[THEMA] Plaidoyer pour une démocratie alimentaire

Publié le lun 09/01/2023 - 11:00

Propos recueillis par Julien Dezécot

Depuis le confinement en 2020 et avec l’inflation actuelle, nos systèmes agricoles et alimentaires sont durement éprouvés et les inégalités alimentaires se sont accentuées de manière criante. Remettre de l’égalité dans les menus de tous les foyers français est l’un des enjeux majeurs d’un système alimentaire résilient.

D’après une étude de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses), les habitudes et modes de consommation alimentaires de la population française sont un miroir des inégalités sociales. Autrement dit, plus vous êtes riche et avez fait des études, plus votre assiette sera de qualité… Et l’inverse aussi. Depuis la crise sanitaire, cet écart semble s'être encore accentué, observent plusieurs ONG dont les Restos du cœur ou la Banque Alimentaire qui ont vu de nouvelles personnes demander l'aide alimentaire d'urgence. « La crise qui se prépare est d’une toute autre dimension, plus insidieuse : celle d’une accentuation des inégalités et d’une paupérisation de populations déjà fragilisées, analyse Oxfam, avec des conséquences à long terme très préoccupantes sur leur accès à l’alimentation. » D'où des voix qui s'élèvent, notamment en France, pour tenter d'enrayer ce creusement des inégalités et promouvoir la démocratie alimentaire, comme le fait Dominique Paturel.

Sur quoi repose l'idée de « démocratie alimentaire » ?

La démocratie alimentaire repose sur trois piliers. Le premier est qu’un système alimentaire est basé non pas sur les produits alimentaires, mais bien sur un système d'acteurs-clés : producteurs, consommateurs, transformateurs et distributeurs. Or le système alimentaire aujourd'hui est dépendant d'un système mondialisé et spécialisé par type de production par pays à l'échelle planétaire. Le deuxième pilier consiste à rendre effectif le droit à l’alimentation que nous qualifions de durable, car il est l’expression d’une tension entre l’alimentation comme marchandise et les droits humains soumis à la volonté des États quant à leur effectivité. Pour que l’accès à l’alimentation soit garanti de façon égalitaire dans un pays comme la France, il faut passer par la loi. D’où notre soutien à une inscription de ce droit dans la Constitution. Le troisième pilier est la justice sociale, tissant des liens entre une justice redistributive et une justice capable de prendre en compte les besoins différenciés des populations.

Autrement dit, vous posez la question du pouvoir d'agir et de la citoyenneté alimentaire?

Démocratiser passe en effet par des initiatives de justice alimentaire. C'est la revendication des citoyens à reprendre le pouvoir sur la façon d’accéder à l’alimentation. Pour cela, le droit à l'alimentation doit être effectif. La démocratie alimentaire apparaît comme un terreau particulièrement propice à la construction d’une nouvelle citoyenneté dans laquelle les citoyens retrouvent les moyens d’orienter l’évolution de leur système alimentaire, à travers leurs décisions et pas uniquement leurs actes d’achat. Et même dans l’aide alimentaire où les destinataires sont captifs des distributions pour une partie de leur alimentation, nous avons expérimenté pendant plusieurs années avec les Restos du cœur de l'Hérault un approvisionnement en fruits et légumes frais et locaux, pour remettre un peu d’égalité dans leur assiette. Et cela permet aussi de soutenir les producteurs locaux.

Dans cette dynamique démocratique, vous proposez l'idée d'une sécurité sociale de l'alimentation, portée tant par votre collectif Démocratie alimentaire que par des associations…

En période de guerre, l’État garantit l'alimentation. Je pense qu'il s'agit d'une mission régalienne au même titre que la Défense. Toutefois on ne peut y répondre de manière uniquement centralisée. D'où l'idée d'une sécurité sociale de l'alimentation, possiblement à l'échelle des bassins de vie, des territoires. Celle-ci serait financée par une cotisation sociale de l’ensemble des acteurs du système alimentaire dans une logique d'économie circulaire. Ces différents acteurs travailleraient dans le cadre d’un conventionnement avec les caisses de sécurité sociale de l’alimentation, comme pour la santé. C’est cette proposition que nous défendons avec le collectif qui rassemble Ingénieurs sans frontières-Agrista, Réseau Salariat, Réseau Civam, la Confédération paysanne, le Miramap, des chercheurs et chercheuses sur la démocratie alimentaire, les Amis de la Confédération paysanne et l'Ardeur.

Concrètement, comment cela serait-il mis en place ?

Imaginons une monnaie locale de l'alimentation utilisable avec une sorte de carte vitale. Celle-ci ouvrirait un droit à se fournir en aliments de qualité, issus de productions et de transformations locales, mais pas seulement. Tout cela ne serait possible que si l'on pense Transition, avec l'octroi d'une allocation mensuelle pour l’ensemble de la population sur le modèle des allocations familiales. Dans un premier temps, il s’agirait d’orienter un tiers de l’allocation vers des produits alimentaires moins transformés puis, au bout de deux ans, deux tiers de l’allocation vers les fruits et légumes. Ces mécanismes de redistribution permettraient de faire bouger considérablement l'offre alimentaire, de soutenir la production locale en confortant certains systèmes alimentaires plutôt que d'autres et en accompagnant les transformations nécessaires. Tout cela ne fonctionnerait que dans un système ouvert entre les bassins de vie pour penser une monnaie d'échange entre territoires car tous n'ont pas assez de fruits et légumes, céréales, etc. Et il faudra veiller à partager la ressource de manière égalitaire entre les territoires. La relocalisation et les circuits courts ne seront pas suffisants pour nourrir toute la population. Il faudra aussi travailler avec les PME de l’agro-industrie de façon à faire évoluer leur offre alimentaire vers des denrées de meilleure qualité nutritionnelle tout en garantissant un accès égalitaire.

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