[THEMA] Sauvage : Une question de ville ou de mort ?

Publié le ven 05/05/2023 - 12:00

Par Quentin Zinzius

Tantôt sacralisé, tantôt persécuté. Le sauvage est à la fois « le paroxysme de la nature et de la liberté » mais aussi « ce qui s’oppose à la civilisation », selon les différentes définitions. Une dualité qui a fini par délier complètement le « monde humain » du « monde sauvage », au point qu’ils peinent aujourd’hui à coexister dans un même espace.

Loin des yeux mais près du cœur. En France, la nature et la « faune sauvage » qui la constitue ne cessent de gagner en popularité auprès du grand public. Selon un sondage Ifop de janvier 2022, près de 80 % des Français portent ainsi un haut intérêt au respect des animaux sauvages et à leur sensibilité. Pourtant, notre relation avec ces espèces est loin d’être évidente. « La vie d’un humain moderne occidental ne croise que rarement celle d’un animal sauvage, à moins que ce dernier ne traverse devant sa voiture… », ironise Élise Huchard, primatologue et écologue spécialiste du comportement animal. En cause selon la philosophe Joëlle Zask, qui a travaillé sur nos relations aux animaux sauvages, « une construction du monde humain incompatible avec les besoins des animaux ». En particulier la ville, qui constitue « un lieu de rupture puissante avec l’animalité », complète-t-elle.

Malaise urbain

Car s’il est bien un endroit où le sauvage n’est plus à sa place, c’est bien dans nos zones urbaines. « La ville et sa prédictibilité géométrique sont structurellement étanches à l’erratisme de la vie et du sauvage », reprend la philosophe. Une étanchéité qui continue de tenir à l’écart une majeure partie de la vie sauvage. Quant aux animaux qui y prospèrent, « la plupart sont considérés comme nuisibles », renchérit la philosophe. Pigeons, rats et autres moustiques en tête. « Pourtant, reprend Joëlle Zask, ces animaux ne font que se nourrir des défauts de notre monde et ils sont victimes des mêmes troubles : obésité, espérance de vie réduite, pathologie multiples... » A l’heure de la raréfaction des habitats et des ressources naturelles, de plus en plus d’animaux sauvages se tournent vers les villes en quête de nouveaux espaces. Le retour des renards et faucons pèlerins dans certaines agglomérations en sont un exemple, ainsi que les nombreuses visites sauvages observées pendant les confinements.

Une question de distance

Le problème est que « les gens ont oublié ce que sont les animaux sauvages, réagit également Cédric Sueur, spécialiste de l’éthique animale. Comme ils évoluent en ville, ils ont tendance à les croire inoffensifs, voire apprivoisés : ils veulent les caresser ou les nourrir. » Des comportements dangereux pour l’être humain – l’animal sauvage pourrait essayer de mordre – mais aussi et surtout pour l’animal lui-même, qui pourrait finir par devenir dépendant. « Entre exterminer un animal et lui donner à manger, la frontière est très fine », résume Joëlle Zask. « Le grand public a tendance à associer à l’animal les réactions qu’il connaît de ses propres interactions avec ses semblables humains. Mais c’est une erreur car chaque espèce animale a ses propres codes sociaux », détaille Élise Huchard. Pour les trois spécialistes, savoir garder ses distances est donc primordial. « Les animaux sauvages n’ont pas besoin de nous, mais d’espaces. Alors, nous devons apprendre à accueillir ces animaux compatibles avec la vie urbaine avant d’essayer de rétablir des relations plus complexes avec les autres animaux sauvages », insiste Cédric Sueur. « Ce que nous devons réapprendre, ce n’est pas seulement à cohabiter, prévient Joëlle Zask, mais aussi à coexister ».

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