[REPORTAGE] Lyon : le téléphérique de la discorde

Publié le jeu 07/10/2021 - 21:38
Crédit : Association Touche pas à mon ciel

Par Guillaume Bernard.

Après Brest, Toulouse ou Grenoble, Lyon aura-t-il son téléphérique urbain ? Pas sûr car une partie de la population et des maires (de droite) des communes susceptibles d’être survolées s’opposent au projet de la majorité écologiste de la métropole.

La voix chantante du répondeur de la mairie de Sainte-Foy-Lès-Lions ne passe pas par quatre chemins : « la métropole et le Sytral (1) prévoient un téléphérique reliant Gerland à Sainte-Foys-Lès-Lyon à l'horizon 2025. Madame la Maire est contre ce projet et demande un référendum. » Il n'est pas banal que l'opposition à un projet de transport collectif soit exprimée dans une messagerie vocale municipale. Pas banal non plus qu'une majorité écologiste s'empare d'une des plus grandes métropoles de France et décide d'y faire construire un téléphérique pour réduire l'utilisation de la voiture individuelle.

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. D'où un choix de répondeur quelque peu surprenant et, surtout, la volonté de la maire (LR) Véronique Sarselli d'organiser un référendum local. L'idée de construire un téléphérique dans l'Ouest lyonnais germe dès 2017. A l'époque déjà maire de Sainte-Foy-Lès-Lyon, elle n'est pas encore la farouche opposante au téléphérique qu'elle deviendra plus tard. En compagnie d'autres maires du secteur, elle se fend même d'une lettre à l'ancienne majorité (PS) de la métropole pour demander que l'option du transport par câble soit considérée. « Il faut se replacer dans l'atmosphère de 2017 : c'était l'époque des grands projets écolos. Un téléphérique comme mode de transport, ça paraissait un peu fou, mais c'était séduisant et novateur. En attendant une étude sérieuse, je n'avais aucun a priori contre ce mode de transport », rappelle l’élue. Le transport par câble apparaît a priori pertinent pour désenclaver Sainte-Foy-Lès-Lyon et les communes voisines, qui n'ont pas accès à la diversité des modes transports en commun lyonnais (tram, métro) du fait de leur relief.

« Touche pas à mon ciel »

Mais une partie de la population ne l'entend pas de cette oreille. « Lorsqu'il n'est pas utilisé comme un transport touristique, le téléphérique est fait pour franchir des obstacles, comme à Brest où il permet de passer au-dessus d'un fleuve. Ici ce n'est pas le cas, ce téléphérique ne permet aucun franchissement », soutient Alain Bavozet, président de l'association Touche pas à mon ciel qui s'oppose au projet. Ce retraité, élu pendant 25 ans à la mairie de Sainte-Foy-Lès-Lyon et anciennement chargé des questions de voiries, déplore un certain nombre de nuisances liées à l'installation téléphérique : « 1300 habitations vont être survolées, des pylônes de plus de 50 mètres de haut construits, il va y avoir une nuisance à la fois visuelle et sonore pour les habitants. »

En résumé, pour lui, le projet n'a rien d'écologique. « Ce sont des constructions énormes, extrêmement chères (le projet se chiffre à ce jour à 160 millions d'euros) qui demandent un entretien voire un renouvellement très fréquent », s'emporte le septuagénaire. Sa position est fortement partagée au sein de la commune de 22 000 âmes : son association compte près de 300 adhésions et la pétition qu'elle a lancée a recueilli plus de 5400 signatures.

Alors qu'une première étude de pré-faisabilité est publiée par le Sytral, Véronique Sarselli elle aussi revoit sa copie et fait finalement de l'opposition au téléphérique un ses thèmes de campagne pour les municipales de 2020. « Le téléphérique n'est pas un projet de transport structurant pour la commune. Il a trop de désavantages et concerne trop peu de personnes. Ce qu'il nous faut, c'est un métro à proximité », explique la maire, réélue dès le premier tour.

Projet phare du mandat écologiste

A l'inverse, le téléphérique de l'Ouest lyonnais est largement promu dans la campagne écologiste pour la métropole, menée et gagnée par l’écologiste Bruno Bernard. Pour la majorité métropolitaine, ce transport par câble devrait permettre de faire passer le temps de trajet entre la commune de Francheville et le quartier lyonnais de Gerland de 50 minutes en voiture à 20 minutes en télécabine. Elle fait également valoir son caractère écologique.

« Tous les projets de transports collectifs ont un poids écologique parce qu'ils permettent de réduire l'utilisation de la voiture individuelle », soutient Jean-Charles Kohlhaas, vice-président (EELV) de la Métropole de Lyon délégué aux déplacements, à l'intermodalité et à la logistique urbaine. Il estime que le téléphérique pourra transporter jusqu'à 25 000 personnes par jour, et non 8 000 comme l'affirment celles et ceux qui s’opposent au projet. Il s'appuie pour cela sur une autre étude du Sytral, plus récente que celle sur laquelle s'appuie l’opposition.

« On ne va pas faire de métro à Sainte-Foy-Lès-Lyon car il n'y aurait pas assez de passagers. Pour les bus, c'est compliqué parce que la voirie est contrainte, explique Jean-Charles Kohlhaas. Quant au tramway, c'est impossible à cause des pentes. Le transport par câble, au contraire, nous paraît être une solution pertinente. Bien sûr, aucun projet de transport collectif ne se fait sans impact, mais le transport par câble est justement un des moins impactant ! Il est bien plus silencieux qu'un tramway et consomme peu d'énergie. Le seul problème, c'est le survol des propriétés privées, qui est un vrai enjeu. » La population craint notamment qu'il fasse chuter la valeur de l'immobilier, relativement élevé dans la commune (5 800€/m² en moyenne pour les maisons) alors qu’un certain nombre de propriétés cossues pourraient être survolées.

Pour ou contre un référendum

Le téléphérique de l'Ouest lyonnais est-il un véritable projet écologique se heurtant aux réflexes conservateurs d’une partie de la population, comme le sous-entend Jean-Charles Kohlhaas ? Ou un pur gadget, vitrine d'un mandat, réalisé au détriment de la qualité de vie de l'Ouest lyonnais, comme le dénonce l’opposition ?

Au-delà de la bataille d'études, la maire de Sainte-Foy-Lès-Lyon propose de laisser la démocratie s'exprimer : « un projet avec un tel impact ne peut pas se faire sans que l'on prenne en compte l'avis des personnes concernées. Il faut organiser un référendum. »

Pour le vice-président de la métropole, c'est niet : « faire un référendum dans un tel cas serait un simulacre de démocratie. À qui le proposerait-on ? Aux habitants survolés individuellement ? Aux habitants des communes survolées ? À tous les habitants de la métropole, qui contribuent à sa mise en place par l'impôt et qui bénéficieront tous de ce projet écologique ? »

De son côté, Alain Bavozet reste persuadé que le projet ne se fera pas. « L'écologie, étymologiquement, c'est la science de l'habitat. Avec un tel projet, je ne trouve pas que ma maison soit bien gérée », dénonce le président de l'association Touche pas à Mon Ciel. En matière d’écologie comme ailleurs, chacun a finalement tendance à « voir midi à sa porte ».

(1) Sytral : Syndicat mixte des Transports pour le Rhône et l'Agglomération Lyonnaise, autorité organisatrice des transports en commun urbains et interurbains.

+ D’INFOS

http://www.sytral.fr/618-le-projet.htm

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