[REDIFF-THEMA] Nature en ville : une affaire de santé publique !

Publié le mar 02/01/2024 - 11:00

Par Élodie Crézé

Alors que l'ONU prévoit une urbanisation exponentielle pour les décennies à venir, la nature semble condamnée à perdre toujours plus de terrain, au détriment de la santé physique et sociale de l'Homme. Et si la végétalisation des villes était enfin considérée comme un enjeu de santé publique ? Études internationales et chercheurs plaident en ce sens.

 

Selon les prévisions de l'ONU, les villes abriteront 68 % des 9,5 milliards d’habitants du monde d’ici 2050. Une urbanisation croissante qui entraîne une déconnexion progressive des êtres humains à la nature1 dont l'impact sur la santé humaine2 est désormais établi.

« Cette extension de l'urbain appelle à le régénérer. C'est une condition de (bonne) existence pour l'homme. Il faut rendre la ville vivable ! », alerte Philippe Clergeau, écologue et professeur au Muséum national d'Histoire naturelle.

Encore faut-il, pour cela, régler les problèmes qui y sont liés. En premier chef, une température urbaine plus élevée de 3 degrés en moyenne que sur le reste du territoire (Lire article p 30). Justement, insiste Philippe Clergeau, « le 1er enjeu de la végétalisation est le rafraîchissement de la ville ». Une récente étude de Santé publique France3 tend a établir une corrélation entre la présence d'îlots de chaleur urbains dans des zones non végétalisées ou non arborées, où les habitants sont surexposés à de fortes températures, et la mortalité dans les communes d’Île-de-France.

Particules fines

Autre problématique, l'Agence nationale de santé publique4 estime à 48 000 le nombre annuel de décès prématurés dans l'Hexagone, imputables à la pollution par les particules fines. Là encore, une étude de l'ONG Nature Conservancy de 2016 indique que la végétalisation d'une ville contribue à réduire les concentrations en particules fines de 20 % à 50 %. Végétaliser la ville relèverait ainsi d'une  nécessité « vitale », selon Chris Younès, psychosociologue et docteur en philosophie5 Toujours selon la même étude, en investissant à peine 3,6 euros par habitant dans la plantation d’arbres, les villes pourraient sauver entre 11 000 et 37 000 vies par an ! Ainsi, il y a urgence à « rétablir une proximité avec la nature dans la ville. La réparer, la soigner, dans tous les quartiers et à tous les niveaux de population », poursuit la chercheuse. En substance, remettre la nature dans chaque interstice de la société... comme antidote aux maux des citadins.

De fait, la présence de la nature comporte des effets bénéfiques tant sur la santé physique que psychique : elle favorise la pratique d'activités physiques, agit sur la diminution du stress et de l'anxiété6. Et, comme le rappelle Chris Younès : « le temps de la convalescence est moins important lorsque l'on peut porter, ne serait-ce qu'un regard, sur un jardin ». Sans oublier l'action positive de la nature sur la dépression, ou encore sur la réduction des troubles cognitifs, détaille une note de Plante & Cité7.

Et la réciproque est vraie, si l'on se fie au concept du « trouble de déficit de nature » défendu par Richard Louv : « le manque de contact direct prolongé et régulier avec la nature, tout particulièrement pendant l'enfance, entraîne[rait] des  coûts psychologiques, physiques et cognitifs ». Ceci s'expliquerait par la biophilie, théorisée par le biologiste américain Edward Osborne Wilson, selon laquelle l’être humain a un besoin inné de connexion avec d'autres organismes vivants.

Liens sociaux

Au-delà du seul individu, les différents travaux scientifiques tendent à montrer que c'est toute la santé sociale qui est en jeu. Les espaces de nature, tels que les jardins partagés - exemple emblématique – ont pour fonction, d'après Philippe Clergeau, « la (re)création de liens sociaux entre les habitants, particulièrement ténus ». Plus encore, le rapport de Plante & Cité8 cite une étude selon laquelle « la présence de nature en ville permet de renforcer un sentiment d’appartenance communautaire et d’attachement affectif pour les habitants d’un même quartier9». Ce lien rétabli, le sentiment de solitude, reconnu aujourd'hui comme un facteur aggravant de troubles anxieux et dépressifs, serait aussi atténué.

