[THEMA] L'engagement des jeunes, un bazar organisé !

Publié le lun 01/01/2024 - 11:00

Par Elodie Crézé

L'engagement des jeunes est-il désorganisé, voire superficiel, comme le déplorent de nombreux militants des générations précédentes ? En réalité, s'il a changé de visage, celui-ci se révèle davantage protéiforme, avec la défense de causes diverses et des actions ponctuelles, qui témoignent d'une grande vitalité. Décryptage.

« La désorganisation fait partie de l’organisation en tant que telle. » C'est par ces mots que le sociologue Laurent Lardeux, chercheur à l’Injep, balaye les préjugés tenaces sur l'engagement de la jeunesse. Le caractère protéiforme de celui-ci rend son étude difficile, ainsi que l’expriment Jacques Ion et François Maguin, coauteurs d‘un rapport pour l'Injep(1): « les modes d’organisation que les jeunes tendent à privilégier les font souvent échapper aux statistiques ». En effet, selon l’étude intitulée En gage de jeunesse(2), « l’engagement s’inscrit soit dans des formes collectives de radicalité à visée de transformation sociale (cas minoritaires), soit dans des formes individualisées (cas majoritaires) qui ne permettent pas de fixer les supports et les formes de participation. » C’est « l’engagement autrement plutôt que la fin de l’engagement, plus fragmenté, plus multiple, plus mobile, plus numérisé ». De facto, plus insaisissable.

Globalement, on note une rupture avec les formes d'engagement des "pères", plus traditionnelles, marquées par un engagement associatif ou encore du militantisme auprès d'un parti politique. Selon Laurent Lardeux, l'engagement des jeunes d'aujourd'hui révèle « une volonté de garder une certaine souplesse, sans hiérarchie, bureaucratie... Aujourd'hui, il existe un sentiment de liberté très fort qui passe par des organisations qui laissent la possibilité de rentrer dans un ou plusieurs mouvements, d’en sortir... ce n’est pas une désorganisation. Ce jugement ne provient que du regard des anciennes générations. Tout est extrêmement organisé, fonctionne en réseau au niveau national et international... et cela grâce à cette nouvelle souplesse des formes d‘engagement ».

Horizontalité

Le rapport de l'Injep insiste également sur cette recherche de souplesse : « le refus du formalisme juridique, la mise en cause des modes de délégation, mais aussi la réticence envers des engagements de longue durée apparaissent comme des caractéristiques majeures de l’engagement des jeunes. » Le récit d'Emma Tosini, 24 ans, porte-parole d'Alternatiba, illustre cette analyse. Ainsi, explique-t-elle, ce qui caractérise ce "mouvement citoyen", ainsi qu'il se définit lui-même, c'est qu'« il n'y a pas d'adhésion généralisée, on peut être bénévole dans un groupe local de travail (ils sont au nombre de 123 répartis en Europe et à l'international), ou se porter volontaire sur un unique événement, voire faire un don ».

Outre cette souplesse dans l'engagement, a l'instar des propos de Laurent Lardeux, le désir d'horizontalité est également très marqué. Ainsi, les groupes locaux d'Alternatiba sont autonomes et indépendants, tant qu'ils respectent la charte du mouvement (principalement la non violence, la non discrimmination et l'inclusion). Seule, une équipe d'animation décentralisée et salariée anime le réseau des groupes locaux. Emma Tosini détaille une organisation qui ne laisse rien au hasard, avec des rencontres chaque mois en ligne et 2 fois par an physiquement, entre des représentants (tournants) des groupes locaux et le groupe d'animateurs. « C'est lors de ces rencontres de coordination que les décisions stratégiques du mouvement sont prises.»

Convergence de luttes

Autre point qui révèle une conception égalitaire particulièrement développée, « chaque voix compte autant, que l'on soit là depuis des années ou "fraîchement débarqué"». Anv-COP21, Youth for climate, Extinction Rebellion et d'autres encore présentent des fonctionnements analogues, où l'horizontalité est érigée en principe. Dans la charte de Youth for climate, il est inscrit : « Nous sommes un mouvement horizontal, chaque membre est légitime à prendre part aux décisions [...] nous travaillons à toujours améliorer notre horizontalité concrète, pour éviter l'accaparement du pouvoir par une minorité ».

