Par François Delotte
Jardins partagés, écoquartiers conçus avec leurs futurs habitants ou mobilier urbain réalisé avec les riverains d'un espace public : un autre aménagement, centré sur l'écologie, où le faire-ensemble supplante la prescription, émerge partout sur les territoires. L'urbanisme sera partagé ou ne sera pas !
Changer la ville avec l'urbanisme participatif
Depuis la fin des années 2000, plusieurs collectifs réunissant architectes, urbanistes et artistes promeuvent un aménagement des quartiers et des espaces publics avec les citoyens. Do it yourself !
Assemblée de la Plaine : A Marseille, l'Assemblée de la Plaine se réunit sur la place Jean-Jaurès pour s'opposer au projet de réaménagement du quartier voulu par la ville. © DR

Des communes s'en mêlent
Car aujourd'hui, de plus en plus de collectivités sont sensibles à davantage d'intégration citoyenne au sein de leurs projets d'aménagement. Certaines localités, souvent rurales et proches de leurs administrés, peuvent d'ailleurs faire preuve d'audace en la matière. C'est le cas de Bouvron (44), au nord de Nantes, commune membre de l’association de collectivités bretonnes engagées dans le développement durable Bruded. Les usagers de l'école ont supervisé de A à Z l'extension de l'établissement dans le cadre d'une démarche venue du Canada, le « Processus de conception intégré ». « Les parties prenantes ont participé à 56 ateliers encadrés par une psychologue. Pour nous, c'était essentiel d'associer les utilisateurs car c'est eux qui vont vivre le bâtiment. Cela a permis de prévoir des espaces plus grands que ce que la ville souhaitait initialement. Et de mieux anticiper l'augmentation du nombre d’élèves », témoigne Laurent Bissery, élu à l'aménagement. Mais, au-delà de la préfiguration d'un projet, certaines municipalités font désormais appel à des collectifs pour accompagner des habitants à concevoir leur propres équipements. Ainsi, Yaplusk est installé pour deux ans dans un quartier populaire de Bagnolet (93), avec le concours de la ville. Sa mission : aménager une friche avec les habitants. Un jardin a déjà été créé ainsi qu'une terrasse. Des outils et des ordinateurs sont à la disposition des personnes dans un atelier-fablab. « Après 40 ans d’échec de politique de la ville, les gens ne croient plus aux politiques institutionnelles. Nous assistons à un retour au pouvoir local et à la communauté », analyse Etienne Delprat, architecte de Yaplusk. Cette démarche d'autogestion, d'autres la pratiquent depuis longtemps. A Brest, Mireille Cann et l'association Vivre la rue mettent en valeur depuis plus de 25 ans la rue Saint-Malo, une des plus anciennes de la cité maritime. Cette voie pavée comprend de très anciennes maisons (certaines datent des XVIIe et XVIIIe siècles) qui ont échappé aux bombardements de 1945. Pourtant, en 1990, la municipalité voulait détruire les constructions, alors délabrées. Mireille Cann, 69 ans, a rassemblé des habitants pour refaire des toitures, les murs et nettoyer les espaces. Une salle de concert et un café littéraire ont été réalisés. La charmante rue Saint-Malo est désormais une curiosité que viennent visiter les touristes et l'association a gagné la confiance des élus. Pour Mireille Cann, « il faut s'engager pour changer la ville. Il s'agit de notre cadre de vie. En la matière, il ne faut surtout pas laisser les autres faire à notre place. »
La rue Saint-Malo, à Brest, est aménagée depuis la fin des années 1980 par l'association de quartier Vivre la rue présidée par une habitante, Mireille Cann (assise sur le banc). © DR
Entretien - « Avec l'urbanisme participatif, les citoyens s'emparent de nouveau de l'intérêt collectif »
Khedidja Mamou est sociologue et architecte. Enseignante-chercheure à l’École nationale supérieur d'architecture de Montpellier, elle est spécialiste des questions de participation citoyenne en aménagement et urbanisme.
Selon vous, que dit de la société la multiplication des projets et des collectifs d'urbanisme participatif depuis quelques années ?
