[ COUCHES JETABLES ] Peut-on sortir de l’impasse ?

Publié le mar 18/06/2019 - 14:38

Par Guillaume Bernard.

Quel parent aujourd’hui n’est pas capable de lister les inconvénients des couches jetables ? « Quel budget ! », « la quantité de déchets est colossale », ou encore « il paraît qu’elles contiennent des produits toxiques. » Pourtant, force est de constater qu’il est difficile de s’en passer… Peut-on changer cela ? Comment ?

Elles sont bien ancrées, ces habitudes qui veulent que la moindre petite commission de nos enfants soit jetée, avec son bel emballage — parfois aromatisé à la pomme — directement à la poubelle. Depuis bientôt 20 ans, plus de 95 % des bébés de l’Hexagone portent des couches jetables, selon le syndicat professionnel des fabricants de couche Group’Hygiène de 2015. Inventée après la Seconde guerre mondiale, la couche jetable a contribué à libérer le temps des parents… Et en particulier celui des femmes.

Pourtant, depuis quelques années, la couche jetable a mauvaise presse. En 2017, le magazine 60 millions de consommateurs a dévoilé une étude sur la toxicité de ce produit qui affole les consommateurs. Les analyses, que le magazine a fait mener par un laboratoire indépendant resté anonyme, révèlent que des matières classées « cancérogènes probables » ou « cancérogènes possibles », notamment du glyphosate, se trouvent dans la plupart des types de couches et marques testées.

Si le titre de presse écrit à l’époque que « les concentrations restent en deçà des seuils fixés par la réglementation », il insiste néanmoins sur le fait que ces seuils posent question. Un bébé, dont la peau est particulièrement sensible et qui est exposé presque toute la journée à ces substances, ne devrait-il pas disposer d’un seuil qui lui serait propre ? Ne doit-on pas appliquer un strict principe de précaution ? Alertée par cette étude, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) se saisit du dossier et publie en janvier 2019 un rapport qui établit qu’il n’est « pas possible d’exclure un risque sanitaire lié au port des couches à usage unique. » Le marché de la couche accuse le coup.

Des industriels touchés, mais pas coulés

Les ventes de Pampers, qui détient à elle seule environ la moitié du marché des couches jetables en France, chutent de 17 % entre 2017 et 2018, après des années de croissance, selon le magazine Capital. La faute au scandale sanitaire, mais pas seulement. L’arrivée d’un nouveau concurrent sur le marché, Lotus, marque du Suédois Essity, vient faire un peu d’ombre à Pampers. Et les naissances, en baisse de 8 % en sept ans, réduisent la taille du marché. La marque numéro 1 n’est d’ailleurs pas la seule à souffrir de la baisse de ses ventes : sur la même année, les ventes de l’ensemble des marques de couches en grandes surfaces ont chuté de 7,5 %, selon la société d’analyses Nielsen.

« La fabrication des couches jetables requiert plus d’eau que n’en nécessite le lavage des couches en tissu »

Antoine de Chambost, Ma petite couche

Une couche lavable

Assisterait-on à la fin programmée de la couche jetable ? Peu probable. L’enquête sur la toxicité des couches n’a finalement été qu’un caillou dans la chaussure des multinationales de l’hygiène qui sont parvenues à s’adapter rapidement. Dès 2018, 60 millions de consommateurs, réitérant son étude, observe les bons résultats d’analyses des produits Pampers. Rassurant, le Group’Hygiène s’est également engagé à ce que ses adhérents respectent les exigences de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), formulées en février à la suite de la publication de l’Anses. Parmi ces demandes : la suppression de toutes les substances parfumées ; une meilleure maîtrise des origines des matières premières et des procédés de fabrication, et une meilleure diffusion des informations aux clients, dans des délais inférieurs à un an. Que vont leur coûter concrètement ces efforts en termes de capital et de main d’œuvre ? Le scandale sanitaire questionne-t-il le modèle économique de la couche jetable ? Le Group’Hygiène n’a pas souhaité nous répondre. Si on assiste certes à des ajustements de la part des industriels, la couche jetable semble avoir encore de beaux jours devant elle.

La couche lavable, une solution miracle ?

Le poids d’une voiture Clio en déchets, soit une tonne. Soit environ la masse de couches nécessaire à un bébé, puisqu’on estime changer un enfant entre 3 800 et 4 800 fois entre sa naissance et son âge de propreté. L’impact écologique de la couche jetable est donc loin d’être négligeable et les poubelles qui se remplissent dans les familles : autant d’éléments visibles — et odorants —, qui alarment. A l’inverse, la désormais plébiscitée couche lavable génère, selon l’Ademe, (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), une quantité de déchets inférieure puisqu’en 2 ans et demi, un enfant a besoin d’environ 30 couches qui seront lavées 137 fois.

