[ GÉNÉRATION DÉSOBÉISSANCE CITOYENNE ] Comment la désobéissance civile devient-elle un mode d'action politique ?

Publié le mer 17/07/2019 - 08:30

Par Marie Lyan

Inspirée des grandes luttes, telles que celles menées par Gandhi en Inde, Martin Luther King aux États-Unis, en passant par les militantes du droit à l’avortement en France, la désobéissance civile signe son retour en force depuis quelques mois. Des mouvements sociaux, mais aussi environnementalistes ou antispécistes s’approprient désormais ce moyen de lutte et haussent le ton.

Inspirés par les actions des faucheurs volontaires d’OGM à travers l’Europe dans les années 2000, mais aussi par les intrusions au sein des centrales nucléaires réalisées par Greenpeace, plusieurs acteurs ont remis au goût du jour le principe de désobéissance civile, sur des modes d’actions toujours plus innovants. Avec comme exemples récents, l’aide apportée par Éducation sans frontières aux enfants de sans-papiers menacés d’expulsion, l’occupation du terrain du projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ou encore les décrochages de portraits du chef de l’État conduits par des militants d’Anv Cop 21 au sein des mairies, au nom de l’inaction du gouvernement sur la question climatique. Sans oublier les actions des collectifs antispécistes (« Boucherie Abolition », « 269 Life France » ou « Direct Action Everywhere France ») réalisées sous forme de d’actions, qu’ils surnomment des happenings, pour protester contre le commerce de la viande.

« Greenpeace a par exemple fait de la désobéissance civile dès le premier jour, lorsqu’on a mené les premières expéditions au large de l’Alaska sans autorisation pour s’opposer aux essais nucléaires en mer en 1971», se souvient Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. Et de glisser : « Il était déjà stratégique d’aller sur place, même si l’on n’en avait pas le droit, car l’enjeu en valait la peine ».

Des influences diverses

L’ensemble de ces acteurs s’inspirent d’un concept théorisé en 1849 par l’américain Henry David Thoreau, qui justifiait dans son essai La Désobéissance civile son refus de s’acquitter d’une taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique. D’autres figures ne cachent plus « la nécessité de désobéir » afin d’assurer le bon fonctionnement de notre démocratie, tel l’enseignant en permaculture britannique Rob Hopkins, initiateur du mouvement international des Villes en Transition et auteur du livre The Transition Handbook (2008).

Pour Albert Ogien, directeur de recherche au CNRS, qui a notamment étudié les mouvements de protestation politique extra-institutionnelle, nul doute que « la désobéissance civile ne peut s’exprimer qu’en démocratie, dans un cadre où la justice est indépendante. Car les régimes autoritaires ne permettent pas aux citoyens d’affirmer leurs opinions». Si la question de la justification de la désobéissance au sein d’un système démocratique peut être posée, «on peut en même temps considérer que celle-ci constitue, au contraire, un pilier de la démocratie, qui permet à la société d’avancer », contrecarre le sociologue, qui cite en exemple le cas des citoyens venus en aide aux migrants. « Ces personnes ont mis en évidence le fait que le délit de solidarité ne peut pas exister ». Un mode d’action qui peut aller jusqu’à gagner les représentants de l’État eux-mêmes, comme c’était le cas aux États-Unis, où des fonctionnaires ont refusé d’appliquer la loi sur le contrôle des migrants clandestins de Donald Trump. Avec, de plus en plus, des militants prêts à aller en prison pour défendre une cause, comme les militants d’Extinction Rebellion, ou encore d’Anv Cop 21, avec sa campagne de décrochage des portraits d’Emmanuel Macron. « Nous allons profiter des procès annoncés pour en faire un autre : celui de l’inaction du gouvernement », affiche Zoé Lavocat, porte-parole de l’équipe Alternatiba / ANV COP21.

