[DOSSIER] Les chasseurs, un monde en déclin ?

Publié le jeu 24/02/2022 - 13:03

Par Elodie Crézé

Dans un contexte d’opinion publique de plus en plus hostile à la chasse, et face à un vieillissement de la population des chasseurs peu renouvelée, cette activité semble désormais appartenir à l’ancien monde. Pourtant, les chasseurs sont passés maîtres de la communication pour redorer leur image bien écornée et parviennent encore à séduire. 

Imaginez. Le président Macron, tenue impeccable de cavalier, faisant claquer sa cravache sur le flanc d’un hongre fier et docile, et s’élançant dans la forêt de Rambouillet au son de la corne de chasse, à l’assaut d’une biche affolée. Scénario improbable ? Pas tant que cela. En 2017, alors candidat aux élections présidentielles, Emmanuel Macron avait déclaré vouloir rouvrir les chasses présidentielles « pour les intérêts de la France ». « C’est quelque chose qui fascine à l’étranger, ça représente la culture française, c’est un point d’ancrage. » La chose ne s’est pas faite, mais la tradition a voulu que les chasses présidentielles se poursuivent jusqu’en 2010. Dans l’imaginaire collectif, le prestige de la chasse a plutôt laissé la place à une image bien moins d’Épinal : à l’instar du sketch des Inconnus sur « le bon et le mauvais chasseur », le chasseur serait alcoolique, viandard, et misogyne. Loin de l’élégance.

« Vivons cachés, c’est fini »

Souffrant de cette image que les intéressés jugent caricaturale, associée à l’intérêt croissant de la population en faveur de la cause animale, et d’un désintérêt pour leur loisir en lui-même, les rangs des chasseurs s’éclaircissent depuis des décennies. Pour autant, il semble un peu tôt pour sonner l’hallali. Depuis quelques années, la fédération des chasseurs s’est lancée dans une campagne de communication au mode opératoire proche des ONG de défense de l’environnement. « Les chasseurs ont longtemps vécu sous l'adage “Vivons heureux, vivons cachés”, maintenant, c'est fini.» avait expliqué Emmanuel Blacque-Belair, le directeur de la communication l’été dernier1. Ainsi, on a vu fleurir dans le métro parisien et ailleurs sur la toile, notamment sur les réseaux sociaux longtemps désertés par les fédérations de chasse, des affiches au slogan choc : « Les chasseurs, premiers écologistes de France ? ». Avec un point d’interrogation qui n’est pas superflu, puisque il émane d’une demande expresse de la RATP. En toile de fond, un joli rouge-gorge, et cette explication : « Ils participent bénévolement à la sauvegarde de la biodiversité dans nos campagnes. Les apports de la chasse à la nature sont estimés à 360 millions d’euros par an ». En effet, selon la FNC, grâce à son action, la chasse et ses structures apporteraient des services environnementaux gratuitement2. Un chiffre difficilement vérifiable, mais qui témoigne d’une volonté apparue dans les années 2000 de contrer l’image gênante des chasseurs, éternels ennemis de la nature.

Les clips de campagnes, eux, mettent en scène des femmes, des jeunes et… des bobos. Telle celle où l’on voit une femme expliquer à une autre, dans un salon cosy « qu’elle adore bander » avant que la chute révèle qu’elle parle de bander un arc… Une vidéo toute en subtilité accompagnée du slogan « Et pourquoi pas vous ? Avec la chasse, retrouvez votre vraie nature ». Si on peut débattre de la finesse de cette campagne, en revanche les moyens sont bien là. Comme l’égérie des chasseurs, Johanna Clermont, payée par des marques de fusils, une « influenceuse » censée montrer une vision plus féminine et moderne de la chasse, invitée sur tous les plateaux de TV. Car pour Willy Schraen3, président de la FNC, « Les chasseurs en ont ras-le-bol de l’image caricaturale qui est faite de leur comportement par les associations anti-chasse. Contre-vérités et informations erronées sont régulièrement diffusées par nos détracteurs, sans que nous réagissions. De nos années de silence résulte une méconnaissance générale du grand public d’un loisir millénaire. Il est temps de prendre la parole et de rétablir une image écornée d’une passion partagée par près de 5 millions de personnes en France et pratiquée chaque année par 1,2 million de citoyens ». Un loisir, effectivement, et non une activité utile, rétorquent les opposants. Tel Richard Holding, chargé de communication pour l’Aspas : « La chasse est ni plus ni moins un loisir. Les chasseurs tuent des animaux et favorisent certaines espèces pour pouvoir les tuer ». Muriel Arnal, fondatrice de One Voice, une association de protection animale, enchérit : « C’est un loisir, ils entretiennent leur terrain de jeu ! D’ailleurs leurs clips de campagne consternants ne disent pas autre chose. Ils parlent de régulation ? Très bien, qu’ils régulent les sangliers qui représentent 2% des espèces, et qu’ils laissent les 98 % des autres espèces tranquilles ! ».