« On nous oppose souvent que la couche lavable coûte cher en eau. C’est vrai, mais il faut relativiser : la fabrication des couches jetables requiert plus d’eau que n’en nécessite le lavage des couches en tissu », décortique Antoine de Chambost, un des deux associés de l’entreprise Ma petite couche qui fait dans la location de couches sur Paris et sa banlieue. De fait, un bébé à qui on met des couches jetables consomme environ 26 000 litres d’eau en 2-3 ans, quand celui équipé de couches lavables n’en utilisera « que » 11 000, estime une étude de la société Génération plume, qui développe et vend les couches en tissu de marque Hamac.

L'entretien des couches lavables s'avère être une tâche chronophage qui échoit très souvent aux femmes.

« L’autre argument fort qui motive nos clients, c’est le prix », continue Antoine de Chambost. En effet, d’après nos calculs, le paquet de 30 couches jetables avoisinant les 10 euros et un bébé devant être changé en moyenne 6 fois par jour, le coût de revient d’une année de couches jetables est d’environ 720 euros par an. Un stock de 30 couches lavables est quant à lui estimé à 900 euros, mais pourra être utilisé les 2 ou 3 années nécessaire. « Le budget d’achat des couches lavables reste tout de même élevé, c’est pourquoi nous proposons de les louer. Chez nous le coffret découverte, qui contient 7 changes, est à 24 euros/mois. Cela permet aussi à ceux qui ne sont pas encore sûrs de vouloir tenter l’aventure, d’essayer », conclut Antoine de Chambost.

L’aventure couche lavable

Car passer aux couches lavables, c’est bien une aventure, coûteuse en temps, en énergie, et demandant de la persévérance. « Le temps de lavage et d’entretien des couches lavables, pour un enfant de la naissance à 36 mois, correspond à environ 202 heures de temps de travail domestique supplémentaire. En France, cela correspond à environ 5 semaines (ndlr, de 40 heures) de travail professionnel à temps complet », écrivent Michèle Lalanne et Nathalie Lapeyre dans leur étude L’engagement écologique au quotidien a-t-il un genre ? (Revue érudit, 2009). Transformer son peu de temps libre en tâche domestique, voilà qui rebute nombre de familles et particulièrement les femmes qui, selon le même article, « continuent à assumer environ 80 % des tâches ménagères ». Anne Delorme, couturière et animatrice au sein de l’association Mitsa qui loue et aide à la fabrication de couches lavables dans la banlieue toulousaine, nuance : « Certes, on a une majorité de femmes qui viennent à nos ateliers et qui adhèrent à l’association, mais on voit aussi de plus en plus de papas. Vu de la charge de travail, il vaut mieux que l’initiative de passer au lavable soit une démarche de couple. »

« C’est pour cela que nous voulons proposer un service de lavage », rebondit Alexandre Boutin, co-porteur du projet « Les tontons laveurs », une autre association toulousaine qui a pour projet de faire passer les crèches de la ville rose aux couches lavables. Constituée de trois anciens doctorants en sciences de la terre, l’association projette de récupérer les couches usagées et d’en livrer des propres aux particuliers. Un travail de nettoyage qui rencontre toutefois certains obstacles. « Les crèches manquent de moyens à la fois humains et financiers. Si elles étaient davantage aidées par les municipalités et la Caf, cela nous simplifierait la tâche », détaille Alexandre Boutin. L’association ne lâche cependant pas le morceau et espère se lancer pour la rentrée 2019. Face à toutes ces contraintes, seuls 2 % à 3 % des 2,3 millions d’enfants qui portent des couches en France sont équipées de produits lavables.

Composter ses couches ?

Une dernière solution existe, celle qui consiste à parier sur la mise au point de couches biodégradables. A l’heure actuelle, certaines couches jetables le sont en partie, mais quelques start up travaillent à confection d’une couche « de l’avenir » : une couche 100 % biodégradable. C’est le cas de Mundao, localisée en Gironde. « La cellulose et l’urine peuvent servir à la fertilisation de nos sols qui souffrent parfois d’épuisement, se réjouit Stéphanie Mazet, cofondatrice de l’entreprise. Pour que notre projet aboutisse, il sera extrêmement important de proposer un service de collecte qui passerait, dans un premier temps, dans les crèches et porterait les déchets sur une plateforme de compostage dédiée. » Si cette solution miracle a comme inconvénient majeur de n’être pas encore réellement mise au point, elle en possède un second, non négligeable. Son prix n’est pas encore connu.

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