De même, chacun doit être à même de représenter la voix du collectif. Ainsi, à Alternatiba, « nous proposons beaucoup de formations notamment sur le porte-parolat, pour que tout le monde soit en mesure de s‘exprimer selon le sujet. Mais en tant que mouvement citoyen, nous ne sommes experts en rien. D'où l'intérêt de formations sur différents sujets tels que le changement climatique, l'écologie populaire, l'écoféminisme...».

Une liste non exhaustive ou plutôt un panel de causes défendues, caractéristique des mouvements citoyens jeunes qui se définissent comme inclusifs et soutiennent une convergence de luttes, à l’instar de la charte de Youth for climate : « nous soutenons, adoptons les valeurs, et tâchons d’être allié·es des luttes féministes, antiracistes, décoloniales, antivalidistes, antixénophobes, LGBTQIA+, et contre toutes les autres formes de discrimination.»

Et pour porter leur(s) lutte(s) de manière encore plus efficace dans la société civile, certains, comme Youth for climate, s'attachent à créer une synergie avec d'autres mouvements de jeunes en impulsant la création d'un réseau unique. En effet, commente Laurent Lardeux, « certains mouvements, conscients du côté relativement homogène d'un point de vue social et de l'âge de leurs sympathisants, désireux de diversifier les profils et les territoires, se mettent en réseau avec d'autres mouvements. Ainsi cela permet d'élargir leur public et de faire converger des luttes, de ne pas râter d'autres urgences comme celles des violences policiaires dans les quartiers populaires par exemple. » Et, loin de créer de la confusion, « cela crée de la mise en cohérence entre différentes jeunesses qui souhaient se faire entendre sur différents enjeux. Quand on élargit la cause, on élargit le public et donc on a plus de légitimité à parler au nom de cette génération. »

Esprit d‘ouverture

En outre, abondent dans leur rapport le sociologue Jacques Ion et l‘historien François Maguin, des techniques de communication interne et externe particulièrement bien rôdées, « point fort de toutes ces associations de jeunes [...] permettent de rapidement se connaître, de favoriser des coopérations horizontales. Ainsi, sur un territoire local, peut se mettre en place un conglomérat d’associations aux projets différents mais proches, qui va permettre un travail commun ». Et d'ajouter : « cet esprit d’ouverture contrôlée peut également se traduire par la constitution de collectifs, de regroupements éphémères qui échangent des informations, mutualisent des moyens ou collaborent sur un projet précis ». C'est ainsi que Anv-COP21 a fusionné avec Alternatiba, pour travailler ensemble à la construction, disent-ils, « d'un mouvement climat de masse ». L'idée ? « Élaborer notre stratégie sur les deux jambes ». Concrètement, Alternatiba est "la jambe" de la promotion des alternatives concrètes pour lutter contre le dérèglement climatique, Anv-COP21 celle de la résistance (comprendre désobéissance civile) aux « projets et politiques climaticides ».

Difficile, face à ces mouvements aux multiples visages, à cette absence d'homogénéité aussi de la jeunesse, de conclure sur la description d'une organisation type de son engagement. D'autant plus si celui-ci tend à être celui de l'instant, ainsi que concluent dans leur étude-(3) les sociologues Zoé Vandenberg et Boris Teruel : « Là où le commun ne se définit plus vraiment, où l’horizon ne dessine plus que des incertitudes et où le passé immédiat se trouble, la mobilisation devient une mobilisation de l’instant, une éruption, un exutoire, une manière de réagir dans le présent et de construire un bout de sens, un instantané de cohésion ». Un sursaut plein de vitalité.

Notes de bas de page :

  1. L'engagement des jeunes aujourd'hui, Hommes & Libertés N° 160, Décembre 2012

  2. En gage de jeunesses : Pratiques d’engagement des jeunes en dehors des cadres institués Juin 2020 - BT Conseil Sociologie étude réaliée par Zoé Vandenberg et Boris Teruel.

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