[DOSSIER] La surpêche, un mal profond

Publié le lun 10/05/2021 - 12:32

Par Marie Albessard et Élodie Horn

Au niveau européen, des quotas ont été mis en place pour repeupler les espèces de poissons. Malgré les résultats positifs, les associations de défense de l'environnement dénoncent la persistance d’une vision productiviste, largement subventionnée, et qui ne peut permettre à un écosystème de se régénérer.

 

Malgré des améliorations, le dernier rapport de l'IPBES, l'équivalent du Giec concernant la biodiversité, publié en 2019 est unanime : la principale cause de dégradation des océans est la surpêche et son recours à des techniques destructrices. Pour éroder ce phénomène, la Commission européenne a mis en place dès 1983 la Politique Commune de la Pêche (PCP) visant à préserver les stocks de poissons en les pêchant dans des quantités permettant à l’espèce de se reproduire suffisamment et de tendre vers une « pêche durable ». « Mais ce qu'oublie cette politique, c'est que lorsque l'on maximise la pêche d'une espèce, cela peut avoir un impact sur d'autres et l'on remarque que les écosystèmes continuent de se détériorer », souligne Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l'association Bloom, qui multiplie les actions pour lutter contre la surpêche. Au niveau mondial, 2/3 des principales espèces capturées sont pêchées au « rendement maximum durable »selon la FAO, une Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, et beaucoup de stocks de poissons non soumis à des quotas sont en « mauvais état ». «  D'importantes disparités subsistent, parmi les espèces : le merlu et le cabillaud apparaissent toujours comme « effondrées », car le nombre de poissons pêchés est trop important pour leur permettre de se reproduire suffisamment et se maintenir », souligne François Houllier, président Directeur-Général de l'Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer (Ifremer). La différence est aussi marquée selon les secteurs, d'après la FAO : malgré une baisse de 10 % d’exploitation des populations halieutiques entre 2014 et 2018, la mer Méditerranée et la mer Noire restent les mers les plus touchées au monde par la pêche, avec 75 % des stocks de poisson surexploités.

Une vision productiviste

Selon Bloom, pour véritablement protéger les populations des océans, le secteur entier de la pêche est à repenser. « 15 % des navires de pêche font plus de 12 mètres de long. Plus les bateaux sont grands, plus ils ont un impact destructeur, en attrapant de nombreuses espèces de poissons dans leurs filets, sans les différencier. En plus d'être dévastatrices pour la biodiversité et les fonds marins, abîmés par les techniques de pêche intensives, ces méthodes de pêche coûtent cher à la collectivité, en carburant et en entretien des équipements, qui sont largement subventionnés par les pouvoirs publics et privés au travers de la PCP. Une tendance qui s'est d'ailleurs encore accentuée depuis le début de la crise », souligne-t-il. La solution avancée par l'association serait de valoriser la pêche côtière, qui se distingue de la pêche industrielle, en utilisant des bateaux de moins de 12 mètres et des engins de pêche dits passifs. Peu subventionnée, elle concentre à elle seule 80 % des navires de pêche et fait vivre entre 15,000 à 16,000 pêcheurs artisans. « La pêche artisanale est bénéfique, car elle est douce. Son impact n'est évidemment pas nul à cause des hameçons perdus par exemple, mais le poisson est d'une meilleure qualité nutritionnelle en étant pêché à la ligne, puisqu'il ne subit pas le stress d'être coincé dans des filets, à plus de 2000 mètres de profondeur », affirme-t-il. Une pêche aux techniques non invasives pour l’écosystème, et qui, en quantité, impacte moins les populations de poissons. C’est aussi une pêche éthique qui, grâce à sa qualité, permet aux pêcheurs de la valoriser économiquement. Les poissons des ligneurs bretons (lire plus loin) sont par exemple vendus 3 fois plus cher en moyenne que ceux de la pêche industrielle auprès des consommateurs.

Plus d’infos : www.bloomassociation.org

 

Les ligneurs à la pointe (bretonne) d’une pêche durable

Sur la pointe de la Bretagne et des Côtes-d’Armor à Saint-Nazaire, ils sont un à deux pêcheurs sur leur petit bateau de moins de 12 mètres. Les ligneurs pêchent selon différentes méthodes, toujours à l’hameçon. Pour pêcher le bar, le lieu jaune, la dorade ou le merlu, ces professionnels défendent une pêche artisanale, respectueuse de l’habitat marin et de ses ressources. « La ligne permet une sélection des espèces et des tailles ; de pêcher moins et de mieux valoriser le poisson, indique Ken Kawahara, secrétaire de l’association des ligneurs de la pointe Bretagne (une soixantaine de marins pêcheurs) qui précise que leur poisson à la ligne est vendu 3 fois plus cher que celui des gros chalutiers. Nous avons une politique de qualité : le poisson est capturé vivant, abattu pour éviter le stress, ce qui lui donne une chair de meilleure qualité et une conservation plus longue».

Ces ardents défenseurs d’une pêche durable s’astreignent à un cahier des charges strict et s’imposent un repos biologique de mi-février à mi-mars pendant la reproduction du bar. « C’est un effort volontaire mais une position difficile à tenir. Certains s’arrêtent de pêcher 2 mois, d’autres ne le peuvent pas pour des raisons financières et donc pêchent la Saint-Jacques ou d’autres espèces.» Une position d’autant plus dure qu’ils sont les seuls à la mettre en place. L’association a, des années, alerté sur la baisse des populations de bar dans la Manche en vain… jusqu’à leur effondrement. « Il devrait y avoir une priorité d’accès pour ceux qui pratiquent la pêche la plus écologique possible mais ces métiers ne sont pas défendus et la pression des lobbys de la pêche au chalut et industrielle est très forte, s’emporte Ken Kawahara. En France, 80 % des bateaux font moins de 12 mètres, mais notre parole politique est extrêmement faible.»

Plus d'infos : pointe-de-bretagne.fr

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