[DOSSIER] Fonderie de Bretagne : une transition écologique qui capote

Publié le lun 15/11/2021 - 11:00
© Valentino Belloni

Par Melek D.

Renault abandonne la Fonderie de Bretagne basée à Caudan (Morbihan). Sur fond de politique écologique nationale impulsée par l’Etat, le groupe délocalise sa production. 350 emplois sont compromis. Pourtant des investissements dans de nouveaux outils pourraient permettre d’évoluer vers une vraie production écologique et locale.

« Il nous faut produire davantage en France, sur notre sol », déclarait Emmanuel Macron en 2020. Dans son plan de relance présenté le 28 mai, le président disait vouloir « engager une politique de relocalisation ciblée des filières », au rang desquelles l’industrie automobile. En contrepartie du soutien de l’Etat français (huit milliards d’euros prêtés au secteur, dont cinq au seul groupe Renault), le gouvernement demandait le maintien de la production industrielle sur le territoire. Pourtant, le géant industriel a annoncé le 11 mars dernier être à la recherche d’un repreneur pour le site de la Fonderie de Bretagne (FDB), dont il est propriétaire depuis 2009.

A l’occasion du 1er mai, les ouvriers ont crié à la trahison et les politiques se sont fait les relais de leurs réclamations. « Nous nous sommes battus pour que l’usine ne ferme pas, réagissait alors sur Twitter Loïg Chesnais-Girard, président à la Région Bretagne, rappelant que vingt millions d’euros ont été investis dans le site par les collectivités locales. Nous nous battrons de la même façon pour qu’elle ait un avenir. Renault nous doit de la transparence et des engagements pour l’avenir du site et de ses salariés. »

Délocalisation et dédiéselisation

Mais depuis les années 2000, le secteur automobile a entamé un mouvement général de désindustrialisation et de délocalisation, entraînant un déclin considérable de l’assemblage français des automobiles et, par contre-coup, de l’ensemble de la sous-traitance. « On a commencé par délocaliser le montage des véhicules. Depuis 2017, on délocalise aussi la fabrication des composants, précise Bernard Jullien, expert de l’industrie automobile et maître de conférence à l’Université de Bordeaux. Renault peut tirer les prix à la baisse en achetant ses pièces à des sous-traitants basés au Maroc, en Espagne, en Turquie et dans les pays de l’Est. »

Parallèlement, l’industrie automobile est en pleine dédiéselisation (suppression des motorisations diesel), notamment depuis le dieselgate, un scandale qui a révélé en 2015 que Volkswagen utilisait un logiciel permettant de frauder lors des tests antipollution. Le développement des véhicules électriques est privilégié, à côté de la motorisation essence. « Dans le secteur automobile, on a vécu avec le standard des véhicules thermiques depuis 1968. On a tergiversé pendant dix ans mais, maintenant, on y est. Le standard du futur est électrique, affirme l’expert. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage et la Fonderie de Bretagne est un caillou dans la chaussure de Renault. Il va s’en débarrasser. »

Au sein du cortège du 1er mai 2021, les ouvriers de la fonderie brandissent bien haut leurs pancartes : « Fondeurs oui, chômeurs non ! ». Après l’annonce de la vente du site de mars 2021, des protestations avaient permis de mettre en place une revue des stratégies quant à l’avenir du site. « Un moment de répit », résume Maël Le Goff, secrétaire CGT de la fonderie. Mais un répit définitivement terminé.

L’usine, qui fabrique des pièces pour les châssis, les moteurs ou les boîtes de vitesse, ne serait plus adaptée aux enjeux d’aujourd’hui et n’aurait pas « vocation à rester chez Renault », selon les dirigeants du groupe. Un discours que les 350 ouvriers présents ne peuvent entendre. « Nous produisons des pièces autant pour les voitures diesel que pour les voitures électriques comme la Zoe », martèle Jimmy, fondeur depuis plus de vingt ans. « Les fondeurs ont raison sur ce point, confirme l’expert Bernard Jullien. Mais cela coûte moins cher au groupe Renault de sous-traiter la création de composants à l’étranger. »

Souffrance sociale

« Tous les wagons doivent pouvoir se raccrocher à la transition écologique, sans laisser personne sur le bord de la route », déclarait pourtant, rassurant, Luca de Meo, directeur du groupe, lors de son discours devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 7 juillet. « Il n’y aura pas de souffrance sociale », affirmait à son tour son président Jean-Dominique Senard. « Mais la souffrance est déjà là », dénonce Maël Le Goff.

L’absence de dialogue social avec la direction a cristallisé le conflit. Mais après huit semaines de grève, les salariés ont voté la reprise du travail le 18 juin. « On étaient épuisés et les difficultés économiques, trop importantes pour nos familles, nous ont poussés à accepter la reprise », reconnaît le syndicaliste. Le groupe Renault s’est engagé à augmenter le volume de production de l'usine en 2021. « On va passer à 21 000 tonnes en année pleine au lieu de 19 000 (10 % d’augmentation), mais aucune projection n’est faite sur 2022 et 2023. On est face à un mur », s’inquiète Jimmy, l’ouvrier de la fonderie. Le cabinet d’étude Ernst & Young est mandaté pour trouver un repreneur et le changement de propriétaire du site semble imminent, laissant 350 personnes dans l’expectative.

Lors du même discours, Jean-Dominique Senard a confirmé l’orientation de Renault « vers les technologies de demain dans le cadre de la Renaulution », assurant faire de son mieux pour répondre aux exigences climatiques de l’Union européenne avec un objectif de 100 % de vente de voitures électriques d’ici 2035. « Mais quel est l’intérêt d’opérer une transition écologique à des milliers de kilomètres ? », s’interrogent les ouvriers de la Fonderie. La transition environnementale serait-elle dénuée de transition sociale ? Luca de Meo affirme pourtant qu’il est indispensable de « remettre la France au cœur de la construction de Renault, le pays possédant un tissu industriel déjà bien implanté. »

Sauver la filière automobile bretonne

Les ouvriers qui ont repris le travail se battent autrement, notamment en cherchant des pistes de diversification pour assurer l’avenir du site. « Le passage à la production de pièces en aluminium est obligatoire pour une vraie transition écologique des fonderies, assure Maël Le Goff. Nous ne sommes pas contre une évolution de notre activité mais encore faut-il que le groupe en ait la volonté... » La création d’une fonderie aluminium basse pression pour les porte-fusées (pièces de châssis) de Renault pourrait être une piste, selon une étude sur laquelle les ouvriers ont mis la main.

Les responsables politiques y croient. « La filière automobile bretonne doit exister et elle peut être une filière d’avenir, affirme Laurence Fortin, vice-présidente de la Région Bretagne en charge de l’économie et des territoires. Nous avons proposé de financer une étude allant dans ce sens. Une proposition restée lettre morte auprès de Renault qui ne nous communique pas les éléments pour que nous puissions la lancer nous-même. »

Les salariés de Renault gardent les yeux rivés sur la Fonderie du Poitou qui devait être reprise mais est aujourd’hui en liquidation. « Si la transition écologique de Renault se fait dans les produits vendus, ce n’est pas le cas dans leur fabrication, dénoncent-ils. Les dirigeants jouent avec les règles qu’impose l’Europe et les représentants politiques ne semblent rien y pouvoir. Mais le prix social est bien trop élevé. »

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