[THEMA] Plus peuplée et plus naturelle, la ville de demain devra cesser de s'agrandir

Publié le ven 26/08/2022 - 12:00

par Estelle Pereira

D’ici 2050, la France s’est fixée pour objectif de ne plus artificialiser ses sols. La densification urbaine est l’une des façons d’y parvenir en empêchant les villes de s'étaler. Mais leur adaptation aux changements climatiques implique également de laisser plus de place à la biodiversité. Une équation difficile que vont devoir résoudre les aménageurs.

L’artificialisation des sols est considérée comme l’une des premières causes de l’érosion de la biodiversité. « 63 % de l’artificialisation est destinée à l’habitat et 30 % à l'activité économique », détaille Agnès Hennequin, chargée de mission Aménagement et biodiversité, à l’Agence régionale pour la biodiversité et l’environnement (ARBE). Plus une ville est artificialisée, plus elle est vulnérable aux changements climatiques. En même temps, la protection des zones naturelles et agricoles implique que les villes cessent de s’étendre tout en réintroduisant de la nature en son sein pour lutter, par exemple, contre les îlots de chaleur. Faire converger la densité avec la renaturation est un véritable défi pour la collectivité.

Identifier les enjeux

Selon Agnès Hennequin, qui accompagne les collectivités de la région Sud dans cette transition : « La première étape est d’identifier les enjeux écologiques à l’échelle des territoires et d’éviter au maximum les impacts des nouveaux projets de construction ». Autrement dit, chaque commune doit mieux connaître les espèces locales qui prospèrent sur son territoire et qui pourraient être favorisées. « Par exemple, la ville de Toulon installe des nichoirs à martinets, dont la vitalité a été constatée en ville, dans toutes les constructions anciennes et nouvelles », illustre-t-elle.

Autre exemple, à Marseille, où les friches urbaines ont fait l'objet d’une étude écologique pour savoir si elles abritent ou non de la biodiversité. Ces espaces anthropisés sont des lieux idéaux pour de nouvelles constructions car elles permettent d’utiliser des terrains déjà aménagés. Mais lorsque la biodiversité s’y est développée, tout raser devient contre-productif. En fonction de leur degré de pollution, certaines friches sont utilisées pour la production d’énergie avec l’installation de panneaux solaires, d’autres vont être concernées par des projets de tiers-lieux, comme à Marseille, ou encore transformées en zones naturelles comme à Monteux, dans le Vaucluse.

Les programmes de rénovation des centres-bourgs anciens peuvent également être l’occasion de faire revenir des habitants tout en ayant des projets immobiliers intégrant mieux la nature. Par exemple, le village de Volonne (04), 1 700 âmes, est parvenu à construire un éco-quartier pour « accueillir du logement, des commerces, une maison de santé, tout en respectant au maximum la nature existante et en restant dans une logique de désimperméabilisation », décrit Agnès Hennequin.

« Pourcentage de nature »

« Nous devons innover », prévient Marc Barra, écologue à l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France. « Car aujourd’hui, on ne s’appuie pas assez sur les études scientifiques, or c’est le rôle des écologues de les faire connaître », pointe l’ingénieur. Lui prône la prise en compte de toutes les surfaces et un certain pourcentage de nature dans les milieux urbains. « On doit prévoir une densification maximale à ne pas dépasser. Une étude américaine montre que 30 % d’espaces végétalisés dans un rayon de 250 mètres autour des habitations est nécessaire pour la bonne santé des espèces et des habitants », illustre-t-il.

L’arrivée des écologues dans le milieu de l’aménagement pourrait bien entraîner un changement de vision. Le milieu scientifique est d’ailleurs de plus en plus sollicité pour sonder comment la nature peut devenir partie intégrante des projets d'aménagement. Pour cela, l’agence interministérielle Puca (Plan urbanisme Construction Architecture), rattachée au ministère de l’Écologie et de la cohésion des territoires, a lancé le programme Baum1 en 2019. Parmi les recherches sélectionnées, celle de l’université d’Aix-Marseille étudie la faculté des réseaux viaires (autoroutes urbaines, boulevards, rues privées, impasses) à faire office de « trame verte » grâce aux arbres et à leurs pieds végétalisés. À Strasbourg et à Dijon, des projets similaires scrutent comment réagissent les pollinisateurs et la flore locale à l’échelle d’un quartier. À terme, le programme Baum doit aider à mieux comprendre s’il est possible d’installer des écosystèmes internes à la ville, sur les trottoirs, aux pieds des murs, ou dans les cours des immeubles. Cela afin de limiter le morcellement des espaces verts qui rend difficile la survie des espèces animales et végétales sans intervention humaine.

