[ LA RUÉE VERS L'ORGE ] La Berlue : apporter sa bière à l’édifice

Publié le jeu 08/08/2019 - 08:57

Par Guillaume Bernard

Les microbrasseries fleurissent sur tout l’hexagone. En Occitanie, d’après le syndicat des brasseurs indépendants, leur nombre a doublé en 3 ans, passant de 120 à plus de 200. Située à Gaillac dans le Tarn, la microbrasserie la Berlue tente de se faire une place dans la région, tout en conciliant son artisanat avec le choix d’une économie circulaire et le respect de l’environnement.

La micro-brasserie la Berlue à Gaillac dans le Tarn (81), c’est avant tout le rêve de deux amis passionnés de bière qui décident de travailler réellement le goût de leurs boissons. Mais c’est aussi une vision exigeante de l’industrie brassicole fondée sur un modèle éthique et non expansif respectueux de la planète.

Blanche, brune, blonde ? La question sur le choix de la bière qui revient dans le moindre bar est définitivement à bannir à la Berlue. « Réduire la bière à ces trois couleurs, c’est oublier toutes les possibilités qu’offre sa production », regrette Cédric Spazzi un des deux brasseurs fondateurs de la Berlue.
Dans cette petite brasserie locale située au cœur de vignes gaillacoises, quand on parle bière on en parle avec amour et goût du détail. « Ici, nous fabriquons, par exemple, la Désinvolte, bière de blé (blanche, pour ceux qui y tiennent), brassée avec du rooibos [thé rouge africain – ndlr] et des écorces séchées de bergamote », détaille Mathieu Daupleix, co-fondateur de la Berlue. Et pour cause, les deux brasseurs qui y officient sont avant tout des passionnés de bière.

L’histoire commence comme n’importe quelle histoire de « self made man » : « On faisait de la bière dans notre cuisine, pour nos potes, et ils la trouvaient très bonne. Ça nous passionnait vraiment alors on s’est dit : pourquoi ne pas se lancer dans l'aventure ? », résume Mathieu. N’ayant pas les ambitions d’un Mark Zuckerberg, en lieu et place de start-up, Mathieu et Cédric, 40 ans et respectivement sociologue et éducateur spécialisé, fondent une société coopérative et participative (Scop). Leur but n’est pas de conquérir le marché de la bière, seulement de « donner la berlue » aux papilles des aficionados d’orge fermentée et d’avoir un salaire décent pour eux et deux autres employés.

En deux ans, les brasseurs passent d’une fabrication personnelle de 28 L à 60 000 Litres/an, investissent les restaurants, les bars spécialisés locaux et pratiquent la vente directe. « Pour l’instant, on se paie au SMIC et on bosse 60 heures par semaine, ponctue Mathieu. Mais venir travailler ici est vraiment un plaisir, on s’y épanouit. La Berlue, c’est avant tout un espace de créativité ».

« Les retours sont généralement positifs, ça nous donne du cœur à l’ouvrage » Mathieu Daupleix

De fait, Mathieu et Cédric ont fait de ce hangar, acheté bon marché, un lieu où ils laissent libre-court à leur savoir-faire. Mais c’est aussi un lieu de vie. Dans leur grand jardin, impeccablement tondu et situé au bord d’une départementale passante, on trouve de nombreuses tables pour prendre le soleil avec sa bière, un food-truck, un terrain de badminton, un boulodrome, des jeux pour les enfants - auxquels on peut servir de la limonade maison et du jus de pomme bio fourni par un verger du coin - et surtout une scène. Elle leur permet d’inviter régulièrement des groupes de musique. « Quand arrivent les beaux jours, on voit des enfants gambader dans le jardin la journée. Et le soir, on organise des concerts auxquels participent plusieurs centaines de personnes », détaille Mathieu.

