[THEMA] "La démobilité va dans le sens de l'Histoire"

Publié le lun 01/08/2022 - 12:00

Propos recueillis par Élodie Crézé

Sociologue et président de la Fabrique des mobilités, Bruno Marzloff nous explique pourquoi il est urgent de repenser la mobilité dans la ville. Les enjeux ? Décarbonner celle-ci et reloger la nature. Le prix à payer ? Renoncer à la voiture ! Attention, toutefois, à ne pas renforcer certaines inégalités d'accès à l'espace urbain

Selon un sondage Ifop, 62 % des habitants des 40 villes de plus de 100 000 habitants souhaitent que leur municipalité réduise la place de la voiture dans leur commune1.La société est-elle prête à se défaire de l'automobile ?

La démobilité, comme la décroissance, va dans le sens de l'Histoire. Il s'agit des stratégies adoptées pour réduire les déplacements, en particulier motorisés. C'est le prix à payer pour aboutir à la nécessaire décarbonation (lire encadré) et pour donner de la place à la nature en ville.

Du côté de la société, les choses bougent sous une triple pression : celle des usagers, à l'instar des Gilets jaunes, dont beaucoup n'en peuvent plus de cette mobilité subie et souvent de l'absence de mobilité alternative avec des transports en commun encore insuffisants ; celle des coûts de l'énergie avec l'irruption de la guerre en Ukraine qui renforce encore la pression ; et enfin l'effet Covid qui a ouvert de nouveaux horizons. La pandémie a été le triomphe de la marche2 et celui des "coronapistes", pour la pratique du vélo. Cela raconte l'envie d'une mobilité plus saine, plus apaisée, de proximité. Mais il y a des progrès à faire, compte-tenu de l'emprise de l'automobile, en comparaison des infrastructures dédiées au vélo, insuffisantes. Et je ne parle pas seulement des pistes mais aussi des parkings dédiés.

Si la démobilité est une condition sine qua non de la ville résiliente, pourquoi est-ce si long à mettre en place ?

La prégnance de l'automobile dure depuis un siècle (Lire encadré villes-automobiles), on ne peut l'éradiquer du jour au lendemain. [En 2021, une enquête de l'Insee révélait que même pour des distances inférieures à 5 kilomètres, la voiture représentait encore 60 % des déplacements domicile-travail, même si sa part diminue au profit des modes doux- NDLR].

Mais une contrainte, imposée par la loi, nous oblige à accélerer : avec les ZFE (zones à faibles émissions)3, qui vont être étendues à des villes de plus de 150 000 habitants, une grande partie du parc automobile ne pourra plus pénétrer en ville. Il va donc falloir trouver des solutions ! Des parkings de périphérie pourront assurer un délestage de ce parc qui pénètre dans les villes, même si, à terme, l'avenir même de la voiture paraît limité. Et concernant les inégalités d'accès à la ville, ce n'est pas la panacée.

Il est vrai que la mobilité révèle aussi des inégalités d'accès, notamment pour les périurbains. Il faudrait sortir de ce schéma...

En effet, les déplacements pendulaires atteignent un seuil d'inélasticité : on a écarté au maximum le domicile du travail, motif de déplacement le plus pénible pour les individus, qui génère le plus de difficultés pour le territoire.

Le télétravail est un des éléments de la stratégie de démobilité. Comme tout ce qu'on peut faire par le truchement du numérique (télé-santé, commerces en ligne, administration). Le mouvement, impulsé par la crise de la Covid-19 est irrévérsible, même si encore insuffisant. Il existe aussi un retard colossal en termes de délocalisation du travail4, avec une carence sur les infrastructures. Ces enjeux dépassent très largement la seule question de la mobilité car il s'agit de modes de vie. Et des modes de villes !

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