[SOCIAL] La santé autrement dans la cité

Publié le mer 09/06/2021 - 13:30

© Bruno Poussard

Par Bruno Poussard

Au cœur d’un quartier populaire d’Échirolles, désert médical dans la banlieue sud grenobloise, un centre de santé invente depuis cinq ans une nouvelle forme de prise en charge pour ses habitants. Une structure communautaire, autogérée, construite en terre-paille, où le soin est autant social que médical et où les salaires sont égalitaires. Un exemple national.

C’est un petit bâtiment bordé de bois au milieu des HLM colorés. Entouré d’un City stade et d’une aire de jeux, seul son nom, en lettres blanches, traduit sa vocation. À l’entrée du Village 2 santé, une habitante, sortie de son rendez-vous de kinésithérapie, croise un des fondateurs du centre médical. Elle avait justement besoin d’aide pour un souci de santé au boulot. Un café à la main, le coordinateur administratif prend le temps de lui répondre. Visite prolifique. Passée peu avant avec une amie, Élisabeth se réjouit de la jeune structure du quartier populaire du Village II à Échirolles, au sud de Grenoble : « C’est génial ici ! Il y a tout. Ils nous écoutent. On peut même venir faire des papiers si besoin. » La Covid-19 a pourtant un peu atteint la convivialité de l’accueil du centre de santé communautaire, concept de prise en charge médicale et sociale connu au Canada, notamment. Les tables, disposées façon cabaret, sont rangées, comme les livres, les jeux pour enfants, le café bio du Chiapas ou le thé de la coopérative ScopTi gratuits côté cuisine. « Ça ressemble plus à une salle d’attente en ce moment, mais on essaye de rester accueillants », sourit Clémence Duver, coordinatrice médico-sociale. Les patients gardent accès à un ordinateur, imprimante, photocopieuse. À l’écoute, surtout, des 17 praticiens et travailleurs sociaux...
 
Le Village 2 santé n’est pas un centre médical comme les autres. À l’entrée, le matin, il y a deux accueillants. L’un s’occupe du téléphone et de la facturation à la Sécurité sociale. L’autre anime la salle, demande aux gens comment ils vont ou comment s’est passé leur rendez-vous. Vrai lieu social du quartier, ce café-accueil est décoré d’affiches informatives, militantes. Les salles des spécialistes ont des noms de personnalités engagées, féministes comme Louise Michel, en lutte contre le racisme comme Assa Traoré ou pacifistes comme Salvador Allende. Début février, un artiste peint des fresques sur les murs, pensées avec l’équipe et les patients. Voulu comme une alternative dans un coin touché par la désertification médicale, le centre est autogéré et démocratique. Afin de lutter à sa manière contre les discriminations et les inégalités sociales. Là où les citoyens sont en moins bonne santé que la moyenne. Où le diabète est plus répandu. Où des habitants ont subi ailleurs des refus de tiers-payant ou de Complémentaire maladie universelle (CMU).
 

Le patient au centre des choix de son soin

Inspirée d’une initiative toulousaine (1), l’idée de la prise en charge globale au tiers-payant intégral est venue de cinq étudiants en médecine. Après quatre ans de réflexion, de diagnostic et de recherche d’une municipalité ouverte, l’aventure a débuté en 2016. Dans ce quartier enclavé de la troisième commune de la métropole iséroise au maire communiste. Depuis, l’équipe s’est agrandie au même rythme que la patientèle. Elle compte aujourd’hui médecins, kinés, médiateurs, orthophoniste,  infirmière… Malgré l’arrivée d’un cinquième docteur, il y a une liste d’attente d’un an, et il faut patienter deux semaines pour avoir un rendez-vous de suivi pour plus de 2000 patients. Mais toujours des demandes. Parmi leurs principes fondateurs, les fondateurs de l’association (qui pourrait devenir une Société coopérative d’intérêt collectif) ont choisi, eux, l’égalité salariale : 1.800 euros net environ pour 35h de travail, dont 25h avec les patients et 10h de réunions, d’autogestion... « Ça a été décidé en groupe. Parce que chaque corps de métier a des avantages et des inconvénients. Il n’y a donc pas forcément de raison pour que le salaire soit différent », explique souvent Aurore Meheux, interne en stage au centre, à ses camarades étudiants en médecine. Le principe – qui prend en compte l’ancienneté – n’est pas gravé dans le marbre. « Comme le soin est partout dans le centre, le salaire égalitaire est un outil et un message », rappelle Mélanie Lagrange, accompagnante à la vie relationnelle. Ici, chaque habitant du secteur est bienvenu. Sauf les laboratoires pharmaceutiques.
 