Lois antagonistes

En attendant que les résultats scientifiques se traduisent en projets politiques, les collectivités doivent composer avec un cadre légal ambivalent qui ne facilite par leur action. D’un côté, la loi Climat et résilience prévoit une diminution de la vitesse d’artificialisation par deux d’ici 2030. Alors qu’à ce jour, la tendance est plutôt à l'accélération de l’étalement urbain. Selon le ministère de la Transition écologique, entre 20 000 et 30 000 hectares sont artificialisés chaque année. « Les objectifs de la loi climat ne sont pas encore intégrés dans les documents de planification régionaux et locaux. On est encore dans la mise en œuvre des Plans locaux d’urbanisme qui ont été conçus, pour certains, il y a une dizaine d’années », pointe Agnès Hennequin.

De l’autre côté, des lois récentes, comme la loi Elan de 2018, visent à faciliter la construction de nouveaux logements par ce que le gouvernement a appelé le « choc de l’offre ». Elle promeut la construction de bâtiments neufs au détriment de la réhabilitation de logements anciens. Une schizophrénie réglementaire sur laquelle alerte le Conseil économique et social dans un rapport sur la nature en ville2 qui préconise de privilégier en priorité la réhabilitation des « trois millions de logements vacants en conditionnant les aides à la rénovation à la prise en compte de la nature dans les projets. »

Volonté politique

Sans attendre l’évolution de la loi, la métropole de Grenoble, dans le cadre de la révision de son Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) en 2019, a intégré un outil prometteur jusqu’à ce jour peu utilisé par les collectivités : l’OAP (Orientation d’aménagement et de programmation ) Paysage et biodiversité. Il impose aux bâtisseurs de « mieux prendre en compte le contexte paysager dans lequel s’inscrit tout projet », détaille Sophie Galland, paysagiste à la métropole Grenoble-Alpes. Ainsi, à l’échelle des 49 communes membres, tout constructeur peut se voir refuser un permis de construire s’il ne prend pas en compte les 14 unités paysagères identifiées sur l’ensemble du territoire.

Toute nouvelle opération de construction doit être argumentée quant à ses impacts sur la biodiversité. « Il y a une vraie volonté politique de lutter contre la banalisation des opérations », résume la paysagiste. La commune de Gières (38) a, par exemple, pu réorienter le projet d’un promoteur en le faisant passer de 70 à 50 logements au nom d’une « densité acceptable », ajoute Sophie Galland. « Sur le terrain, il y avait trois pavillons avec des jardins entretenus et des gros arbres. En mettant le bâtiment à l'opposé de ce qu’il était prévu et en faisant des parkings souterrains, on a pu préserver ces bosquets d'arbres. »

Dans les permis de construire, peu d'exigences concernent le non-bâti : les parkings avec des sols poreux, les haies, les terrasses, les toits, sont pourtant des espaces annexes sur lesquels pourrait être intégrée la nature. « Dorénavant, on recommande aux promoteurs de travailler avec des paysagistes écologues. On est conscient qu’il faut des compétences particulières pour prendre en compte la biodiversité dès la genèse d’un projet », explique Sophie Galland. Non spécialistes, les porteurs de projet peuvent, par exemple, végétaliser avec des espèces exotiques qui s’avéreront finalement coûteuses en entretien pour la collectivité et parfois même envahissantes. La monoculture est encore très présente aussi et rend vulnérables les espèces en cas de maladie. L’objectif avec l’intégration de la biodiversité est bien de créer un écosystème qui fonctionne, à terme, seul, et puisse remplir des fonctionnalités écologiques. Et cela implique de laisser plus de place aux connaissances des écologues dans les stratégies urbaines.

+D'INFOS

Notes :

  1. Biodiversité, aménagement urbain et morphologie

  2. « La nature en ville : comment accélérer la dynamique ? », Annabelle Jaeger, Conseil économique et social, juillet 2018.

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