De l’agroécologie pour sauver le plateau de Valensole

Publié le ven 21/12/2018 - 16:27

Par Hélène Saveuse

Derrière la carte postale du plateau de Valensole se cache une autre réalité : les plants de lavandins se meurent à cause d’une maladie véhiculée par un parasite, les sols fatiguent et les masses d’eau souterraine se dégradent. Des acteurs locaux se sont rassemblés autour du projet Regain, afin de mener à des « pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement ».

Sur la table en formica de sa cuisine, Jacky Piatti, agriculteur et lavandiculteur installé à Puimoisson (Alpes-de-Haute-Provence), et Perrine Puyberthier, animatrice du projet Regain pour le Parc naturel régional du Verdon, font le point sur la saison passée.

« Quel taux de dépérissement des lavandins (*) en 2017 ? Quelle technique pour contrecarrer la prolifération de la bactérie tueuse de lavandin, le phytoplasme du Stolbur ? », s’interrogent-ils. Les deux partenaires dessinent et planifient une expérimentation de couverts végétaux dans les champs de lavandins. Ils évaluent les progrès, les risques et surveillent les rendements. Dans quelques jours, ils présenteront aux agriculteurs inclus dans le dispositif Regain les résultats de leurs expérimentations sur les parcelles de Jacky. « Le projet Regain existe pour que la ruralité reste dynamique sur ce territoire. Nous essayons de trouver le bon équilibre entre viabilité économique, valeurs environnementales et sociales », explique Perrine Puyberthier.

 

Jusqu’à 50 % des lavandins contaminés

Le plateau de Valensole est situé dans les Alpes de Haute-Provence, département qui, en 2010, contribuait pour 60 % à la production nationale de lavandins. Les problèmes environnementaux se sont accumulés : les eaux sont polluées par les nitrates et les produits phytosanitaires, la fertilité des sols a diminué et leur érosion a été accentuée par les remembrements de parcelles, qui ont regroupé les surfaces d’exploitation. Les habitats naturels de la faune (haies, arbres…) ont été largement détruits par le modèle agricole productiviste.

Il y a un peu plus de dix ans, les agriculteurs et lavandiculteurs du plateau de Valensole ont remarqué que de nombreux plants de lavandins dépérissaient. Dans un premier temps, le réchauffement climatique est incriminé. Celui-ci favoriserait la prolifération de la cicadelle, un insecte introduit en France dans les années 1950, qui se nourrit de la sève des végétaux. Pas si sûr, puisque l’insecte, originaire du nord-est des États-Unis, préférerait la fraîcheur.

Il est cependant le vecteur d’une bactérie, le phytoplasme du Stolbur, un microorganisme qui a besoin d’un hôte pour survivre. Celui-ci bloque la circulation de la sève dans la plante, ce qui conduit à sa mort.

Réguièrement, les agriculteurs se retrouvent autour des techniciens et des animatrices Regain, pour une journée de formation. Crédit photo : Perrine Puyberthier

« Une agriculture performante, viable et durable »

Sur certaines parcelles situées dans la commune de Puimoisson, centre névralgique de la contamination, le taux de contamination atteignait parfois jusqu’à 50 % des plants, pour la 3e année de plantation. Il fallait réagir. En janvier 2016, la chaire d’entreprise Agrosys, la chambre d’agriculture des Alpes-de-Haute-Provence, la Société du Canal de Provence et le Parc naturel régional du Verdon signent une convention-cadre autour du projet Regain. L’objectif : accompagner les agriculteurs du plateau de Valensole vers « le développement de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement, dans le cadre d’une agriculture performante, viable et durable ».

 

« La clef de l’agroécologie, c’est la diversification »

Perrine Puyberthier, animatrice du projet Regain.

 

« Sur le plateau de Valensole, des agriculteurs ont déjà adopté certains principes de l’agroécologie, comme la diversification des cultures et des productions, les semis sous couvert végétal ou la fertilisation organique. Épaulés de techniciens et de chercheurs, grâce au projet Regain, ils pourront relever ce défi lancé au monde agricole », s’enthousiasme Perrine Puyberthier.

Précurseur en la matière, Jacky Piatti est l’un des premiers agriculteurs à avoir été intégré dans le projet Regain. La saison dernière, il a donc semé de la coriandre entre ses rangs de lavandins, la plante étant réputée pour repousser les pucerons, les doryphores et les acariens : « C’est un bilan mitigé. Il y a eu de la concurrence hydrique entre les plans de lavandins et la coriandre. Le seul avantage est que, la première année, nous avons eu une rentabilité avec la récolte de la coriandre alors que, habituellement, nous ne récoltons rien sur les plans de lavandins », observe-t-il.

Pour lui, une autre plante testée fonctionne mieux : le triticale, une plante hybride entre le blé dur et le seigle. Les avantages seraient nombreux : la concurrence hydrique serait limitée, ainsi que la projection d’ombres sur les jeunes plants de lavandins. Surtout, les résultats sur la prolifération du phytoplasme du Stobur sont indéniables : « Sur les parcelles où nous avons testé le couvert végétal de triticale entre les rangs de lavandins, nous sommes passés de 21 % de mortalité des plants à seulement 4 à 5 % de mortalité, sans utiliser de procédés chimiques. La clef de l’agroécologie, c’est la diversification », considère Perrine Puyberthier.

Pendant longtemps, il y a eu sur certains secteurs du plateau de Valensole des rotations de culture trop courte, ce qui a entraîné la prolifération des plantes adventices.« Pour mettre un terme aux adventices, il faut allonger les rotations, diversifier l’assolement, alterner cultures d’hiver et de printemps, précise Perrine Puyberthier. En clair, il faut recréer un agroécosystème complexe. » L’année prochaine, Jacky testera peut-être la plantation de fétuques, une graminée fourragère, ou encore de trèfles, entre les allées de lavandins.

 

Quid de la pollution de l’eau ?

Depuis plusieurs années, des traces de pollution ont été détectées dans les nappes d’eaux souterraines du plateau de Valensole. Laurent Bourdin, chef de service Durance à l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, connaît bien le sujet : « Avec le projet Regain, nous travaillons sur un projet à moyen terme, pour assurer un changement de mode de culture. Nous ne sommes pas là pour désigner un coupable et l’accabler, nous travaillons tous main dans la main au service du territoire. »

Malgré les efforts engagés, la qualité de l’eau sur le plateau de Valensole reste préoccupante : « Des traces de pollutions historiques ont été relevées. La difficulté reste le coût des travaux de dépollution de l’eau qui doivent se faire à l’aide d’un filtre à charbon actif qui multiplie par cinq le montant de l’opération. »

Avec la Société du Canal de Provence, un important dispositif devrait être mis en place d’ici 2021 sur le plateau de Valensole. Un projet de sécurisation de la ressource en eau potable devrait être lancé dans quelques mois et être terminé d’ici 3 ans. Une initiative qui va de pair avec l’installation d’un réseau d’irrigation pour permettre la diversification des cultures agricoles du plateau de Valensole. Et mener, peut-être, à sa réhabilitation.

 

(*) une plante hybride de la lavande qui a un bien meilleur rendement.

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