[ LA RUÉE VERS L'ORGE ] Des bières bretonnes du champ à la cuve

Publié le ven 09/08/2019 - 08:46

Les microbrasseries fleurissent sur tout l’hexagone. En Bretagne, une centaine est apparue en moins de 10 ans. Quelques-unes ont pris le parti de concilier artisanat, économie circulaire et développement durable. À l’instar de la microbrasserie Drao, située à Melesse, en Ille-et-Vilaine, productrice de sa propre orge.

À une dizaine de kilomètres de Rennes, au cœur des parcelles agricoles de Melesse, les bureaux en bois de la brasserie Drao jouxtent les hangars réservés au stockage des bouteilles et des fûts, et aux diverses cuves dédiées à la production et à l'embouteillage du breuvage malté. Depuis 2013, Rozenn Melle produit l'une des cent bières artisanales et locales que compte dorénavant la région. Contrairement à la majorité de ses collègues, Rozenn est paysanne-brasseuse. Passionnée par l'agriculture et les brassins, elle dispose de 20 hectares de terres et cultive elle-même l'orge brassicole qui est à la base des recettes de ses bières. Une démarche qui reste rare et dans laquelle seule une petite une poignée de bretons s'est lancée.

Une production locale et à faible impact

Pour réussir ses premiers semis, désherbages mécaniques et récoltes, Rozenn s'est appuyée sur la solidarité des agriculteurs voisins. De 15 000 litres en 2014, sa production de bière est passée à 65 000 litres cette année. « En 6 ans, j'ai doublé ma surface de production. Dorénavant, je suis autonome à 98% sur le malt issu de mon orge. Et je la fais malter en Bretagne », explique-t-elle. Convaincue que la production économique est conciliable avec la préservation de l'environnement, Rozenn a aussi opéré des choix stratégiques. Ses livraisons sont limitées à un rayon de 30 kilomètres et sa bière est conditionnée en fûts ou en bouteilles de 75 centilitres. « J'ai beaucoup de demandes pour des conditionnements en 25 ou 33 centilitres, mais je préfère ne pas multiplier les formats. En plus, cela sera plus adapté à la filière de consigne du verre, si cette dernière parvient à se consolider », justifie la brasseuse. Autre engagement, celui de travailler sans pesticides de synthèse sur sa ferme. Une « évidence » pour préserver sa santé, celle des consommateurs, mais aussi celle du sol. « En bio, c'est le sol qui nourrit la plante. Ne pas le polluer est essentiel, et cela protège aussi la ressource en eau. C'est la moindre des choses car notre production en est friande. Pour faire un litre de bière, j'ai besoin de cinq litres d'eau », détaille Rozenn.

Une bière régionale du champ à la cuve

A l’instar de la brasserie Drao, la bière bretonne connaît un essor depuis quelques années, même si la présence du breuvage sur le territoire n'est pas nouvelle. « Les premières traces connues de brasseries remontent au XVIème siècle, mais c'est vraiment au XIXe puis au XXe siècle qu'elles se développent », explique Gabriel Thierry, auteur de La bière bretonne, paru en 2017. En Bretagne, à la fin des années 1980, de petites brasseries locales vont aussi se développer : Coreff dans le Finistère en 1985, Lancelot dans le Morbihan en 1990, ou encore Sainte-Colombe en Ille-et-Vilaine en 1996. Mais c’est seulement depuis « ces 5 ou 10 dernières années que les créations de brasseries artisanales explosent, poursuit le spécialiste. Le mouvement vient d'Angleterre et d'Amérique du Nord. C'est aussi une manière de revisiter des saveurs et des goûts variés face à une bière industrielle qui s'est standardisée ».
Autre fait marquant : « Une partie des brasseurs essaie davantage de s'ancrer dans le local avec une conception de la bière qui se régionalise », analyse Gabriel Thierry. Outre l'emplacement de la brasserie, l'origine de la matière première intéresse dorénavant les brasseurs. Certains, comme Rozenn Melle et au moins trois autres brasseries basées dans les Côtes-d'Armor, le Finistère et le Morbihan, ont choisi cette double identité de paysan et brasseur en cultivant eux-mêmes leur orge brassicole. D'autres brasseurs, comme Frédéric Sureau et Alexis Métaireau, ont quant à eux fait le choix de se rapprocher d'une malterie bretonne pour leurs approvisionnements. En 2018, ils ont créé la brasserie du Vieux singe aux portes de Rennes avec une attente ferme sur le volet local. Dans leurs cuves, 90% de la matière première provient de la région. « L'orge de nos bières est cultivée en Bretagne puis transformée en malt également dans la région, dans le département du Morbihan. Nous voulions être dans une dynamique qui relocalise la production », explique Alexis.