Photo : Clément Tissot

« Tout l’enjeu est de montrer qu’il peut s’agir d’actions illégales, qui n’excluent pas la force ou la contrainte, mais qui se placent toujours dans le respect de l’adversaire. » Etienne Godinot, président de l'Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits (IRNC)

Des formules chocs

Si l’on connaissait déjà les campagnes de « sit-in », qui consistent à s’asseoir sur la voie publique pour alerter l’opinion, ou de « die in », où les militants s’allongent par terre pour sensibiliser autour d’une cause (celle des malades du Sida pour des groupes comme Act up par exemple), l’arrivée des mouvements animalistes et de nouveaux acteurs comme Extinction Rebellion a fait passer le curseur à un autre stade. « En Angleterre, Extinction Rebellion n’hésite pas à faire emprisonner un maximum de ses membres pour congestionner le système judiciaire, et donc le mettre à l'arrêt. Mais en France, la stratégie de la police est différente, puisqu’elle ne privilégie pas l’enfermement mais plutôt l’usage de gaz lacrymogènes ou autres », avance Albert Ogien. Les stratégies des militants sont donc différentes.
Pour Étienne Godinot, président de l'Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits (IRNC), il est cependant nécessaire de distinguer la force de la violence. « Tout l’enjeu est de montrer qu’il peut s’agir d’actions illégales, qui n’excluent pas la force ou la contrainte, mais qui se placent toujours dans le respect de l’adversaire. Car parfois, c’est l’usage d’un rapport de force qui oblige à négocier ou à céder ». Il cite en exemple le boycott des bus de Montgomery organisé par Martin Luther King, qui a pris fin lorsque les dirigeants de la compagnie de bus ont été acculés financièrement. Ou encore la marche du sel de Gandhi, interdite par les autorités, et qui a généré l’arrestation de 60 000 manifestants. « Le gouvernement a été obligé de négocier car il arrive un moment où le peuple devient le plus fort. Mais à chaque fois, c'est la reprise du dialogue qui est visée. Car il faudra inventer un vivre ensemble à l’avenir ».

Une frontière mouvante

Alors que plusieurs mouvements se disent issus de la désobéissance, la frontière demeure parfois mince : « La désobéissance implique qu’il y ait une loi ou un acte législatif qu’on décide de ne pas appliquer. Comme de planter des OGM par exemple. Cette action s’inscrit alors en complémentarité avec des modes d’actions plus traditionnels, tels que les marches, les manifestations, les appels à aller voter », rappelle Albert Ogien. Une idée que nuance Zoé l’Avocat : « On n’est pas obligés de se battre contre une loi en vigueur, comme l’ont montré les faucheurs OGM. Eux ont agi avant même qu’une loi ne passe car ils souhaitent l’absence de toute culture de ce type en France ».

Etienne Godinot se souvient également de la lutte du Larzac, où des paysans se sont rassemblés contre l’extension d’un camp militaire. Le conflit, qui a duré une dizaine d’années, a revêtu différentes formes, « comme le renvoi des livrets militaires, le refus de payer l’impôt pour le redistribuer aux paysans, l’occupation de terrains, l’organisation de marches ou l’envoi de moutons sous la tour Eiffel. À chaque fois, l’objectif des militants reste d’obtenir le soutien des médias et/ou de l’opinion publique », rappelle-t-il.

Qu’on les appelle donc des actes de désobéissance civile ou bien, plus largement, « des actions directes non-violentes », une chose est certaine : « Ces actions sont des indicateurs de la montée des revendications qui deviennent inacceptables pour les citoyens. Car il existe une augmentation du nombre de sujets qui ne sont pas traités par nos régimes démocratiques et qui semblent être des causes justes à leurs yeux », ajoute Albert Ogien.

Il en veut pour exemple les manifestations des gilets jaunes, qui ont secoué la France au cours des derniers mois, avec leurs blocages et manifestations non-déclarées : « Ces personnes avaient des revendications que les syndicats n’ont pas réussi à satisfaire au cours des 20 dernières années ». Qu’il s’agisse des questions d’inégalités, de droit des femmes, d’accès au logement... Tous les grands combats de société justifient, aux yeux des militants, des actions de désobéissance civile. « Le seul véritable frein à ces démarches est la capacité à se projeter et à prendre des risques soi-même », rapporte Jean-François Julliard, chez Greenpeace.  A bon entendeur !

 

Plus d’infos : https://extinctionrebellion.fr/

https://anv-cop21.org/

https://www.greenpeace.fr/

https://www.actupparis.org/

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