAC 40, qui emploie plus de 300 000 personnes dans ses centres d'appel à travers le monde. « En 2018, ils ont publié un plan de deux pages dans lequel ils n'identifiaient pas les risques de violation de la liberté syndicale alors qu'ils opèrent dans des pays où cette liberté est régulièrement violée », dénonce-t-elle. Aux Philippines par exemple, « une représentante syndicale du secteur des call centers a été arrêtée chez elle et mise en prison sans raison pendant plus d'un mois l'année dernière », raconte-t-elle. Si le droit syndical, "condition de tous les autres droits des travailleurs", est un point clef du devoir de vigilance selon Sherpa, il est peu probable que les multinationales envisagent sa protection comme une priorité absolue...

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Transition verte, vigilance orange

Les activités liées aux énergies décarbonées ne sont pas exemptes de risques pour les droits humains ou l'environnement. Dans un rapport intitulé "Ne minons pas la transition énergétique", l'ONG Sherpa a passé au crible les plans de vigilance de neuf sociétés – dont EDF –  qui extraient ou utilisent des minerais tels que le graphite ou le lithium pour leurs activités "vertes". Malgré les risques de pollution à grande échelle ou de corruption, ces neuf entreprises se contentent le plus souvent de citer dans leurs plans de vagues codes de conduite, dépourvus de mesures de contrôle, et restent muettes sur leurs fournisseurs. EDF a par ailleurs été assignée en justice en octobre 2020 par plusieurs ONG, dont le CCFD, qui lui reprochent d'imposer au Mexique un projet de parc éolien au mépris du consentement des habitants d'Unión Hidalgo, une zone ventée au sud-ouest du pays sur laquelle tous les leaders mondiaux de l'éolien sont en train de se ruer. « Ce n'est pas parce qu'on plante des éoliennes que le droit en vigueur cesse d'exister ! », s'insurge Swann Bommier, pour qui ce cas emblématique pose la question des conditions démocratiques de la transition énergétique.

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