[THEMA] Faites PLACE au VIVANT !

Publié le ven 19/08/2022 - 12:00

par Quentin Zinzius

Si la biodiversité en ville est aujourd’hui moins importante en quantité et diversité que dans les milieux naturels, elle n’a pour autant pas disparu. Alors, pour qu’elle reprenne du poil de la bête, écologues et urbanistes travaillent d’arrache-pied, et transforment le béton en sanctuaires.

Artificialisation des sols, disparition des espaces naturels, pollutions chimique, sonore, lumineuse… les fléaux qui s’abattent sur la biodiversité urbaine sont nombreux. Pourtant, une petite partie de cette biodiversité a su survivre à ces contraintes, se recueillant dans les derniers espaces calmes et verts, attendant qu’un habitat plus favorable se dessine. Une heure qui est sans doute arrivée : « Il y a une véritable convergence entre le besoin des villes de s’adapter au changement climatique et les besoins de la nature de s’exprimer », analyse Annabelle Jaeger, rapporteuse du rapport « Nature en ville » du CESE et élue à la principauté de Monaco.

Diagnostic vital

Mais si, à première vue, la biodiversité en ville est très affaiblie, elle n’a pour autant pas disparu. Preuve en est : à Paris, près de 2800 espèces animales et végétales ont été inventoriées, sur les 3800 présentes en Île-de-France. Même constat à Marseille, « sur les 261 espèces de papillons de jour connues en France, détaille Magali Deschamps-Cottin, écologue spécialiste des systèmes anthropisés, près de 89 d’entre-elles sont répertoriées dans la cité phocéenne ». Une diversité surprenante, mais des populations souvent très limitées : à Paris, il y aurait par exemple moins d’oiseaux nicheurs que d’humains selon l’Agence régionale de la biodiversité(1)! « La plupart des villes présentent un schéma de biodiversité identique, explique Magali Deschamps-Cottin, c’est-à-dire des espèces généralistes, adaptées à la vie en milieu urbain ». En effet, si pigeons bisés, choucas et autres martinets ont par exemple trouvé leur place, ce n’est pas le cas d’autres espèces, plus spécifiques. « Les espèces endémiques sont les grandes perdantes, car elles sont souvent plus exigeantes », détaille l’écologue. D’où l’importance de la bonne connaissance des milieux et espèces présents dans chaque ville. « Sans ce travail d’inventaire, il est difficile d’estimer ce dont la biodiversité a besoin pour se rétablir, et donc d’y adapter nos aménagements », plussoie Annabelle Jaeger.

Repenser l’urbanisme…

Car pour qu’une biodiversité plus spécifique puisse s’exprimer et se multiplier, il va falloir lui faire de la place. « Les villes ont été imaginées pour convenir aux humains, dépeint Jean-Noël Consalès, urbaniste spécialisé sur les rapports ville-nature au CNRS. Mais ce sont aussi des espaces composites, avec des sites à valeurs et potentiels différents pour la biodiversité ». Ainsi, si les centres-villes sont peu adaptés car denses et lourdement artificialisés, les banlieues, plus excentrées et moins aménagées, peuvent receler d’une importante biodiversité . Pourtant certains changements ne pourront être évités : « La désimperméabilisation des sols est une étape cruciale, reprend Annabelle Jaeger, qui permettra aussi de s’adapter au changement climatique ». Un avis partagé par Jean-Noël Consalès : « L’aménagement urbain doit aller vers l’écologisation de ses pratiques. Cela passe aujourd’hui par la prise en compte de la nature dans les projets urbains à petite échelle, mais aussi sur le long terme, par l’adaptation des documents d’urbanisme aux besoins de la biodiversité. »

et la gestion des espaces verts

Pour l’heure, « on en est encore au bal du ciment », martèle l’urbaniste. Preuve en est avec les espaces verts où « la gestion différenciée(2), mise en avant au début des années 2000, n’a pas montré les résultats escomptés en matière de biodiversité », se désole Magali Deschamps-Cottin. Elle reprend : « il y a un principe simple : plus les espaces verts sont gérés, moins il y a de place pour que la nature puisse s’exprimer ». Car ce sont bien dans ces espaces que la biodiversité urbaine subsiste et peut se développer. « Les efforts à faire sont parfois minimes », relève l’écologue, qui a mis en place un premier parc urbain de papillons à Marseille, où la biodiversité grandit d’année en année. « Après le processus d’inventaire, nous avons commencé à recomposer la biodiversité en sélectionnant et réintroduisant quelques plantes favorables aux papillons », détaille l’écologue. Résultat, plusieurs espèces, notamment le pacha à deux queues, une espèce méditerranéenne, ont fait leur retour dans la cité phocéenne. Un « retour spontané », qui pourrait ouvrir la voie à d’autres animaux, les papillons étant « une ressource trophique pour de nombreuses autres espèces. » Mais hors de question pour la spécialiste de réintroduire des animaux en ville. « Remettre des animaux, ce n’est pas leur rendre service. Si le milieu est adapté, ils doivent faire leur retour d’eux-mêmes. Sinon, c’est prendre le risque qu’ils ne restent pas, et que cela ne serve à rien ».

Le végétal, un défi

Une expérience concluante mais qui n’est pour le moment pas démocratisée, en raison de plusieurs contraintes techniques. « Le végétal local est un vrai défi, relève Magali Deschamps-Cottin, car les collectivités sont soumises à des marchés, où les espèces d’ornements sont privilégiées ». Pourtant, les espaces en « nature spontanée » ne sont pas les seuls à avoir de l’importance. Les espaces aménagés, notamment en agriculture urbaine, ont également un rôle à jouer. Pour l’habitat par exemple, les plantes servant d’abri à une multitude d’animaux, mais aussi pour l’alimentation (beaucoup d’oiseaux raffolent des baies et autres fruits), ou encore la reproduction ; certaines larves étant dépendantes de plantes spécifiques pour grandir. « Mais pour l’écologue, le légume n’a pas le même statut que la pâquerette, ironise Jean-Noël Consalès, même si « des mélanges entre espaces de nature spontanée et horticoles sont parfaitement imaginables, reconnaît Magali Deschamps-Cottin.

Créer un tissu perméable

Mais aussi propices soient ces lieux, encore faut-il qu’ils soient accessibles. « La ville, en particulier en centre, est difficile d’accès et très dangereuse pour le vivant », rappelle l’urbaniste. Alors pour faciliter son retour, « il faut non seulement aménager des espaces, mais aussi des chemins d’accès ! » Ce sont les continuités écologiques. « Seulement, les aménagements ne sont pas les mêmes si vous voulez laisser passer des vers de terre, ou des chauves-souris », nuance-t-il. Là encore, la diversité est donc de mise. « Il faut sortir des réponses préétablies, insiste Jean-Noël Consalès, et ne pas reproduire les modèles bêtement. Chaque ville a ses spécificités, et chaque milieu, chaque espèce, ses besoins ».

+ D’INFOS

Note de bas de page :

(1) Rapport « La biodiversité en Île-de-France », Institut Paris Région, 2018.

(2) Gestion différenciée : entretenir de façon spécifique un espace vert, s’adaptant au milieu et à ses fonctions.

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