[DOSSIER] L’agriculture fonce à toute vitesse vers la méthanisation

Publié le lun 20/09/2021 - 14:00

par Estelle Pereira

L’avenir du secteur agricole français réside-t-il dans la production de cultures servant à alimenter les usines de méthanisation ? Les nouvelles installations, portées par les exploitations agricoles, ont de plus en plus vocation à alimenter le réseau gazier français, à grand renfort de subventions publiques. Ce qui interroge sur le visage que prendra l’agriculture de demain en France.

La dernière version de la Programmation pluriannuelle de l'Énergie (PPE) encourage les exploitations agricoles françaises à devenir partie prenante de la transition énergétique. Le document, fixant les grandes orientations de la politique énergétique, prévoit que la part de biogaz consommée en France passera à 10 % d’ici 2030. Or le biogaz français, produit à 63 % via le procédé de méthanisation agricole à partir de 291 installations, ne représentait en 2018 « que » 0,1% de la consommation française de gaz selon la revue spécialisée Connaissance des énergies (1). Cela permet d’imaginer le nombre de méthaniseurs qu’il va falloir construire pour atteindre un tel objectif.

Les moyens sont mis. Selon les chiffres obtenus par Médiacités auprès du ministère de la transition écologique (2), 108 M€ ont été consacrés au rachat de biométhane en 2019. En 2020, ce sont 57 M€ d’aides publiques qui ont été alloués à la construction de nouveaux méthaniseurs.

Crainte d’accaparement des terres

« Pour répondre à l’objectif des 10 %, il faudrait dédier trois à six départements français à des cultures énergétiques », alerte Daniel Chateigner, professeur à l’Ecole nationale supérieure de Caen et membre du collectif scientifique national méthanisation raisonnée (lire l’entretien page xx). Ce regroupement de 25 scientifiques indépendants met en garde, depuis sa création en 2018, contre la gourmandise des digesteurs, les estomacs insatiables des méthaniseurs.

En effet, pour fonctionner et être rentable, une unité nécessite des apports quotidiens en lisier, fumier ou autres résidus de culture. Le hic, c’est que le pouvoir méthanogène, donc énergétique, des végétaux est plus important que celui des déjections animales. Pour éviter que trop de cultures ne soient ingurgitées par les méthaniseurs, une loi impose de limiter à 15 % les déchets introduits provenant de cultures alimentaires. Or ne sont pas prises en compte dans cette catégorie les cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). Implantées entre deux cultures principales, les Cive (seigle, trèfle, avoine, vesce) servent également à nourrir le bétail.

Concurrence avec les cultures alimentaires

Selon la Confédération paysanne, les élevages, qui ont déjà de plus en plus de difficultés à s’approvisionner en fourrage du fait des sécheresses, entrent en concurrence avec les méthaniseurs. « Cela risque d’accroître notre dépendance à l’importation de maïs et de soja d’Amazonie », dénonce René Louail, ancien conseiller régional de Bretagne. L’ancien porte-parole du syndicat agricole dénonce un « accaparement des terres » pour la production d’énergie et défend la construction de petites unités.

Mais les garanties d’achat proposées par l’État encouragent à se lancer. Selon les installations, chaque mégawatt-heure est racheté entre 64 et 139 euros pendant les quinze premières années d’activité, quand le prix du marché est plus autour de 20 euros le MWh pour le gaz naturel d’origine fossile.

Des méthaniseurs toujours plus gros

Ce soutien financier attise les appétits des grosses exploitations qui n’hésitent pas à se regrouper pour créer des unités toujours plus grandes. Des coopératives telles qu’Oudon Biogaz en Mayenne regroupent 76 exploitations pour un traitement annuel de 140 000 tonnes de matières organiques, soit 385 tonnes en moyenne chaque jour.

Récemment, à Corcoué-sur-Logne en Loire-Atlantique, la coopérative d’Herbages a déposé un permis de construire pour une installation prévoyant le traitement de 498 000 tonnes de déchets par an, soit vingt fois plus que les volumes moyens injectés dans les méthaniseurs en France, autour de 25 600 tonnes. Si elle devait voir le jour, cette unité serait la plus grande de France.

Pour René Louail, cette forme de méthanisation industrielle « est une dérive » qui permet de soutenir une agriculture intensive en crise. « Nous voyons, partout où il y a des méthaniseurs, des fermes qui s’agrandissent, s’inquiète l’ancien paysan. Dans les années qui viennent, la moitié des fermes vont changer de main avec de nombreux départs à la retraite. Le débat est de savoir si l’on va remplacer les paysans par une industrialisation de la production agricole, en abandonnant ces surfaces à la production de cultures dédiées à la méthanisation, ou créer de véritables systèmes vertueux destinés à nourrir la population des territoires ».

 

Note de bas de page :

  1. www.connaissancedesenergies.org

  2. www.mediacites.fr



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