Si la nature renforce la cohésion sociale, cela est aussi vrai parce qu'elle offre, dans le même temps, de l'espace. Essentiel dans des villes où la promiscuité peut s'avérer nuisible, notamment dans un contexte de densification. Pour Chris Younès, « le partage de l'espace urbain, la citoyenneté, le rapport à l'autre, tout ceci est vital pour l'humain. Mais à condition que son intimité ne soit pas menacée, qu'une juste distance avec l'autre soit conservée. » Finalement, la question de la nature en ville rejoint « la nécessité de faire émerger de nouvelles manières d’habiter en harmonie. Celle-ci se pose en termes de coexistence des vivants. Le nouveau chantier, dans ce rapport ville et nature, oblige à ne laisser personne derrière. C'est une belle utopie », conclut la chercheuse. Une utopie qu'il devient urgent d'ériger en réalité. Notre santé en dépend.

 

Plus d'infos : Effets bénéfiques des espaces de na... - Plante & Cité (plante-et-cite.fr)

Notes de bas de page :
1. Robert Michael Pyle « Nature matrix: Reconnecting people and nature », Oryx, 2003
2. Terry Hartig, « Nature and health », Annual Review of Public Health , Volume 35, 2014
3 Influence des caractéristiques urbaines sur la relation entre température et mortalité en Ile-de-France, octobre 2020.
4.Santé Publique France, Évaluation quantitative de l’impact sanitaire (EQIS) de la pollution atmosphérique, 2016
5. Chris Younès est également professeure à l’École Spéciale d’Architecture.
6. Cerema, Fiche nature en ville et santé illustrations par des écoquartiers, septembre 2018 
7. Plante et Cité, Effets bénéfiques des espaces de nature en ville sur la santé, avril 2021
8.Ibid
9. Arnberger, A., & Eder, R. « The influence of green space on community attachment of urban and suburban residents », Urban Forestry & Urban Greening, 2012

 

 Et les allergies ?

Les affections respiratoires, ou « pollinoses », touchent un nombre croissant de personnes. D'après l'Anses (2014), les pollens de certaines essences ont un pouvoir allergisant élevé qui augmente avec la pollution atmosphérique. Des composés organiques volatiles ou des oxydes d’azote sont aussi générés par certaines essences, désormais bien identifiées (bouleau, cyprès, eucalyptus...). « L’important, souligne une étude du Cerema1, étant de ne pas forcément exclure ces espèces mais ne pas les planter en grand nombre et de manière concentrée à proximité des habitations ou sur des lieux fortement fréquentés. » « L'idée, précise l'écologue Philippe Clergeau, est d'avoir une ville intégrée dans sa biorégion en sélectionnant des espèces propres à son environnement. » Et d'ajouter : « Si on végétalise davantage et mieux la ville, une forme de vaccination naturelle s'opère : les gens seraient ainsi (de nouveau) plus habitués à vivre au milieu des arbres que de la pollution.  »

1.source : Fiche nature en ville et santé illustrations par des écoquartiers, Cerema, septembre 2018

 

 Et les moustiques ?

L'aménagement en ville de milieux humides peut générer la prolifération de moustiques. Celle-ci serait due, la plupart du temps, à un défaut de conception des aménagements. Ainsi, explique le Cerema, « une petite pente peut générer un léger courant d’eau qui est le plus souvent suffisant pour empêcher le développement des larves de moustiques. Des actions de sensibilisation de la population sont nécessaires en complément, pour que chaque habitant puisse agir à son échelle. »

1.source : Fiche nature en ville et santé illustrations par des écoquartiers, Cerema, septembre 2018

+photo moustique Crédit Pixabay

 

 Quid des virus ?

La pandémie de Covid-19, conséquence de la destruction de la biodiversité mis en lumière par un rapport de WWF en mars 2020, illustre la nécessité à préserver celle-ci jusqu'au pied de nos immeubles. « Plus on a d'espèces différentes autour de nous, plus les virus éprouvent des difficultés à cibler une espèce unique. », rappelle Philippe Clergeau.

 

Le Cours Saint-Laud à Angers : une enquête de terrain

Porté entre 2017 et 2021 par l'Institut Agro, le projet « Cours Saint-Laud : Rôle et bienfaits du végétal sur la santé des habitants » avait pour but de « construire une méthode d'évaluation pour examiner l'offre en espaces verts, la santé des habitants, et mettre les deux en relation pour aboutir à des pistes d'action, explique Pauline Laïlle, chargée de mission pour Plante & Cité, un partenaire clé du projet. Cela en vue d'aménager l'espace urbain pour qu'il soit le plus bénéfique pour les habitants.» À terme, se doter d'un outil d'évaluation transposable dans d'autres situations urbaines.

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