[LUTTES] Dans le Var, la première ZAD souterraine de France

Publié le lun 04/10/2021 - 12:00

par Enzo Dubesset

A Mazaugues, village intégré au Parc naturel régional de la Sainte-Baume dans le Var, des zadistes occupent d’anciennes galeries de mines pour protester contre l’implantation d’une carrière à risque d’effondrement, dangereuse pour la biodiversité et les nappes phréatiques.

Quelques tapis de sols et une bâche pour se protéger du soleil cuisant. C’est là tout le confort de la poignée de jeunes hommes et femmes qui tiennent le « relais de la mine », dans la garrigue de l’arrière-pays varois, à deux pas de la future carrière de Mazaugues, un village de 980 âmes. L’accueil est spartiate mais il se fait à visage découvert. En cette fin juin, cette Zone à défendre (ZAD) est bien éloignée de l’image d’Épinal de la forteresse barricadée prête à répondre coup pour coup à toute incursion des forces de l’ordre. « On n’est là que depuis une semaine. On sert surtout de point d’accueil pour les énergies prêtes à s’investir et pour le ravitaillement des zadistes », résume Nina Millet, militante ayant eu, par le passé, plusieurs emplois dans le secteur de la justice. Aujourd’hui, celle qui s’est installée récemment dans la région se définit comme « cible publique » de la Zad. Elle donne un visage et informe des avancées du mouvement.

La véritable partie contre Provence Granulats, l’entreprise qui souhaite exploiter ici 25 hectares de roches calcaires, se joue en fait sous nos pieds. Début juin, des militantes et militants ont spontanément investit les galeries des anciennes mines de bauxite, vestiges de l’exploitation minière qui a longtemps fait vivre cette région rurale pauvre.

Première ZAD souterraine de France

Couverture de survie en poche et lampes frontales sur la tête, celles et ceux qui s’autoproclament « les humains de la mine » bloquent physiquement les travaux d’aménagement entamés il y a quelques mois. « Pour l’instant, il est difficile de connaître exactement leur nombre vu leur dissémination dans un dédale de galeries, sûrement cinq ou six, de tous âges et de tous horizons », explique Nina Millet, qui assure que « cette occupation souterraine est une première française, et peut-être même dans le monde ».

Après douze ans de protestations presque exclusivement cantonnées aux collectifs citoyens et aux responsables politiques du coin, ce second souffle est impulsé par des personnes militantes venues de toute la France, se reconnaissant plus ou moins dans la mouvance zadiste. Plusieurs ont fait leurs armes à l’occasion d’autres luttes contre des « grands projets inutiles », notamment celle contre le Grand Contournement Ouest de Strasbourg en Alsace.

Les deux générations ne s’ignorent pas pour autant. Denis Lavigogne, l’ancien maire de Mazaugues, vient d’ailleurs régulièrement sur le site. « Ce sont des jeunes qui ont tout compris. Évidemment que je soutiens leur action, même si c’est déplorable qu’ils en viennent à risque leur vie ! », s’exclame ce policier de la Bac à la retraite. Accompagné d’Alain Darmuzey, son ex-premier adjoint chargé des questions environnementales - un ancien instituteur passionné d’entomologie -, il a mené de front un épuisant combat de plus de dix ans contre ceux qu’il qualifie d’« apprentis sorciers ».

Risques multiples

Quand il récapitule les « aberrations du projet d’Audemard », la maison-mère de Provence Granulats, Alain Darmuzey s’emporte : « la carte des aléas, réalisée par un institut public (1), prouve qu’on est dans une zone avec un risque d’effondrement généralisé à proximité immédiate d’un site Seveso (2). En autorisant le carrier à faire péter de la dynamite pour récupérer le calcaire, on rajoute du sur-risque au risque. C’est n’importe quoi ! » À écouter le retraité, qui est déjà descendu dans les mines accompagné d’un hydrogéologue, les risques sont multiples. Outre le danger humain, l’effondrement des galeries entraînerait la destruction de l’habitat d’espèces protégées comme certaines chauves-souris, dont treize espèces classées vivraient sur le site, ou le lézard ocellé. Elle pourrait aussi polluer les huit millions de m3 d’eau qui sommeillent en-dessous du site. Une « réserve stratégique en eau » qui alimente les 430 000 personnes vivant dans l’agglomération toulonnaise.