Ils renvoient au fait que notre modèle politique n'est plus d'actualité. Nos élus ont perdu de leur crédibilité. Ces expériences correspondent à un mouvement général qui traverse la société. Il existe un sentiment de suspicion des citoyens à l'égard des politiques qui ne seraient plus en mesure de défendre l'intérêt commun face aux intérêts économiques. Et parfois, comme c'est le cas avec l'urbanisme participatif, le peuple s’empare de nouveau de ces questions d'intérêt général. Ce sentiment de suspicion se traduit de façons différentes : on pense d'abord aux « Zones à défendre » (Zad), très médiatisées. On parle aussi souvent d'oppositions, de résistance. Car des collectifs tentent de conserver des espaces mais aussi, à travers eux, des valeurs sociales, du « commun ». Cela transparaît aussi bien dans le fait d'aménager un lieu de rencontre qu'un jardin partagé.
Va-t-on progressivement vers une ville et un urbanisme co-fabriqués entre les élus et les citoyens ?
Si les élus s'en emparent, oui. Un mouvement existe. Ne pas le considérer, c'est le nier. Or le rôle du politique c'est d'écouter les dynamiques qui émergent de ses administrés. Dans un même temps, nous assistons à la montée en capacité de nombreux citoyens qui sont en mesure de s'emparer de la chose publique et des questions d'urbanisme. Si les élus ne prennent pas cela en compte, nul ne sait ce qui va se passer et peut-être que les tensions augmenteront autour de projets rejetés par une part de la population, comme à Notre-Dame-des-Landes.
Faudrait-il systématiquement associer les citoyens aux projets d'aménagement ?
La loi impose déjà une concertation dès qu'un projet impacte la vie quotidienne d'habitants. Mais elle est floue. Quelle est la bonne échelle ? Qu'est-ce que le « quotidien » des personnes ? On peut associer systématiquement les citoyens à la décision. Mais il convient de faire attention à ce que l'on entend par « participation ». Est-ce demander aux gens « j'aime ou j'aime pas » ? Inviter les personnes à concevoir un aménagement ? C'est une question complexe à laquelle on ne peut répondre qu'en prenant en considération les contextes particuliers des projets.
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Les projets fourmillent en région
Associations, collectivités ou bailleurs sociaux : nombreux sont celles et ceux qui font désormais de la participation citoyenne un outil essentiel pour aménager quartiers et villages. Focus sur des expériences menées ici ou ailleurs.
Bientôt un parc citoyen à Marseille
Coulée verte © Yes We Camp
Aménagement privé et participation citoyenne font parfois bon ménage. Le projet de la Coulée verte du grand littoral, à Marseille, en témoigne. A l'ouest de la ville, surplombant la mer, une petite société de promotion immobilière dispose de 26 hectares à mettre en valeur. Parmi eux, 5 hectares sont confiés aux habitants et à des associations. Le tout sous l'égide de Yes We Camp, collectif d'urbanisme participatif. Des ateliers de rencontre avec la population ont eu lieu en octobre. Ce projet de parc atypique sera réalisé progressivement avec l'apport de chacun. « Nous allons installer une permanence tous les lundis pour répondre aux questions et attentes des gens », indique Nicolas Détrie, directeur de Yes We Camp. Première étape : fabriquer une ferme urbaine pouvant alimenter des cantines scolaires. Et aussi créer un « village productif » composé de divers ateliers (céramique, pâtisserie...). Mais ce n'est qu'un début…
Plus d'infos : www.yeswecamp.org
« Carticiper » aux projets urbains
Le plan participatif supervisé par Carticipe dans le cadre de la préfiguration d'une ligne de bus à haut niveau de service à Saint-Brieuc (22) © Carticipe
Comment inciter un maximum de personnes à s'exprimer sur un projet d'aménagement ? Le collectif français d'urbanistes et de sociologues Repérage Urbain a mis en place Carticipe, un outil de cartographie numérique qui permet aux citoyens de donner leur avis, et ce bien en amont des réalisations. Les internautes placent des pictogrammes correspondant aux thèmes sur lesquels ils désirent s'exprimer (ex : un immeuble pour le logement, une poubelle pour les déchets...) et écrivent leurs suggestions (« Pourquoi ne pas faire un centre d’accueil pour réfugiés dans le XVIe arrondissement de Paris ? »...). Carticipe a été sollicité par une vingtaine de collectivités depuis sa création en 2012. Il est par exemple utilisé pour consulter les habitants de Saint-Brieuc sur la réalisation d'une ligne de bus à haut niveau de service. A Avignon, la ville l'utilise pour la révision de son Plan local d'urbanisme (PLU). « L'intérêt des citoyens pour l'éco-construction ressort, tout comme la volonté de construire des services publics près des commerces », commente Benjamin Hecht, cofondateur de Carticipe. Espérons que les élus sauront écouter leurs administrés.
