Philippe Bihouix : les low-tech "nécessaires" pour réussir la transition

Publié le sam 11/05/2019 - 17:42

Recueilli par François Delotte

Philippe Bihouix est ingénieur diplômé de l’École Centrale. Il est coauteur de Quel futur pour les métaux ? (EDP sciences, 2010) et de L’âge des low-tech, vers une civilisation techniquement soutenable (Seuil, collection Anthropocène, 2014). Pour lui, il faut se méfier des fausses promesses du high-tech. Il faudrait au contraire davantage s’appuyer sur une moindre consommation de ressources minières et énergétiques pour relever le défi climatique.

Vous parlez de l’âge des low-tech. Celui des high-tech est-il en train de se terminer ?

Je ne pense pas. Le titre de mon livre est un peu provocateur. Il a un côté utopique. Comme le dit Thomas More, « je le souhaite plus que je ne l’espère ». Nous évoluons dans un monde très « high-tech » et on nous promet qu’il va le devenir de plus en plus. On nous parle de taxis autonomes, de voitures volantes... On évoque en même temps un monde de plus en plus dématérialisé, une société « post-industrielle ». Mais il est en fait toujours aussi matériel. Notre société est hyper-industrialisée. Mais la production s’est déplacée vers d’autres pays. Nous n’avons jamais autant émis de gaz à effet de serre. Notre empreinte écologique continue d’augmenter. Nous sommes plus que jamais dans l’âge des high-tech et la consommation de ressources n’a jamais été aussi importante, malgré les incantations à l’économie circulaire. D’un autre côté, on sent poindre quelque chose. Il existe une vague d’enthousiasme pour des initiatives qui naissent dans les territoires autour du « zéro déchet », du « do it yourself », des circuits courts, des « repair cafés »... Ça monte en puissance, tout comme le développement de l’agriculture biologique. On voit apparaître les signaux d’un désir de changement.

La transition énergétique et écologique ne repose-t-elle pas en grande partie sur les apports des nouvelles technologies ?

C’est ce que l’on nous promet. On nous dit que les voitures autonomes, liées à des applis de covoiturage, résoudront les problèmes des accidents de la route et de la pollution. Que les « smart buildings » consommeront moins d’énergie. Mais l’histoire montre que si les innovations technologiques apportent de l’efficacité, elles ont aussi tendance à développer le besoin. Et le bénéfice de cette efficacité se voit perdu par un effet rebond. Lorsqu’on ouvre une ligne TGV supplémentaire, on ne vide pas les avions, mais on crée une demande supplémentaire. Si la voiture autonome devient une réalité, nous pourrons nous déplacer plus loin, avec moins d’effort. Celle-ci pourra être transformée en bureau mobile, on pourra donc habiter plus loin de son lieu de travail. On a aussi l’impression que l’énergie photovoltaïque est plus propre. Mais la production de panneaux solaires n’est pas encore très verte. Ce sont des impacts déportés.


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Ne faudrait-il pas d’abord chercher à développer des filières de recyclage ou de réemploi efficace pour les appareils numériques ?

Si, bien entendu. On essaye déjà de le faire. On va progresser sur ce sujet. Mais les appareils sont de plus en plus petits. Un petit objet connecté finit souvent à l’incinération sans que l’on ne récupère ni ne trie les éléments qui le composent. Ces objets consomment beaucoup de métaux différents en quantités très faibles. Même dans les meilleures usines de recyclage, on ne va pas réussir à récupérer les 30 ou 40 métaux présents dans un smartphone. On met trop peu de main-d’œuvre à démonter les objets. Moins de 1 % des métaux rares comme le tantale, l’indium, le germanium ou encore les terres rares sont actuellement recyclés. C’est une perte de ressources pour les prochaines générations. 

Pourquoi les low-tech pourraient être une solution face au défi climatique  ?

Est-ce que leur apport serait suffisant ? Je ne le sais pas. Mais il est nécessaire pour réussir la transition. Si l’on ne raisonne pas en termes de sobriété, nous ne pourrons pas effectuer une transition énergétique correcte à l’échelle mondiale. La consommation électrique mondiale a augmenté de 600 térawatts-heures de 2016 à 2017, soit l’équivalent de la production électrique française. 300 de ces térawatts-heures ont été fournis par le charbon et le reste par les énergies renouvelables. L’augmentation de la part des énergies renouvelables ne permet donc pas encore de suivre la croissance de la consommation.
De plus, les éoliennes n’ont une durée de vie que de 25 à 30 ans. Il faut des ressources phénoménales pour maintenir un système d’énergies renouvelables dans la durée. Il est plus simple, efficace et moins coûteux d’économiser de l’énergie et de réduire nos besoins.


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Comment faire adopter ces low-tech aux populations, notamment en Occident et dans les pays dits « développés » ?

Une piste serait de montrer ce que l’on a perdu et ce que l’on pourrait encore perdre à poursuivre la voie ultra-technologique. La question de l’effondrement environnemental est fondamentale, mais aussi celle de l’emploi. Ne pourrait-on pas inventer une société post-croissance dans laquelle tout le monde aurait un travail justement rémunéré ? Et dans laquelle nous consommerions un peu moins, avec un peu plus d’égalité et d’exemplarité ?


À lire : L’Âge des low-tech - Vers une civilisation techniquement soutenable, Philippe Bihouix, Le Seuil, 2014, 336 pages, 19,50 euros

A paraître : Le bonheur était pour demain, Philippe Bihouix, Le Seuil, 2019
 

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