Pour les jours moins ensoleillés, la brasserie dispose d’un vaste espace bar où il est possible de déguster les bières de la maison pour 2.5€. La vitre placée derrière le comptoir permet d’admirer les cuves de fermentation de la bière. « Ainsi, on ne perd pas le lien entre la production et la consommation, poursuit Mathieu, comme c’est le cas lorsqu’on achète une bière industrielle produite en Belgique ou en Allemagne dans d’immenses usines. Les gens comprennent ce que c’est que de fabriquer une bière, le travail et l’attention que cela demande. Et en consommant sur place, ils peuvent nous faire directement des retours. Heureusement, ils sont généralement positifs : ça nous donne du cœur à l’ouvrage ! »

Ecosystème local

Si la petite brasserie gaillacoise est un lieu idéal pour recevoir du monde, son emplacement géographique peut être problématique. En effet, comment faire une bière locale dans un département plus connu pour ses vignes que pour ses rares champs d’orge ? Dans un département qui ne dispose d’aucune malterie conséquente ?

« Le malte n’est pas une céréale particulière comme le croient beaucoup de gens, détaille Cédric. Mais il résulte du maltage ; un processus de transformation des céréales qui leur permet de donner un maximum de sucre. Il s’agit d’humidifier le grain afin qu’il commence à germer puis à le faire sécher à haute température pour qu’il libère ses arômes ». S’il est bien souvent fabriqué à partir d’orge, le malte peut aussi être fait avec du blé, du seigle ou de l’avoine. « Notre orge est française mais nous la faisons malter en Belgique pour des raisons de maîtrise des coûts, de régularité et de qualité. C’est d’ailleurs une pratique courante chez les brasseurs locaux ».

Mise en bouteille de la bière © Axel Assemat

Bien que les céréales ne proviennent pas du département, la Berlue mérite pourtant son titre de « bière locale » à bien d’autres égards. Tout d’abord parce que tout le processus de transformation a lieu à Gaillac. Mais également parce que son réseau de diffusion reste très local s’étendant, au maximum, dans les départements voisins avec des livraisons effectuées dans les bars spécialisés toulousains. Enfin, la Berlue est une bière locale parce qu’elle dynamise tout un écosystème de proximité. « Par exemple nous donnons nos drèches [résidu du brassage des céréales – ndlr], à un éleveur de Castelnau-de-Montmiral, un village voisin, pour nourrir ses bêtes ». Et preuve que la brasserie s’est totalement intégrée à la vie locale : « notre clientèle vient majoritairement grâce au bouche à oreille. Nous n’avons jamais fait aucune pub », se réjouit Mathieu.

« Retour à l’authenticité »

Si la Berlue a peu de mal à se faire connaître, c’est parce que depuis quelques années, la bière artisanale a le vent en poupe. « Le nombre de brasseries a doublé en Occitanie entre 2016 et 2019, passant de 120 à plus de 200 », indique le Syndicat des Brasseurs Indépendants (SNBI). Cette situation est semblable à l’échelle de la France où on totalise 1500 brasseurs indépendants. Et ce, malgré le « contrat brasseur » dénoncé par Cédric.

« Ce boom de la microbrasserie, je l’explique par la lassitude du public pour une bière aseptisée, la recherche d’un retour à l’authenticité », explique Mathieu. Une bière différente, ni stérilisée ni pasteurisée, dont la levure est vivante... ce n’est pourtant pas une nouveauté en France. « Au début du XXe siècle, pratiquement chaque village avait sa brasserie, il y avait des milliers de goûts différents », rappelle Cédric.

Cette richesse de goûts, les microbrasseurs essaient de la retrouver. Et lorsqu’on demande à Mathieu s’il n’a pas peur que, sur ce nouveau marché en plein expansion, la concurrence soit trop forte, c’est serein qu’il nous répond : « Dans le Tarn on est 13 brasseurs et il doit bien y avoir plus d’une centaine de vignerons. Ils vivent bien ! L’important c’est de ne pas devenir trop gros pour qu’il y en ait pour tout le monde ». Un juste partage.

Plus d’info : www.brasserie-laberlue.com

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