[MONTESSORI] La vie au grand air

Publié le lun 05/10/2020 - 11:05

Par Julien Dezécot

Au collège Montessori de Thorenc, en plein cœur du Parc naturel régional des Préalpes d’Azur, des adolescents entament, en pension, une année de scolarité inédite : apprentissages académiques, mais aussi expérience d’enseignements à l’air libre, menuiserie, activités potagères, etc… Les préceptes de la pédagogie Montessori infusent dans cet établissement qui sort de l’ordinaire. Et s’il était la preuve d’un autre possible pour l’enseignement ?

Perchés à 1250 m d'altitude, en plein cœur du Parc naturel régional des Préalpes d'Azur, une dizaine d'« esprits libres » apprennent la vie coopérative en rénovant leur collège.
« Passe-moi la peinture s'il te plaît Lisa. Tiens, prends ce rouleau ça va te servir ! poursuit sa camarade. Mais non, ce n'est pas celui dont j'ai besoin... » Sous l’œil bienveillant de Laurent, Lisa*, Stéphanie* et Lucile* repeignent leur future salle de classe. « J'aime bien faire des choses avec mes mains » s'enthousiasme Lisa, même si elle reconnaît préférer lire des mangas…

Au collège Montessori de Thorenc (06), les adolescents viennent de démarrer leur nouvelle année de pensionnat, malgré le coronavirus. Et l'énergie collective ne manque pas d'air. « Ici, une importante partie des enseignements pratiques ont lieu à l'air libre », souffle d'emblée Laurent Bardin, co-fondateur avec sa femme Sonia de l'établissement, ouvert depuis 2 ans. Tous deux ont 45 ans. Lui est ingénieur en informatique et mathématiques appliqués. Elle est éducatrice de formation.
Accompagnés de l'équipe pédagogique, ils proposent aux jeunes, âgés de 11 à 15 ans, de multiplier les expériences de vie collective : entretien d'un potager, coupe de bois, création d'un poulailler. Mais également au programme de l'emploi du temps : menuiserie, enduit, peinture ou encore cuisine. L'objectif vise à susciter l'autonomie des jeunes, en équilibrant activités intellectuelles et manuelles, dans la ligne philosophique de Maria Montessori. « L'enfant n'est pas un vase que l'on remplit mais une source que l'on laisse jaillir », disait cette psychiatre de renom, anthropologue et féministe du début du XXe siècle, dont la pédagogie alternative a essaimé dans toute l'Europe. Sa méthode d'enseignement se base sur trois piliers : le respect du rythme d'apprentissage des enfants, la liberté de choisir son activité, ainsi que la liberté de déplacement des enfants.

« Un lieu autogéré par les enfants »

Dans cet établissement baptisé « Les esprits libres », les apprentissages académiques s'entremêlent aux expériences de travaux réels ou « productifs ». Et la vie en communauté au sein du pensionnat permet à la dizaine de jeunes du collège, de développer leurs capacités pratiques d'organisation, de gestion et d'administration.

Comme le souligne Sonia, l'école est d'abord « un lieu autogéré par les enfants », qui ont la responsabilité de leur apprentissage. « Ils sont, bien entendu, accompagnés par des professeurs. Mais ils doivent gérer leur vie collective. » Autrement dit, s'organiser pour créer un menu pour la semaine, détailler les courses à faire, planifier un tour de rôle de rangement et de ménage. Tout est organisé de manière coopérative : l'entraide remplace la compétition au sein de l'établissement. Comme lors de la création de ce poulailler que Yannick Del Missier la quarantaine, tailleur de pierre et enseignant, réalise avec trois adolescents. Puisque c'est à plusieurs qu'ils doivent réaliser leur ouvrage.

« Mon objectif est de favoriser l'autonomie et l'indépendance des adolescents, notamment ceux qui comme moi plus jeune, n’étaient pas forcément adaptés au système scolaire traditionnel », souligne l'enseignant. Après cette expérience, tous devraient être en capacité de refaire un poulailler, pour eux ou pour les autres. « Et ça c'est vraiment important ! » reprend Yannick qui leur transmet également des techniques pour rénover certaines pièces du bâtiment. Elles leur serviront ensuite de  salles d'apprentissages !
Autre illustration de cet enseignement pratique, un projet de ferme pédagogique est en cours. Celui-ci inclut un potager, le poulailler, mais aussi des espaces verts à entretenir avec des animaux à s'occuper. « Près du collège, il y a déjà une ferme ou encore un groupe local qui crée des huiles essentielles. Nous favorisons d'ores et déjà les échanges avec eux pour nous ancrer dans le territoire et faire partager ces initiatives avec les élèves! », poursuit Sonia. Histoire aussi de connecter les adolescents à leur environnement local.

« Une start-up de l'éducation »

Outre la pédagogie, l'autre originalité de cet établissement hors contrat de l'éducation nationale : sa forme juridique coopérative (SCIC – pour société coopérative d'intérêt collectif). Après avoir créé l'école maternelle de Grasse sous forme associative il y a 8 ans, Sonia et Laurent ont souhaité expérimenter un autre modèle économique, toujours dans l'économie sociale et solidaire. Compte tenu de l'investissement nécessaire pour un tel projet : acquisition du bâtiment, financement des enseignants et du matériel nécessaire, c'est vers la forme coopérative qu'ils se sont tournés...

« Outre la cohérence avec nos valeurs, nous avons choisi la Scic, explique Laurent, car elle permet de créer des parties prenantes associées à l'entreprise. »  Salariés, parents, enseignants, investisseurs solidaires… chacun peut trouver sa place au sein de la coopérative, en fonction de ses attentes et de son action. « Tous se retrouvent  pour faire émerger ce projet novateur. Et finalement, on est devenu une forme de start-up de l'éducation », s'enthousiasme Laurent. Une entreprise qui, comme la grande majorité des entreprises durant la crise sanitaire, a dû faire face à une baisse du chiffre d'affaires et a bénéficié du dispositif de chômage partiel. « Comme on a un petit effectif et que nous sommes situés dans une zone moins à risque, on a cherché à trouver un chemin  positif dans ce flou artistique. Nous avons dû rassurer les parents cet été, grâce aux règles sanitaires mises en œuvre pour protéger leurs enfants », souligne Laurent. Un projet pédagogique expérimental et politique, à travers lequel Sonia et Laurent tentent de montrer qu'il existe d'autres chemins possibles pour l'éducation.

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les-esprits-libres.fr

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Retrouvez notre reportage VIDEO, en partenariat avec l'Union régionale des scop Paca : « Plaidoyer pour des esprits libres », sur sans-transition-magazine.info

*Les prénoms ont été changés

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