Plus d'infos : www.carticipe.net
Un éco-quartier co-évalué avec ses habitants
Bazouges © Bruno Servel / Bruded
Le lotissement Les Courtils, à Hédé-Bazouges (35) est devenu, en 2013, le premier écoquartier breton a avoir été labellisé par le ministère du Logement. Sorti de terre il y a dix ans, l'ensemble se compose de 32 logements – dont 22 maisons parfois presque entièrement construites par leurs occupants. Une démarche exemplaire qui a incité l’État à solliciter la municipalité à participer à une évaluation nationale avec 18 autres quartiers. Évaluation qui a été confiée à l'association de collectivités bretonnes investies dans l'urbanisme durable, Bruded. Les habitants ont été pleinement intégrés aux processus. Consommation d'eau, d'énergie et production de déchets ont été scrutés. « Les maisons consomment 60 % d'énergie en moins que des logements conventionnels. Pour les appartements, le gain est de 40 % », conclut Camille Mémec, de Bruded. Les foyers ont apporté leur brique à l'édifice. « Quinze d'entre eux ont ainsi proposé de peser leurs déchets pendant un mois. Les habitants ont aussi voulu évaluer la qualité du lien social aux Courtils, continue Camille Mémec. Il est notamment ressorti que 14 d'entre eux étaient impliqués dans la vie associative locale. » Bon sur toute la ligne !
Plus d'infos : www.bruded.everspring-cloud-1.fr
Celles, village sauvé des eaux du Salagou
Celles © Georges Souche
Celles, charmant village de l'Hérault, aurait dû être englouti par le lac artificiel du Salagou à la fin des années 1960. Les habitants, expropriés, ont déserté les logements et l'église. Mais, finalement, la deuxième phase de remplissage est suspendue. Les eaux n'ont jamais atteint les murs des maisons et le bourg a été épargné. La commune, qui compte 35 âmes réparties sur différents hameaux, a été conservée. Sous l'impulsion de sa maire, Joëlle Goudal, la population s'est même mobilisée depuis 2010 pour réaménager le village. Les bâtiments sont rachetés au département. Et une association qui fédère habitants et amoureux de Celles planche sur un projet collectif de réhabilitation. Le village est séparé en lots de plusieurs logements à rénover. Le tout sera régi selon les principes de l'habitat participatif et écologique. Les occupants seront choisis sur dossier. « Nous voulons qu'ils puissent travailler sur place. Les constructions neuves seront possibles mais devront être à énergie positive ou consommer très peu d'énergie », indique Joëlle Goudal. Une renaissance attendue pour 2019, avec l'arrivée des premiers habitants.
Plus d'infos :www.celles-salagou.org
Ramonville (31) : un écoquartier co-conçu
Les Floralies © DR
Plus d'infos : www.groupedeschalets.com
La « Nizanerie », rue citoyenne
Nizanerie © DR
Plus d'infos : www.lanizanerie.com
A la rencontre de l'urbanisme « autogéré »
Tour de France urbanisme autogéré : Frantz et Mathieu à Limoges, point de départ de leur tour de France de l'urbanisme autogéré. Chloé, au centre, s'occupe de la logistique depuis Rennes © DR
Tribune - Thierry Salomon, Négawatt : « La participation citoyenne favorise la sobriété énergétique »
Thierry Salomon est porte-parole de NégaWatt. Cette association qui regroupe des spécialistes de l'énergie propose depuis 2001 des « scénarios » pour atteindre la sobriété énergétique d'ici 2050.
Thierry Salomon © DR
« Il existe un lien entre participation citoyenne et sobriété énergétique car les démarches participatives génèrent une mutualisation des équipements et des espaces. On peut alors optimiser des systèmes de production d'énergie renouvelable et des espaces partagés évitant la création de pièces qui seraient inoccupées dans le cadre d'un habitat individuel. La démarche de NégaWatt peut s'appliquer à l'urbanisme. Un plan d'urbanisme peut avoir une influence importante en matière d'énergie. Il peut, par exemple, favoriser une plus grande densité urbaine. Densité couplée à la mise en place de réseaux de mobilité intelligents qui vont de la périphérie vers le centre afin de limiter l'usage de la voiture. Mais pour aborder ces questions avec les citoyens, il faut que les urbanistes qui encadrent les concertations puissent travailler en amont avec des énergéticiens. »
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