Une filière locale et bio qui se consolide

Pour s'assurer de la provenance de leur malt, Frédéric et Alexis adhèrent à une association, De la terre à la bière, qui réunit quatorze brasseurs, une centaine de producteurs d'orge brassicole biologique, deux collecteurs et deux malteries. Tous basés en Bretagne. Leur objectif ? Assurer un développement concerté et sécurisé de la filière. « En tant que producteurs, nous sommes assurés d'un prix d'achat des céréales négocié chaque année avec les brasseurs et les autres acteurs de la filière », explique Didier Le Hec, éleveur laitier et producteur de céréales dans le Centre-Bretagne. Son orge brassicole, il la place chaque année dans ses rotations. Semis en avril et récolte en août. « Pour faire de la bière, notre orge ne doit pas être trop riche en protéines. Nous avons mis en place un cahier des charges qui assure une orge de qualité aux brasseurs », poursuit le producteur. Adhérent de la première heure à l'association, il l'a vue grandir. Au départ, 10 producteurs cultivaient 60 hectares d'orge. Treize ans plus tard, près de 700 hectares sont semés chaque année.

Avec la filière De la terre à la bière, les producteurs et les brasseurs décident ensemble du prix de vente de l'orge. Il est garanti sur une année et n'est pas soumis aux aléas du marché. Crédit : Virginie Jourdan

« La création d’une nouvelle malterie va créer de la valeur ajoutée dans la région, tout en travaillant en circuit court » Goulven Maréchal, pour la fédération des agriculteurs bio de Bretagne

Outre les petites brasseries locales, la filière compte quelques clients plus connus comme la brasserie de Bretagne (ex-Britt – ndrl), Coreff et Lancelot. Et le mouvement n'est pas terminé. En 2019, une troisième malterie bretonne va être lancée à Scaër, dans le Finistère, pour répondre à la demande croissante des paysans et des brasseurs sur le volet maltage. « Cette nouvelle unité va transformer une partie de l'orge biologique produit en Bretagne et s'inscrit dans un changement d'échelle de la filière », juge Goulven Maréchal, qui suit De la terre à la bière pour la Fédération régionale des agriculteurs biologiques de Bretagne. Pour ce dernier, cette croissance concertée est une bonne nouvelle. « C'est une occasion de réorienter cette céréale vers l'alimentation humaine et de créer de la valeur ajoutée dans la région, tout en travaillant en circuit court », argue-t-il.

Pour l'heure, seul un ingrédient manque au tableau de la filière bretonne : le houblon, la fameuse herbacée qui sert à parfumer les bières et qui provient majoritairement d'Alsace ou de Belgique. Si les quatre associés de la brasserie la Bambelle (56) ont relevé le défi de sa culture depuis 2011, les contraintes de sa production demeurent un frein à son émergence dans les champs bretons. A son échelle, Rozenn Melle a aussi tenté quelques brassins avec du houblon cultivé par un collègue brasseur du nord de l'Ille-et-Vilaine. « C'est intéressant de tester, mais cultiver du houblon reste très technique, avoue-t-elle. Et il ne représente que 1% de mes recettes de bières. Pour l'heure, nous en sommes vraiment à l'expérimentation ». Un nouveau pari sur l'avenir ?

Plus d'infos ?

https://brasserie-coreff.com/engages/association-de-la-terre-a-la-biere/

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