Bataille des chiffres

Il reste qu’il est difficile pour la fédération de chasse de faire le poids face aux lobbies écolos. Même si celle-ci s’appuie sur des « faits quantifiables et vérifiables » selon Willy Schraen, issus de 3 instituts dits « scientifiques », spécialisés dans l’observation et le comptage des oiseaux migrateurs : l’Institut scientifique nord-est Atlantique (Isnea), l’Institut méditerranéen du patrimoine cynégétique et faunistique (IMPCF) et le Groupe d’investigation de la faune sauvage (GIFS). Là encore, les détracteurs leur opposent que les études mises en avant ne font jamais mention du nombre d’animaux abattus, (pardon, « prélevés » disent les chasseurs) mais uniquement des mesures de protection de la biodiversité… La guerre de communication se poursuit. La toile a vu fleurir des détournements des vidéos de la fédération de chasse, avec une insertion d’images réelles de chasse particulièrement violentes afin de montrer la réalité du terrain… Pour Muriel Arnal, « C’est trop tard. Ils ont été tellement tout puissants très longtemps, tenu les politiques par leur vote, qu’ils n’ont pas vu arriver ce qui se passe : l’opinion publique ne veut plus de ça, le scénario ne passe plus. Les gens se renseignent sur la réalité de la chasse, sur les espèces qui disparaissent. Et puis ils n’ont plus accès librement à la nature avec la chasse, alors qu’ils en ont besoin, plus que jamais. »

1. Vincent Bresson – « Les chasseurs se lancent dans la guerre de l’image », Slate.fr,  30 août 2020

2. La FNC estime que les chasseurs participent à l’aménagement des milieux et à la gestion des populations animales et végétales. (ex : entretien des étangs, plantations, comptages des espèces, repeuplements, agrainage, etc).

3. Les propos de Willy Schraen sont issus d’un communiqué de presse de la FNC. Son livre, Un Chasseur en Campagne, paru mi-août a été préfacé par Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice. Contactée, la FNC n’a pas donné suite à notre demande d’interview.

 

Qui sont-ils vraiment ?

Les chasseurs seraient aujourd’hui 1,03 millions dont 25 750 femmes, (soit 2 %) d’après la FNC. 53% ont plus de 50 ans et 55 % sont des actifs. Seuls 2% seraient étudiants.

39 % seraient des cadres, de profession libérale, 21 % des employés et 15 % des ouvriers.

Depuis une quarantaine d’années, leur chiffre a été divisé par deux. En 1975, ils étaient 2,2 millions.

 

Pour qui votent-ils ?

En 2013, une étude de l'Ifop relevait que l'électorat chasseur n'était « pas homogène, loin s'en faut », mais « pench(ait) nettement plus à droite (54 %) que le corps électoral français ». Et présentait « un sur-vote très significatif en faveur de l'extrême droite ». Une étude de 2017 révélait que cette analyse était toujours d’actualité, Marine Le Pen ayant recueilli 38 % chez les chasseurs, contre 26 % globalement.

Source : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/03/964-1-document_file.pdf

 

Les chasses présidentielles

Apparues sous la Troisième République, les chasses présidentielles ont lieu entre 1848 et 2010 dans les domaines présidentiels comme Marly-le-Roi, puis Rambouillet. À cette occasion, le président invite ses proches et ceux du gouvernement, mais aussi des hautes personnalités étrangères : chef d’états, princes, diplomates… C’est ainsi qu’en décembre 2017, malgré l'abandon du domaine pour les chasses présidentielles, une chasse est organisée à Rambouillet pour Mouammar Kadhafi, chef de l'État libyen, en visite à Paris.
Valéry Giscard d’Estaing, de Gaulle, François Mitterrand pratiquèrent ces chasses présidentielles. Elles furent même relativement régulières à Chambord jusqu’en 2010, date de leur suppression par Nicolas Sarkozy qui souhaite les remplacer par « des simples battues de régulation, nécessaires aux équilibres naturels, qui seront confiées à la gestion du ministre de l’agriculture ».

Source : Wikipédia

L’alcool et les chasseurs, un cliché ?

Évidemment, si l’on ne peut établir un lien systématique entre chasseur et alcool, on peut cependant relever que cette question a fait l’objet de plusieurs questions à l’assemblée. Ainsi, en octobre 2013, M. Yves Blein député LRM du Rhône souhaitait « attire(r) l'attention de M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur […] l'absence de mesures relatives à l'état d'ébriété d'un chasseur en action de chasse. Le fait de chasser en état d'ébriété ne constitue pas une infraction réprimée par la loi, malgré le risque évident que cela fait courir aux autres citoyens. » Et de demander la création « d’une véritable infraction de « chasse en état d'ébriété », définie par un taux maximal d'alcoolémie, pour que des contrôles de chasseurs en action de chasse puissent être effectués. » En 2015, c’est la députée socialiste Marie Le Vern de Seine-Maritime qui relevait sensiblement la même difficulté : « la consommation d'alcool avant ou pendant les activités de chasse semble être à l'origine d'un grand nombre de ces accidents. Or le droit français ne reconnaît aucune interdiction ou restriction à la consommation d'alcool pour les chasseurs en activité, ni même une circonstance aggravante telle que définies aux articles L. 428-4 à l'article L. 428-5-1 du code de l'environnement. » 

 http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-40913QE.htm

http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-91386QE.htm

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