Parents, enfants, grands-parents, chômeurs ou travailleurs, tous les nouveaux patients ont d’abord droit un long rendez-vous avec son médecin traitant : 40 minutes pour tisser les bases d’une relation de confiance et commencer à découvrir son « contexte de vie ». Le généraliste peut ensuite le rediriger vers d’autres professionnels du centre. Pour de l’éducation thérapeutique contre les maladies chroniques, pour des problèmes de couple, au travail… Divers avis pour aider le patient à construire le sien. « On peut lui reproposer des rendez-vous à plusieurs reprises au fil de son cheminement, mais c’est lui qui décide. Ça reste sa santé, recadre Aurore. Et tout ne se joue pas forcément en consultation. » Atelier relax, salle habitante dédiée aux femmes ou groupe d’entraide né d’une idée d’usagers, le soin peut aussi être collectif. Face à la domination médicale ancrée dans la société, le Village 2 santé a voulu changer de paradigme de prise en charge. « Sur deux axes forts, liste Mélanie, aussi coordinatrice administrative : tout n’est pas médical et le patient décide. » L’exercice se retrouve facilité. « En libéral, il est parfois dur d’aborder certains points car un médecin, seul, ne sait pas toujours quoi faire de tout ce qu’on lui dit, détaille Aurore. Ici, les consultations s’ouvrent plus facilement. Les patients sont sincères, ils savent qu’on saura trouver comment leur répondre. »
 

Le droit de parole des habitants dans la vie du centre

Le Village 2 santé a la volonté d’aller vers les habitants. Comme ils l’avaient fait avant d’ouvrir le centre, ses membres ont réalisé un porte-à-porte dans le quartier contre l’isolement lors du premier confinement. À l’image de l’espace de discussion La place du village, les patients peuvent aussi participer à la vie du centre. Ils ont pensé un jardin aux plantes médicinales, en construction dans la cour. Le centre a d’ailleurs la fibre écolo. Une question de vision durable de la société dans son ensemble. Depuis son déménagement en 2019, la partie neuve des locaux en terre-paille vise une économie d’énergie. Les professionnels utilisent autant d’outils réutilisables que possible. Ils fabriquaient leurs produits ménagers avant la Covid. Quand ils organisent des goûters, ils optent pour des gâteaux et des fruits bios. Avec leurs moyens, sans perdre de vue leur priorité : le soin.
 
En France, le Village 2 Santé n’est pas seul. Après la Case de santé à Toulouse, il fait partie des historiques, avec le Château en santé à Marseille et La place santé à Saint-Denis. Il accompagne des nouveaux, dont deux en projet en Bretagne. En poursuivant les expérimentations. Côté financement, l’acte médical de la Sécu a notamment été remplacé par un forfait destiné à la structure, plus adapté, afin d’intégrer les co-consultations ou les ateliers d’éducation populaire. Un enjeu national. Dans ses annonces du Ségur de la santé fin 2020, Emmanuel Macron a annoncé la création de 60 centres participatifs, autrement dit communautaires. Avec les autres pionniers, l’équipe participe à la création d’un cahier des charges des futurs centres et fait du lobbying pour défendre ses idées. « Pour nous, ce centre, c’est la santé de proximité, une prise en charge globale, termine Mélanie. On veut participer à transformer le système social de santé. » Une ambition à la hauteur des enjeux.
 
(1) Lire notre reportage sur la Case santé, Sans transition ! N°20, édition Occitanie.
 
Plus d'infos : www.levillage2sante.fr

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