[COTES D’ARMOR] La Volumerie recycle les expositions

Publié le ven 08/10/2021 - 12:00

Par Enzo Dubesset

La Volumerie, une agence-atelier basée à Broons (Côtes d’Armor), s’est fait un nom en recyclant des expositions de toute la France pour en créer de nouvelles. Elle a aussi ouvert à la population locale son fablab basse technologie.

C’est le grand ménage d’été à la Volumerie. Damien Rousse et Kévin Lemétayer, deux menuisiers trentenaires spécialisés dans le décor de scène, profitent du ralentissement des commandes pour ranger leur atelier. Depuis l’extérieur, rien ne laisse deviner qu’ici, près de Broons (Côtes-d'Armor), campagne entre Rennes et Saint-Brieuc, on conçoit des expositions pour des musées de toute la péninsule. À l’intérieur de ce vaste hangar de 200 m², on comprend mieux. Pas facile de circuler entre l’imposante scie à format de plus de sept mètres de long, les piles de bois, les tas de ferraille et les autres collectes de ces derniers mois...

Recyclage d’expos

Ce système de collecte est au cœur du modèle de la Volumerie. Toutes les expositions conçues par l’entreprise ont déjà eu une première vie. « A notre lancement en 2016, on s’est rendu compte que les musées se débarrassaient systématiquement des expositions achevées, se rappelle Alexandra Legros, cofondatrice de l’entreprise et scénographe de formation. On a trouvé ça hallucinant ! Alors on s’est mis à faire le tour des déchetteries et à proposer aux musées de récupérer leurs expositions afin de les démanteler et de tout retransformer en matériaux bruts. » Un système gagnant-gagnant puisque les musées payent la récupération de leurs déchets au poids. Une fois l’inventaire des stocks actualisé par Damien et Kévin, Alexandra, épaulée par une autre designer, s’attelle à concevoir les futures expositions des musées et des associations qui lui passent commande.

Ce système D leur permet aujourd’hui d’économiser la quasi-totalité de leurs matières premières. « On achète encore certains produits comme le contreplaqué mais, à terme, on fera 100% de récup’ », explique Kévin Lemétayer. Seul obstacle : le problème du stockage qui devrait être résolu avec l’aménagement prochain d’un vieux corps de ferme de 500 m² situé à côté de l’atelier. Le fait de démanteler systématiquement leurs créations permet à ces écologistes convaincus de toucher du doigt leur objectif Zéro déchet. À en croire ses propriétaires, le fourgon de la Volumerie ne se rend plus à la déchetterie que deux fois par an pour éliminer les restes de découpes inutilisables.

Changement d’échelle

Quand Kevin Lemétayer et Alexandra Legros, alors tout juste diplômée d’un master de design, se sont lancé dans cette aventure, personne ne s’attendait à un succès si rapide. L’entreprise emploie désormais six personnes et réalise une trentaine de projets par an, dont deux à trois grosses commandes qui nécessitent plus de huit mois de travail. Une réussite qui se retrouve dans le chiffre d’affaires de l’entreprise qui a atteint 300 000 euros en 2021, contre 110 000 en 2019.

L’écoconception leur a aussi permis de se faire un nom dans le milieu. « Des musées nous appellent de toute la France pour qu’on vienne récupérer leurs expos, raconte la jeune femme. Des gros musées qui ne nous auraient jamais contactés pour une commande. Grâce à l’écoconception, nous sommes en train de changer d’échelle. »

La petite équipe doit récupérer d’ici la fin de l’année une exposition parisienne qui prend la poussière depuis 2016. Un gros morceau puisque les musées parisiens ne lésinent pas sur les moyens. « On a fait expertiser le tout et il y a pour 70 000 euros de produits numériques neufs !, s’exclame Alexandra Legros qui n’en revient toujours pas. Ils ont acheté des ordinateurs et des tablettes en double, en cas de panne. Sans nous, tout cela serait un jour parti à la poubelle. »

Outre ce système de recyclage, la Volumerie s’astreint à un cahier des charges ambitieux : impression sur bois et non sur une couche plastique fixée sur la planche, utilisation d’encres écologiques, c’est-à-dire d’origine végétale... « On ne travaille pas avec tout, complète Kévin Lemétayer. Par exemple, nous n'avons pas recours à la mousse polyuréthane qui, en plus de ses problèmes écologiques, est dangereuse pour la santé à manipuler ».

Cette démarche « d’économie circulaire régénérative », comme Alexandra Legros aime à la définir, est avant-gardiste dans le milieu de la scénographie. À en croire Adeline Rispal, scénographe parisienne et présidente de Xpo, la fédération des concepteurs d’exposition, le secteur est, certes, « traversé par un mouvement de transition avec une tendance à la réduction de la production scénographique pour l’adapter à plusieurs expositions et ainsi économiser les coûts », mais la Volumerie est, à sa connaissance, la « seule entreprise en France à faire à la fois de la conception, de la fabrication et du recyclage. »

Ne pas céder aux sirènes du numérique

Alors que la grande majorité des scénographes sont autonomes des menuisiers-décors, Alexandra Legros estime que c’est bien le fait d’avoir regroupé les deux volets du métier au sein d’une même agence-atelier qui rend son modèle viable. « Dans notre métier de scénographe, nous avons appris à dessiner en 3D de notre côté, à partir de rien, et à faire ensuite une requête auprès de partenaires qui achètent des matériaux neufs. On ne nous a pas éduqué à partir de l’existant. Certains scénographes trouvent même que cela peut brider leur créativité ! », explique la cofondatrice de la Volumerie qui a rompu avec cette façon de raisonner. Pour les menuisiers et menuisières, travailler à partir de matériaux récupérés impliquerait de prendre à leur charge le coût et le temps du démantèlement et du stockage...

La Volumerie est d’autant plus avant-gardiste qu’elle prône le recours aux basses technologies dans un univers où les demandeurs d’expositions sont férus de high-tech. « On est très sollicités à la fois sur la transition écologique et sur la transition numérique. Il nous faut trouver la délicate synthèse des deux », résume Adeline Rispal.

Un mouvement que pousse le ministère de la Culture à grands coups d’aides à la numérisation. La dernière en date : 20 millions d’euros alloués dans le cadre du plan France Relance aux « lieux de créations » pour faciliter leur « transition écologique et numérique ». À la fois très gourmand en métaux rares et en data centers énergivores, le tout numérique semble pourtant aux antipodes de l’écologie.

Un atelier ouvert au public

Pour Kévin Lemétayer, en charge de ces questions à la Volumerie, le recours à ces technologies peut néanmoins se justifier par son aspect pédagogique mais « il faut le penser en diminuant le nombre d’écrans, en utilisant des composants récupérés et des appareils à basse consommation comme les players-audio ». C’est ce que cet autodidacte s’évertue à faire depuis plusieurs années en construisant notamment ses propres cartes électroniques, le plus souvent grâce à ce qu’il récupère en déchetterie.

Encore isolée dans sa branche professionnelle, l’équipe de la Volumerie tente désormais de faire passer son message à la population de Broons. En 2018, l’atelier s’est ouvert au public sur le principe des laboratoires de fabrication, les fablabs, qui rencontre un franc succès en ville. Une quinzaine d’adhérents et d’adhérentes viennent régulièrement expérimenter les machines de la Volumerie. Une façon de redonner ses lettres de noblesse à la simplicité des basses technologies et de convaincre de la nécessité de réinventer les manières de concevoir.


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www.lavolumerie.fr

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