En 2012, lors de la validation du projet d’extraction par le préfet, ces éléments n’étaient pas tous officialisés par des études. La fameuse carte des aléas qui établit un « risque moyen » d’effondrement généralisé n’a été rendue publique qu’en 2015. Surtout, ces dernières années, Mazaugues semblait avoir définitivement tourné le dos à son passé industriel. En 2015, 80 % de la commune, dont le site de la carrière, ont été classés Natura 2000, le réseau de conservation européen des espaces naturels. La commune a même intégré le Parc naturel régional de la Sainte-Baume lors de sa création en 2017. « La préfecture aurait pu se rétracter, annuler le projet et payer des indemnités, mais l’État ne désavoue jamais ses fonctionnaires », commente Denis Lavigogne avec amertume.

Batailles juridiques

En 2018, une première victoire au tribunal administratif de Toulon de celles et ceux qui s’opposent au projet est cassée par la Cour d’appel de Marseille. Ne subsiste alors qu’un dernier rempart : le permis de construire dont le carrier a besoin pour mettre en place les bâtiments qui transformeront les futurs granulats. Mais Laurent Gueit, le nouveau maire de Mazaugues pourtant élu après avoir fait campagne contre la carrière, accorde finalement le sésame en janvier dernier. Sur le site de la mairie, il justifie ce choix en évoquant les menaces judiciaires du carrier et la « mise en garde » du sous-préfet local quant à une possible mise sous tutelle de la commune.

Dans ce combat kafkaïen, le Collectif anti carrière de Mazaugues (CACM), créé en 2018, tente de garder le cap. « Depuis le début, on demande un réexamen du dossier au regard des nouvelles pièces qu’on produit. Jusque-là, la justice ne s’est basée que sur les études d’impact commandées par le carrier lui-même », regrette Thierry Gontier, président d’une des associations locales qui composent le groupe. Maintenant, on passe au pénal en déposant plainte pour destruction d’espèces protégées. » En parallèle, Nina Millet a à son tour déposé une plainte pour « mise en danger » des humains de la mine. Enfin, l’Office français de la biodiversité (OFB), qui s’est penché tardivement sur le sujet, déclare lui aussi mener une enquête.

En face, la riposte gagne aussi en intensité. Après avoir passé des mois à se contenter de communiquer sur « l’absence de risques de pollution et d’atteintes à la biodiversité », le carrier est passé à l’attaque en déposant une plainte pour « atteinte au bon déroulement des travaux » qui vise tant le CACM que les zadistes, dont il a par ailleurs nié la présence sur le site à plusieurs reprises dans la presse locale.

Occupation permanente

En attendant les réponses de la justice, les « humains de la mine » comptent leurs soutiens et s’organisent. « Nous sommes en train de préparer des formations encadrées par des pros pour apprendre les réflexes à avoir en bas », explique Nina Millet. Cette formation, Kil-Lière (qui préfère donner un pseudo que son vrai nom), s’apprête à la suivre dans les prochaines semaines. « Évidemment, j’aurais préféré profiter de mon été déconfiné comme tout le monde, mais aujourd’hui on en vient à devoir s’enfermer dans une mine pour se faire entendre », explique, résigné, ce jeune homme d’une vingtaine d’années qui se définit comme un « militant nomade, ayant toujours été sensible aux questions écologiques. »

Pour que la Zad dure, pas question de se cantonner au sous-sol. À quelques pas de la carrière, Nina Millet et ses camarades imaginent déjà les « familles qui viennent se balader, les pique-niques organisés » et autres activités permettant « d’amener les gens à être sur place. » Pour l’heure, ce regain de mobilisation est porteur d’espoir. Après tant de revers, Thierry Gontier, membre du CACM, contemple l’horizon en l’imaginant intact : « c’est peut-être grâce aux jeunes en-dessous, ou à nos recours en justice, ou peut-être un peu des deux, mais en tout cas, depuis une dizaine de jours, on ne voit plus aucune activité sur le site. » Jusqu’à quand ?

 

(1) Depuis sa création en 2001, le Groupement d’intérêt public Geoderis réalise des Plans de prévention des risques miniers (PPRM) dans les anciennes zones d’extraction au sein desquels on retrouve des cartes d’aléas miniers.

(2) Les stocks d’explosifs de l’entreprise Titanobel, installés dans les années 2000, contiennent notamment du nitrate d’ammonium. Le site est classé Seveso seuil haut.

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