[THEMA] Les refuges, havre de paix pour animaux issus du trafic

Publié le ven 12/05/2023 - 10:00

Par Jérémy Pain

Troisième activité criminelle après le trafic de drogues et d’armes, le trafic d’animaux sauvages progresse chaque année. Alors que les saisies se multiplient, des structures naissent pour offrir à ces animaux des conditions de vie meilleures.

 

Des ouistitis chez un particulier, deux boas divaguant en pleine forêt... Les découvertes d’animaux sauvages bien loin de leur environnement naturel ne sont plus rares, ce qui inquiète l’Office français de la Biodiversité (OFB), la police de l’environnement, en lutte contre le trafic d’espèces. En décembre 2022, l’Office se félicitait du démantèlement d’un trafic international d’espèces menacées et de la mise en examen d’une femme de 22 ans pour “détention, transport, mise en vente, vente non autorisée d’animal d’espèce non domestique.” En l’occurrence des félins comme des servals, qui ressemblent à de gros chats, des caracals (avec des oreilles se terminant en pinceaux), des perroquets et des singes.

Tonga, l'hippopotame mascotte

Sur les réseaux sociaux, ces animaux sont exhibés par des “influenceurs”, rappeurs ou sportifs, et peuvent être vendus plusieurs milliers d’euros. De simples recherches sur Instagram permettent d’être mis en relation avec des revendeurs. En remontant la filière, on retrouve souvent des élevages dans l’Est de l’Europe, en Allemagne ou en Belgique.  “Heureusement, les gens sont assez stupides pour se faire prendre en photo et les diffuser sur Internet”, se réjouit Pierre Thivillon, fondateur dans les années 1970 de l’espace zoologique de Saint-Martin-la-Plaine (Loire). Depuis des années, il est régulièrement sollicité par les autorités judiciaires pour recueillir des animaux saisis. Pendant longtemps, il a refusé ces sollicitations faute de moyens et d’espaces suffisants, avant de finalement réorienter ses activités à la fin des années 2000.  Face à l’impuissance de l’Etat qui n’a pas de politique de recueil des animaux sauvages, Pierre Thivillon a créé un refuge avec la venue de son premier pensionnaire, un hippopotame nommé Tonga, mal soigné dans un cirque itinérant. Le mammifère a passé trois mois dans la Loire avant de prendre l’avion et finir ses jours dans une immense réserve d’Afrique du Sud. Pierre Thivillon décide alors de fonder une association qui porte le nom de l’animal, Tonga Terre d’Accueil. Depuis, des centaines d’animaux y ont été recueillis : des singes, des fauves, récupérés dans des cirques, des laboratoires ou auprès de particuliers. “En ce moment, c’est la mode des servals”, regrette-t-il. Des appels de toute la France convergent vers la petite ville de la Loire.

Kiara, panthère sauvée de la guerre

En quelques années, le refuge est devenu une référence, interlocuteur privilégié des autorités et des associations comme One Voice. Particularité de Tonga, les animaux recueillis ne sont pas visibles du grand public, à l’écart de l’espace zoologique. En décembre dernier, c’est une panthère noire nommée Kiara qui a débarqué. Âgée de six mois et issue du trafic, elle a été sauvée près de Kiev (Ukraine) après avoir été abandonnée à cause de la guerre. “L'accueil de cette panthère nous montre une nouvelle fois qu'il ne s'agit pas d'un problème uniquement national mais bien européen. Face aux gains potentiels du trafic d'animaux sauvages, il est capital de mettre en place des lois suffisamment dissuasives avec des peines lourdes”, avait réagi le refuge à l’arrivée du fauve en France.

Les structures telles que Tonga Terre d’accueil sont encore rares en France. Leur modèle tient notamment grâce à de généreux dons et au soutien d’organisations comme la fondation Brigitte Bardot ou 30 Millions d’Amis. D’autres modèles émergent, à l’instar du zoo-refuge La Tanière. Patrick Violas en est le créateur à Nogent-Le-Phaye en Eure-et-Loir. Avec son épouse, ils ont investi trente millions d’euros d’une première vie professionnelle pour pouvoir progressivement accueillir des animaux sauvages : des wallabies, des daims puis des tigres, des lions. Il constate l’évolution récente de l’opinion publique et des acteurs politiques sur la cause animale. “Il y a de plus en plus de saisies, de surveillance et d’enquêtes, se satisfait-il. Et les sanctions se multiplient, des amendes et de la prison.” En 2021, les services douaniers du seul terminal 2 de l’aéroport de Roissy annonçaient avoir saisi 36 tonnes de produits illégaux issus d’espèces sauvages.

Interdiction des animaux dans les cirques

Selon l’OFB, le trafic d’animaux sauvages est la troisième activité criminelle la plus lucrative au monde après les trafics de drogue et d’armes (jusqu’à 23 milliards d’euros par an selon Interpol). À la Tanière, 3 000 animaux ont été sauvés depuis l’ouverture du zoo-refuge, 2 000 ont été replacés dans d'autres parcs. La structure accueille également des animaux issus de laboratoires. Par l’intermédiaire d’une association, Graal, des dizaines de primates sont arrivés en Eure-et-Loir. “Cela représente 5% des animaux accueillis”, estime Patrick Violas. Ce sont des animaux qui ont servi légalement pour des expériences sur les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson. Ils ont peut-être sauvé des gens. Mais leurs séquelles sont nombreuses. Parfois, ils n'ont vu aucun autre singe de leur vie. Nous avons un gros travail psychologique à faire avec chacun d’entre eux.”

En novembre 2021, la “loi cirque” a été votée et prévoit l’interdiction progressive des animaux sauvages dans les cirques d’ici 2028. A cette date, que fera-t-on de ces animaux ? “Près de 400 fauves”, estime Pierre Thivillon. Mais tous auront-ils une place dans des structures dédiées ? “On ne peut pas remettre un animal de captivité dans la nature, comme ça. Il doit être sous protection humaine”, admet le fondateur du refuge Tonga. Il s’est déjà engagé à réaliser de nouvelles installations. 100 mètres de bâtiments seront érigés pour accueillir des félins et leur offrir une retraite plus agréable.

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