[DOSSIER] Total lave plus vert

Publié le lun 15/11/2021 - 11:00
© Guillaume Bernard

Par Guillaume Bernard

En remplaçant l’activité raffinerie à Grandpuits par la production de biocarburants et de bioplastique, Total fait du greenwashing, dénoncé par des syndicats et associations environnementales.

Mardi 22 septembre 2020, quartier d'affaires de la Défense. L'annonce tombe des plus hauts étages de la tour coupole, siège du groupe Total : le seul pipeline d’Île-de-France, qui alimente la raffinerie de Grandpuits en produit brut depuis le port du Havre, ne sera pas remplacé. La multinationale refuse d'investir les 600 millions d'euros nécessaires à sa réparation. Par conséquent, la transformation de pétrole brut devra cesser au premier trimestre 2021, après 54 ans d’activité. Le stockage des produits pétroliers continuera jusqu’à fin 2023.

Pour Total, l'heure est désormais aux tours de force communicationnels. Loin de déplorer la situation et les emplois menacés, Patrick Pouyanné, PDG du groupe, se fait oiseau de bon augure et présente la fermeture de Grandpuits comme une excellente nouvelle pour la planète. « Les besoins en pétrole vont encore diminuer dans les prochaines années, se réjouit-il deux jours plus tard dans les colonnes du Parisien. On s'est donc dit qu'il y avait peut-être mieux à faire avec cet argent. En créant par exemple une activité renouvelable. »

La multinationale envisage un grand plan de restructuration de la raffinerie amenée à devenir une « plateforme zéro pétrole » qui produira du bioplastique et du biocarburant tout en n’entraînant aucun licenciement.

Dénoncer le greenwashing

De leur côté, les salariés ont peine à croire que ce "projet Galaxie" constitue réellement une aubaine. À la différence du PDG de Total France, ils habitent sur le bassin d'emploi de la raffinerie et voient son activité économique menacée. Sur 1 200 emplois selon les syndicats (chez Total et dans la sous-traitance), 700 pourraient disparaître, non pas sous forme de licenciements mais grâce à des départs en retraite anticipée et à des mutations. « Il faut ajouter à ça les emplois indirects : les boulangeries, les cafés, les commerces en tous genres qui vont fermer et les familles qui vont quitter le coin », déplore Adrien Cornet délégué CGT de la raffinerie de Grandpuits.

Les arguments écologiques brandis par leurs patrons font tiquer. « Total se félicite de fermer un pipeline français alors qu'il en construit un immense en Ouganda, passant outre les réserves naturelles et déplaçant les populations, poursuit le syndicaliste. Son objectif n'est pas de polluer moins mais de raffiner dans des pays où les normes écologiques et sociales sont plus basses. Alors quand la direction nous annonce qu'elle ferme Grandpuits pour des raisons écologiques, bien-sûr on se méfie et on se renseigne ! »

Alors qu'une grève massive, qui durera près d'un mois, démarre le 5 janvier 2021 à Grandpuits, la CGT de la raffinerie, Greenpeace, Les Amis de la terre, Attac et la Confédération paysanne se mettent autour d’une table pour décortiquer le contenu du projet Galaxie. Il en sortira un document de douze pages intitulé « Reconversion de la raffinerie de Grandpuits, pourquoi le projet de Total n’est ni écolo ni juste », détaillant par le menu les astuces de Total pour greenwasher son plan de licenciement.

Reconversion pas si verte

Les agrocarburants et le bioplastique que Total projette de produire dans cette raffinerie de Grandpuits nouvelle formule posent un certain nombre de problèmes. D’abord la production de 400 kilotonnes d’agrocarburants par an, majoritairement pour le secteur aérien, n’a « rien de véritablement écologique, affirme Cécile Marchand des Amis de la Terre en s’appuyant sur une étude de 2016 commandée par la Commission européenne. Les agrocarburants proviennent d'une déforestation ravageuse : 7 millions d’hectares de forêts, dont 3,6 millions sur des sols tourbeux très riches en carbone. »

Ensuite, le bioplastique est un plastique fabriqué à partir d’acides lactiques (notamment avec de la canne à sucre ou des betteraves) présenté par Total comme un produit d'avenir mais qui n'est « ni totalement recyclable ni biodégradable », selon les organisations autrices de ce rapport extrêmement critique sur la reconversion de la raffinerie de Grandpuits. Pour une dégradation correcte, ce bioplastique nécessite en effet un compostage industriel dont les pays dans lesquels ils sont consommés ne disposent que rarement.

De plus, le bioplastique pose le même problème que les agrocarburants : sa production entraîne une pression sur les surfaces agricoles aux dépens des cultures alimentaires, rappellent les écologistes en s’appuyant sur une publication de l’association spécialisée Zéro Waste. Enfin, cerise sur le gâteau (empoisonné), la monoculture de betteraves sucrières est responsable de l’utilisation massive de néonicotinoïdes, ces pesticides tueurs d’abeille, et a « des impacts majeurs sur la qualité de nos sols, notre eau et la biodiversité », poursuit le rapport avant de conclure : « le meilleur plastique reste celui que l’on ne produit pas. »

La reconversion de Grandpuits montre ainsi comment de fausses promesses écologiques peuvent être utilisées pour masquer la casse sociale. Toutes les reconversions ne sont pas bonnes à prendre et, quand elles sont avantageusement présentées comme « écologiques » par la direction de l’entreprise lors d'un plan social, mieux vaut y regarder à deux fois.

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