[HAUTE-GARONNE] Le Sicoval en lutte contre l'illectronisme

Publié le lun 11/10/2021 - 12:00

Par Natacha Scheidhauer

Alors que 35% de la population française éprouvent au moins une difficulté qui les empêchent d’utiliser pleinement les outil numériques et Internet, la communauté d’agglomération du Sicoval, au sud-est de Toulouse, expérimente différents moyens de lutter contre cette fracture sociale et générationnelle. Par exemple avec les ateliers assurés par l’association Combustible Numérique.

Mardi matin, presque 9h. La porte de la Crèche, le tiers-lieu de Labège où doit se dérouler la formation assurée par l’association Combustible Numérique, est fermée. Un problème ? Pas pour l’équipe de médiation. « Nous avons prévenu et la clé est en route », indique un médiateur en proposant à l’assistance de débuter l’atelier sur les bancs, à l’extérieur « Nous n’intervenons pas dans un cadre forcément formel m’explique Olivier Hag, le coordinateur de l’association, pendant que les personnes s’installent. Au contraire même car nos publics sont souvent impressionnés par l’outil numérique et cela participe à dédramatiser le sujet. »

Parmi le public participant d’aujourd’hui, Régine a découvert ce dispositif par l’entremise de sa conseillère Pôle Emploi : « après une première session de formation pour apprendre à utiliser la messagerie et naviguer sur le site de Pôle Emploi, j’ai souhaité continuer pour en savoir plus. » Sous la houlette d’Adèle, la sexagénaire « licenciée du jour au lendemain après 38 ans de maison » s’essaie à la rédaction d’une lettre de motivation. De son propre aveu jamais véritablement intéressée par l’informatique, elle a dû s’y mettre « pour chercher du travail car tout est informatisé ».

Laisser tâtonner

Tout à côté, le coordinateur échange avec François, auquel il rapporte un ordinateur désinfecté. « Il y avait un virus, explique le sexagénaire, déjà familiarisé avec le numérique. J’ai reçu un message d’alerte et appelé le numéro qui s’affichait à l’écran. Je pensais avoir affaire à un opérateur de Microsoft… jusqu’à ce qu’on me demande mon numéro de carte bleue pour me débloquer. J’ai aussitôt raccroché et contacté Olivier. » Bon réflexe pour cet habitué des formations données par l’association !

François reprend possession de sa machine mais peine aussitôt à se connecter. « Rappelez-vous les indices à repérer, conseille Olivier. Si “l’avion” apparaît en haut à droite, c’est que toutes vos connections sont coupées. » Loin de prendre les commandes, le médiateur laisse en effet tâtonner l’usager. « Dans la mesure du possible, l’idée est de “faire faire”, précise-t-il alors que la clé est arrivée et que chacun met son masque pour rejoindre le local. Bien sûr, nous expliquons les bases et donnons les indices nécessaires, mais la meilleure pédagogie est évidemment celle qui amène la personne à trouver par elle-même. » Une méthode en douceur justement appréciée par Régine : « à la maison, tout le monde est très à l’aise avec le numérique, mais j’ai l’impression que mon mari et mes filles parlent une langue étrangère. Les proches sont rarement les plus efficaces pour former… »

Fracture sociale et générationnelle

Comme Régine et François, 13 millions de Français et Françaises sont touchés par l’illectronisme (lire encadré) et 35% « éprouvent au moins une difficulté qui les empêchent d’utiliser pleinement les outil numériques et Internet » (1). Un manque de connaissances synonyme de fléau à l’heure où le numérique envahit le quotidien et qui n’a pu qu’être amplifié par les confinements successifs. Comment effectuer ses démarches administratives en ligne, naviguer en toute sécurité, suivre ses cours, échanger à distance avec ses proches ? Mais aussi comment profiter du potentiel du numérique pour exprimer sa créativité ou participer à l’exercice de la démocratie participative lorsqu’on ne maîtrise pas les usages, et/ou que l’on n’est pas équipé d’un terminal et d’une connexion au réseau internet ? Selon l’Insee (2), ce sont souvent « les personnes les plus âgées, les moins diplômées, aux revenus modestes, celles vivant seules ou en couple sans enfant ou encore résidant dans les DOM » qui sont les plus touchées par ce fléau, bien loin de la start-up nation.

Une fracture sociale et générationnelle qui inquiète le Sénat et qui a motivé, en 2020, la venue d’une délégation sur le territoire du Sicoval pour observer les actions sur le terrain. « Nous faisons partie des pionniers engagés dans une démarche d’inclusion numérique avec pour objectif de ne laisser personne sur le bord de la route », explique Anne-Claire Dubreuil, directrice de projets Transformation numérique au Sicoval. Première intercommunalité reconnue « territoire d’action pour un numérique inclusif » (TANI) en 2019, la communauté d’agglomération qui regroupe 36 communes du Sud-Est toulousain s’est transformée en laboratoire d’expérimentations, avec le soutien de l’État, pour évaluer des dispositifs facilitateurs d’inclusion. « Ont été expérimentés le Pass numérique, Pix, et également Aidants Connect, conçu pour sécuriser les démarches administratives faites par un tiers, qui se déploie actuellement à l’échelle nationale », détaille Anne-Claire Dubreuil. En quelques mois, et malgré les confinements qui ont empêché les réunions de mars à octobre, plus de 100 personnes, seniors et personnes en recherche d’emploi, ont pu bénéficier des ateliers entre février 2020 et juillet 2021. 

Coordination territoriale

Pour mieux diagnostiquer le mal et « identifier les trous dans la raquette », l’intercommunalité a aussi réalisé une enquête de proximité avec l’aide des facteurs et factrices. Gagner en autonomie, déléguer tout ou partie de ses démarches, « les profils et les attentes sont différentes selon les publics et la crise sanitaire nous a aussi montré qu’aux problèmes d’usage pouvait se rajouter un manque de matériel », pointe Anne-Claire Dubreuil. Fort de ces retours d’expériences et des échanges avec d’autres acteurs, le Sicoval a également contribué, en 2020, à l’élaboration d’un outil cartographique pour révéler les zones d’exclusion numérique à l’échelle nationale (3), tandis que Jacques Oberti, son président, remettait le manifeste « Agir face à l’urgence de l’illectronisme » au secrétaire d'État chargé de la Transition numérique. Un manifeste qui a notamment abouti, en février dernier, au lancement d’une nouvelle expérimentation : la coordination territoriale pour l’inclusion du numérique (CTIN) « dans laquelle nous sommes engagés au côté de quatre autres collectivités », souligne la directrice de projets. Pour le Sicoval, pivot local de l’inclusion numérique entre financeurs, prescripteurs et médiateurs, il était logique que la gouvernance soit confiée aux territoires. En attendant le premier bilan, en décembre, l’intercommunalité s’attache à relever un autre défi : prendre le relais financier de l’État en mobilisant les partenaires nécessaires au déploiement de tous ces dispositifs.

 

(1) Source : Credoc 2020.

(2) Source : Insee, 2019.

(3) www.fragilite-numerique.fr

 

+ D’INFOS

https://www.interconnectes.com/wp-content/uploads/2020/02/Interconnectes-Manifeste-einclusion_web.pdf

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