[DOSSIER] Pour une ville plus respirable

Publié le lun 22/11/2021 - 11:00
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Par Estelle Pereira

Transports gratuits, réappropriation de l’espace urbain par les habitants... les villes sont le fer de lance de la politique de lutte contre la pollution atmosphérique. Pour cela, elles expérimentent de nouvelles façons d’aménager et de penser les espaces communs.

À la fin des années 1920, les industriels de l’automobile se sont alliés pour racheter les sociétés de tramway américaines et les faire disparaître. Débute alors la domination de la voiture individuelle sur l’ensemble de la planète (1). Les villes ont vu leur espace accaparé par l’automobile au détriment d’un transport en commun déjà reconnu à cette époque comme moins encombrant et moins gourmand en énergies fossiles.

En France, des associations comme Greenpeace, le Réseau Action Climat et l’Unicef ont classé douze agglomérations françaises en fonction de leurs efforts pour redonner une place aux transports en commun, mais aucune « ne va assez loin pour protéger les habitants, ni n’a investi sur l’ensemble de solutions de la mobilité durable », selon leur rapport (2). Il n’empêche que certaines villes tentent d’innover pour améliorer le quotidien de la population tout en limitant l’impact de la circulation automobile sur sa santé.

Rennes : vers une organisation temporelle

Le métro désengorgé, une congestion du trafic routier diminué, des infrastructures publiques mieux utilisées, la ville de Rennes est parvenue à améliorer l’accessibilité de son centre-ville grâce à une approche originale, celle du temps. Créé en 2002, le Bureau des temps avait au départ vocation à lutter contre les inégalités entre les femmes et hommes induites par des horaires de travail atypiques, notamment ceux des agents d’entretien, catégorie d’emploi occupée largement par des femmes. « Il s’agissait de modifier les horaires de travail pour les aider à mieux concilier vie privée et vie professionnelle », raconte Iris Bouchonnet, déléguée à la politique des temps à la ville de Rennes.

La même réflexion s’est étendue à tous les pans de la vie sociale rennaise et en particulier aux transports. « Par exemple, en différant d’un quart d’heure le début des cours entre plusieurs universités, nous sommes parvenus à fluidifier la fréquentation de la ligne de métro, jusqu’alors saturée », ajoute Inès Bouchonnet.

Désormais, le Bureau des temps encourage les entreprises à autoriser leurs employé·es à commencer plus tard ou à finir plus tôt leur journée, mais aussi à leur permettre de travailler depuis des espaces de coworking plus proches de leur domicile. En parallèle, la ville étudie comment les infrastructures publiques peuvent être mieux utilisées en y faisant cohabiter plusieurs activités. « Le but est de sortir d’une approche individuelle pour passer à une approche collective et territoriale d’aménagement, tout en faisant sortir les habitants de leur culpabilité parce qu’ils auraient l’impression de ne pas parvenir à gérer leur temps », estime Iris Bouchonnet.

La méthode grenobloise : impliquer les entreprises

L’ancienne capitale du Dauphiné est connue pour le développement de ses pistes cyclables et pour avoir élu un maire écologiste dès 2014. Malgré une politique volontariste, Grenoble, enclavée entre plusieurs massifs montagneux, a toujours des taux de concentration en dioxyde d’azote supérieurs aux normes européennes. Dès 2019, la métropole grenobloise a décidé de mettre en place une zone à faibles émissions entièrement axée sur les véhicules utilitaires et les poids lourds, avec l’objectif que plus aucun roulant au diesel ne circule d’ici 2025. « Nous avions un objectif d’aller vers la livraison du dernier kilomètre de façon propre », rappelle Christian Ferrari, de façon à ce que le territoire respecte les normes de concentration de polluants.

L’édile affirme que la collectivité travaille à ce que le bassin grenoblois produise localement l’énergie qui servira à alimenter les futurs véhicules propres. Par exemple, en installant des recharges de gaz méthane fabriqué à partir du traitement des boues des stations d’épuration ou du compost trié sur l’ensemble des 27 communes de la métropole.

Vers la gratuité des transports en commun ?

Avec l’arrivée de plusieurs listes écologistes aux manettes d’agglomérations, les attentes de politiques contre la pollution de l’air sont d’autant plus grandes. La Métropole de Lyon a annoncé qu’elle allait prêter des vélos reconditionnés localement aux 18-24 ans résidant sur son territoire pour leur éviter d’acheter une voiture. Une mesure chiffrée à 4 millions d’euros.

À Montpellier, les transports en commun sont désormais gratuits pour les moins de 18 ans et les plus de 65 ans. La collectivité entend étendre cette mesure à toute la population d’ici 2023. À Aubagne, la mise en place des bus gratuits a provoqué une hausse du nombre de voyages annuels de 1,9 million à 6 millions entre 2009 et 2017, pour une population de 45 000 habitants.

Dunkerque, Strasbourg, Castres ou Niort ont également choisi de rendre leurs transports en commun gratuits, avec des résultats certes plus coûteux pour la collectivité mais positifs en termes de fréquentation. Cependant des experts du GART, groupement des autorités responsables du transports (3), nuance l’impact de la gratuité sur les automobilistes : sans amélioration de la qualité du réseau et sans politiques désavantageuses pour la voiture (voies réservées au vélo, au covoiturage ou à la marche, parking relais en périphérie), la gratuité pure et simple attire le plus souvent des usagers qui se déplaçaient déjà en vélo ou à pied.

Généraliser le transport collectif engendrera certes une hausse des dépenses pour la collectivité. Mais rapporté au coût sanitaire et économique que fait porter la pollution de l’air à l’ensemble de la société, chiffré annuellement à 100 milliards d’euros par le Sénat, les sommes à mettre en œuvre pour opérer un véritable changement de paradigme semblent finalement dérisoires.

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Sources :

(1) L’Homme a mangé la Terre, Jean-Robert Viallet, Arte, 2019 (bit.ly/3zU7URa)

(2) Paris, Grenoble, Strasbourg, Lyon, Nantes, Bordeaux, Lille, Rennes, Toulouse, Montpellier, Nice, Marseille. (bit.ly/3yW6YL6)

(3) « Gratuité des transports publics pour les usagers : une étude du Groupement des autorités responsables de transport pour objectiver le débat », publiée en 2019. (bit.ly/3toX1o3)

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