[DOSSIER] Une réelle reconversion écologique est possible

Publié le lun 15/11/2021 - 11:00
© Guillaume Bernard

Par Guillaume Bernard

Rénovation énergétique, développement des transports en commun ou des énergies renouvelables : des emplois réellement écologiques peuvent exister. Mais ils ne se développeront pas sans une volonté politique forte et des concessions en terme de modes de vie pour tout le monde, mais surtout dans les pays occidentaux et pour les classes les plus aisées.

L'exemple de Grandpuits ne doit pas nous faire perdre espoir : écologie et emploi ne sont pas irréconciliables. C’est ce que prouve l'association Négawatt avec ses scénarios prédictifs proposés depuis les années 2000, des moyens d'atteindre la neutralité carbone et la production d'énergie 100% renouvelable à l’horizon 2050. Le dernier scénario, publié en 2017, y parvient en s'appuyant sur le triptyque rénovation thermique des logements - développement des transports collectifs - augmentation de la production d'énergies renouvelables.

« Dans le secteur du bâtiment, la rénovation énergétique augmente de 30% le volume global d’activité, ce qui fait plus que compenser les destructions d'emplois liées à la diminution drastique de constructions neuves que nous souhaitons », explique Philippe Quirion, économiste au CNRS en charge de la partie emploi du scénario Négawatt.

Si le scénario prévoit de supprimer des emplois dans la construction automobile, le fret routier ou le transport aérien, il envisage en revanche la création de 300 000 emplois nets dans la production d'énergies renouvelables et la rénovation thermique à l’horizon 2030. A cette date, le scénario Négawatt anticipe la création nette de 379 000 emplois. « Pour les personnes qui occupent actuellement les emplois menacés, une reconversion de leurs métiers doit impérativement s’anticiper et se préparer », poursuit l’économiste.

Une banque du Climat

Négawatt a beau avoir l'oreille des différents gouvernements français qui ont pu entendre ses propositions lors du Grenelle de l’Environnement en 2007 ou de la COP 21 en 2015, force est de constater que les efforts financiers destinés à la transition écologique restent insuffisants.

La preuve avec le plan de relance de 100 milliards d’euros présenté par le gouvernement en septembre 2020 : « seuls 28 milliards contribuent à la réduction des émissions de gaz à effets de serre alors que 70 milliards d’euros s’inscrivent dans la continuité, annulant les effets des investissements favorables à la lutte contre le changement climatique, voire augmentant les émissions actuelles », estime dans son dossier « Pas d'emploi sur une planète morte » le collectif Plus Jamais Ça, qui rassemble syndicats et associations environnementales.

Mais il n'y a pas de fatalité. Déjà en 2017, un rapport de la Cour des Comptes européenne chiffrait à 1 115 milliards le montant à mobiliser chaque année pour atteindre les objectifs de réduction d'émission de CO2 fixés par l'UE elle-même, tout en engageant une reconversion écologique de l'emploi. L'économiste Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel estimaient alors que seule la création d'une Banque du Climat permettrait d'atteindre cet objectif. Affiliée à la Banque européenne d'investissement, celle-ci aurait accordé des prêts à taux zéro à hauteur de 2 % de leur PIB aux pays s'engageant dans la réduction massive de leurs émissions. Le pacte finance-climat de Larrouturou et Jouzel aurait ainsi permis la création de 900 000 emplois en France d’ici 2050, selon les chiffres de l'Ademe en 2018.

Green New Deal

Certains partis politiques, notamment anglo-saxons, promeuvent également un investissement massif dans la transition écologique. Ce grand plan de relance écologique intitulé « Green New Deal » a été défendu par le britannique Jeremy Corbyn, à la tête du Labour Party jusqu’aux élections législatives de décembre 2019, puis par le nord-américain Bernie Sanders lors de la primaire du Parti démocrate en avril 2020.

Le programme de Bernie Sanders visait 16 000 milliards de dollars d’investissements publics pour la création de 20 millions d’emplois dans les transports en commun, la voiture électrique ou encore les combats contre l'érosion des sols et la pollution plastique. Mais aussi une garantie de maintien des salaires et allocations pendant cinq ans en cas de perte d’emploi dans des secteurs en déclin comme celui des énergies fossiles. Si ces programmes n'ont pas permis de remporter les élections, ils ont tout de même inspiré, dans une moindre mesure, la politique du nouveau président des États-Unis Joe Biden. Après son élection, ce dernier a ainsi injecté 106 milliards d'euros dans le transport ferroviaire, ou encore 16 milliards pour des emplois ciblés sur la reconversion de puits de gaz et de pétrole abandonnés.

Un mode de vie à changer

Mais selon certains économistes, il existe des limites au Green New Deal. S'il a la vertu de ne pas exiger des travailleurs qu'ils choisissent entre la fin du mois et la fin du monde, il masque la nécessité, pour les habitants des pays riches, de choisir entre la crise écologique et le maintien de leur mode de vie. « C’est sa première grande faille, explique Jean Gadrey, économiste, professeur émérite à l’Université Lille I et membre du Conseil scientifique d’Attac, dans son article intitulé Le "Green New Deal" aux États-Unis et en Europe. Il n’y a rien dans le Green New Deal de Sanders qui permettrait de freiner l’avidité consumériste propulsée par la publicité et le crédit, le déploiement sans limites des réseaux techniques, le recours à l’automobile, à l’avion, au transport routier de marchandises. Rien sur la transformation des habitudes alimentaires. Pas de critique du productivisme. »

Ainsi pensé, le Green New Deal ne serait qu'un énième moyen de renouer avec un rêve de croissance verte, qui a déjà montré ses limites. C'est ce que rappelle d'ailleurs le scénario Negawatt. « C'est pour cela que nous prévoyons la rénovation énergétique des bâtiments plutôt que la construction de logements neufs, précise Philippe Quirion. Pour cela que le scénario ne repose pas non plus sur des inventions technologiques futures comme le moteur à hydrogène pour avion mais s'appuie exclusivement sur des technologies existantes. »

Sobriété obligatoire

Et la sobriété ne verra pas le jour sans réglementations et sans contraintes. « Il n’y a aucune chance de parvenir à bifurquer vraiment sans s’en prendre, par des réglementations contraignantes, à l’ébriété matérielle et financière du capitalisme, au consumérisme et au productivisme, sans définir démocratiquement et imposer des quotas et des interdictions », continue Jean Gadrey.

Or pour contrarier l’inarrêtable marche du capitalisme, les États pourraient ne pas suffire. Pour agir, les mouvements sociaux, les syndicats et les associations citoyennes sont plus déterminantes que jamais. C'est justement l'ambition du collectif Plus Jamais Ça né en janvier 2020 et qui rassemble des syndicats et des organisations écologistes comme Greenpeace, les Amis de la terre ou Alternatiba. Dans son « plan de rupture », le collectif détaille 36 propositions pour sortir de l'urgence climatique : parmi elles, « la semaine de travail à 32 heures sans perte de salaire ni flexibilisation », des embauches de fonctionnaires, notamment dans l'hôpital public, mais aussi la taxation des transactions financières et une plus grande progressivité de l'impôt. Des propositions qui visent à influencer les décisions politiques pour que l'avenir de notre planète n'échappe plus aux mains de celles et de ceux qui y travaillent.

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !