Permaculture : un retour à la nature ?

Publié le mar 25/09/2018 - 12:45

Par Cyprien Caddeo

Ne jouissant pas encore d’une reconnaissance universitaire et institutionnelle en France, les méthodes de permaculture se transmettent à l’occasion de cours certifiés de permaculture. Des stages aux faux airs de colonies de vacances, qui mettent l’accent sur l’écologie et plus largement sur le lien social et le collectif. Reportage à La Gaude, dans les hauteurs de Nice, aux côtés de l’association Permacultive.

C’est à la Seguinière, dans un domaine dévoré par la végétation sauvage, que se tenait, du 19 août au 2 septembre, un cours certifié de permaculture (CCP), sous la forme d’un stage de deux semaines. Le matin, avant le début des cours à 9 heures, le groupe se rassemble et forme un cercle. Tout le monde se tient par l’épaule. Une musique de méditation s’élève, mais l’esprit zen est rapidement contrecarré par des rires et des petites blagues. On se félicite brièvement de la démission de Nicolas Hulot, qui vient d’avoir lieu en direct à la radio. L’heure est à la convivialité, les chakras attendront. Certains prennent la parole, remercient le groupe pour « cette super belle énergie, ce sentiment d’unité ».

À la pause de midi, le groupe se rassemble pour déjeuner. Au menu : lentilles, quinoa, briques au fromage de chèvre, mousse au chocolat. © C. Caddeo

Ils s’appellent Nico, Mathias, Camille, Rodolphe, Joao. Trente-et-un stagiaires au total, venus d’horizons divers, néophytes ou initiés, qui sont ici pour se former à une approche alternative de l’agriculture, et plus globalement à la conception de systèmes humains durables : la permaculture. Celle-ci est définie par ses défenseurs comme une méthode visant à concevoir des habitats et des exploitations permanents, autosuffisants, en s’inspirant des écosystèmes naturels. Mais la permaculture n’est pas une discipline figée. « Ce n’est pas un dogme », confie une des participantes. Plutôt une somme de savoirs et de techniques. Voire même un « mode de vie », selon Jade et Chloé, de l’association Permacultive, à l’origine du stage. Pour elles, la permaculture regroupe en son sein un certain nombre de pratiques qui vont bien au-delà de l’agriculture. On y retrouve des modes de fonctionnement caractéristiques de l’altermondialisme : la prise de parole collective, un processus décisionnaire horizontal, une communication non violente.

Un couple de formateurs renommés

Avec un léger retard sur le planning, les cours du matin commencent. Ils sont donnés par Andy et Jessie Darlington, des figures bien connues du milieu de la permaculture. Lui est Anglais, elle Canadienne. Ils se sont rencontrés au début des années 1980, dans l’Aube. Ensemble, ils ont fondé une ferme et une exploitation ovine, et ne se sont plus quittés depuis. Ils se consacrent maintenant à la formation de nouvelles générations de permaculteurs.

Moustache épaisse, barbe de trois jours et cheveux grisonnants en bataille, Andy enseigne ce matin-là l’aménagement durable du territoire. Le professeur du jour veut montrer que les principes de la permaculture sont applicables à l’échelle globale. Le cours est interactif : on parle des mégalopoles qui grignotent toujours un peu plus d’espace sur les terres cultivables, on soulève le problème de la précarité des agriculteurs. « Ma femme Jessie touche 180 euros de retraite par mois, témoigne Andy Darlington. Moi, en tant que chef d’exploitation agricole, c’est 400. » La discussion s’anime sur la responsabilité des pouvoirs publics. « Parfois, on débat et ça part en sucette », prévient Mathias, sourire aux lèvres et chapeau de paille vissé sur le crâne. Mais l’ambiance générale reste bon enfant.

À l’entrée, un tableau rappelle les principes fondamentaux de la permaculture. © C. Caddeo

L’apport théorique est complet : le stage passe en revue la gestion de l’eau, les différents types de sols, le rôle des animaux et l’aménagement durable de l’habitat. Andy fait le tour des initiatives partout dans le monde. Un diaporama présente un projet permacole près de Nimbin, un village australien connu pour sa communauté hippie. « Hier, on a découvert les travaux du Zimbabwéen Allan Savory, qui a montré que le pâturage partiel et le piétinement des sols par des troupeaux d’animaux permettent de lutter contre la désertification », raconte un stagiaire. Il prophétise : « C’est avec des gens comme lui qu’on va sauver le monde. »

Une science de l’adaptation au milieu

Qu’en est-il de l’aspect pratique ? « Nous n’avons pas vraiment mis les mains dans la terre, reconnaît Camille, venu se former pour créer son propre écocentre. La permaculture doit s’adapter au lieu et ici, il n’y a pour le moment que très peu de cultures. Mais on a passé une demi-journée à travailler sur certains arbres. » Les stagiaires ont en fait pour mission de proposer un « design », un projet de permaculture aux propriétaires, pour transformer le lieu. L’après-midi est d’ailleurs consacré à des ateliers par petits groupes, pour repenser le lieu et proposer de nouvelles idées respectueuses de l’écosystème local. Quand le projet sera appliqué, la Seguinière aura davantage de plantations. « Si tout va bien, il y aura un autre CCP l’an prochain, ce sera l’occasion de faire le bilan du design, d’améliorer certaines choses », explique Chloé, de Permacultive.

Elle a créé l’association en décembre 2017 avec Jade, éducatrice en environnement. Cette dernière rentre alors d’Inde, où elle s’est formée à l’International Permaculture Convergence, la grand-messe internationale de la permaculture. L’objectif de Permacultive ? « Diffuser la “perma” dans les Alpes-Maritimes ».

À la fin du stage, chacun reçoit des époux Darlington un certificat de permaculture qui vient clôturer le CCP. Ce diplôme, créé par Bill Mollison, père australien de la discipline, répond à des standards internationaux, mais n’a aucune reconnaissance universitaire ou institutionnelle en France. Dans l’Hexagone, la permaculture, bien que convaincant chaque jour de nouveaux adeptes, se développe encore marginalement. En Australie, elle est pourtant enseignée comme une matière parmi d’autres dans les universités d’agronomie. Il existe même des instituts de recherche consacrés à cette discipline, comme le Permaculture research institute.

Les certificats sont remis par des permaculteurs à leurs pairs, créant un réseau d’éducation populaire, où le formé d’hier devient le formateur de demain. Quand ils quitteront la Seguinière, les stagiaires seront ainsi les nouveaux ambassadeurs de la permaculture. Joao, qui travaille à l’insertion des personnes atteintes de déficience mentale par le jardinage, a d’ailleurs cette phrase : « On sème des graines un peu partout pour qu’enfin elles germent. » Afin de rêver, peut-être, d’un avenir où la permaculture est la norme.

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