[MIGRANTS] À Briançon, le Refuge solidaire menacé de fermeture

Publié le dim 14/03/2021 - 07:38

Crédit photo : Clara Martot 

Par Clara Martot

Depuis son ouverture à l’été 2017, le Refuge solidaire a accueilli plus de 12 000 exilés de passage. La nouvelle majorité de Briançon voulant reprendre les clefs du local, les salariés et bénévoles de cet hébergement d’urgence doivent déménager d’ici avril.

Parti de Côte d’Ivoire en 2016, Mohamed approche la fin de son périple. Demain, il doit se réveiller à Paris. Bonnet en laine sur la tête, il sourit et se frotte les yeux, mal remis de son trajet de la veille, « très dangereux », dans les montagnes alpines. Il n’aura passé qu’une seule nuit au Refuge solidaire de Briançon. Au cœur de l’hiver, cet hébergement d’urgence(1) accueille entre 45 et 50 migrants chaque jour. Tous viennent de traverser la frontière italienne à pied, située à une dizaine de kilomètres au milieu des massifs enneigés, abrupts et extrêmement périlleux.

Mohamed est parmi les derniers à séjourner dans ce local ouvert à l’été 2017 qui a déjà accueilli à ce jour plus de 12 000 exilés. En effet, d’ici la fin avril, le Refuge solidaire devra rendre les clefs. Une décision prise par le nouveau maire (LR) Arnaud Murgia, aussi président de la communauté de communes du Briançonnais, qui est propriétaire des lieux.

L’association a reçu une lettre de mise en demeure le 26 août dernier. Jusqu’à présent, elle disposait de cet étroit bâtiment de deux étages gratuitement. Un geste qu’Arnaud Murgia a décidé d’abréger, à cause de « graves négligences dans la gestion des locaux et de leurs occupants », explique-t-il dans son courrier de l’époque. En cause notamment : le nombre d’occupants, limité depuis septembre dernier à 35 personnes, après que plusieurs cas de Covid-19 aient été détectés. L’échéance de la fermeture est d’abord fixée au 28 octobre puis repoussée à fin avril. Entre temps, une pétition en faveur du refuge a été lancée sur change.org et recueille aujourd’hui plus de 40 000 signatures. « Très pris par l’évolution du Covid-19 sur le territoire », Arnaud Mugia n’a pas répondu à nos questions. Mais il déclarait à nos confrères de France Interen septembre : « S'il y a un accident, c'est moi qui suis pénalement responsable » .

Un hébergement d’urgence

Même recouverts d’un épais manteau blanc et culminant à plus de 1 700 mètres, les cols de l’Échelle et de Montgenèvre continuent d’être foulés quotidiennement par les migrants. Briançon n’est alors qu’un bref point d’étape : certains visent Paris, ou plus souvent Londres ou Berlin. « Aujourd’hui, nous voyons de moins en moins de migrants souhaitant s’installer en France »(2), souligne Pauline Rey. La jeune femme est l'une des deux salariées sur place et coordonne des centaines de bénévoles dont une trentaine de locaux.

La pièce principale du Refuge solidaire est occupée aux trois quarts par une grande table. Les exilés y prennent des boissons chaudes et discutent. Ceux qui viennent d’arriver doivent s’enregistrer au bureau, ils restent rarement plus de deux ou trois nuits. Entre des groupes de jeunes Afghans ou Iraniens, deux enfants slaloment en riant. Ils s’avancent vers Pauline et lui demandent des livres, l’échange se déroule en anglais. « J’ai du mal à résister devant ces sourires ! » lance cette dernière, avant d’ajouter, plus grave : « en ce moment, on a beaucoup de familles ».

Près de l’escalier qui mène aux dortoirs, une porte entrouverte cache un grand réfectoire. Dans le fond de la pièce, de la literie est entassée. « Quand nous dépassons nos capacités d’accueil comme c’est le cas actuellement, on aménage un deuxième espace de nuit ici », explique Pauline. À l’étage, les lits proviennent d’une maison de vacances qui fermait. Au grenier, les combles sont remplies de dons de vêtements, tous apportés par des particuliers.

Plusieurs pistes pour un nouveau lieu

Pauline et d’autres membres du conseil d’administration du Refuge entament une réunion cruciale car l’heure du déménagement approche. « Nous n’en parlons pas pour le moment, mais nous avons plusieurs pistes pour un nouveau lieu », tient à rassurer Jean Gaboriau, guide de montagne et bénévole depuis trois ans. L’objectif est toujours le même : offrir un hébergement d’urgence pour les migrants de passage. « C’est ce qui est défini dans nos statuts actuellement, précise Jean. Nous assurons un hébergement temporaire de quelques nuits maximum. De toutes façons, quand on souhaite demander l’asile, on va plutôt s’établir près de la préfecture. » Le guichet le plus proche est celui de Gap, à 80 kilomètres.

Selon le bénévole, l’enjeu dépasse le territoire du Briançonnais : « l’idée de la nouvelle municipalité, c’est aussi de se dédouaner en pointant les défaillances qui viennent d’en haut. Car c’est l’État qui est censé être en charge de la problématique migratoire. Et cet argument-là, je le comprends. Pourquoi l’État ne finance pas des associations compétentes pour remplir cette mission ? Nous, nous n’avons pas d’aide financière publique. » Le bénévole explique que seule la communauté de communes offre les locaux et quelques charges. Pour le reste, leurs fonds proviennent principalement de la Fondation de France et de la Fondation Abbé Pierre.

Pour Jean, l’engagement a débuté à l’hiver 2017 : « on voyait tous les migrants passer par le col de l’Échelle car c’est le chemin le plus court. Mais c’est aussi un chemin extrêmement escarpé et dangereux. On a donc voulu pousser un cri d’alarme. L’idée, c’était que des professionnels de la montagne comme moi s’engagent dans la crise migratoire, car nous ne pouvions plus rester sans rien faire. »

Une opération sur le col est alors lancée en partenariat avec le collectif Tous migrants. L’objectif était de sensibiliser les pouvoirs publics et la presse au danger de la traversée. Car des drames surviennent chaque année. Le 11 janvier dernier, une famille de onze personnes a été secourue dans les Alpes. Le 22 janvier, deux autres Afghans se sont à leur tour perdus, avant d’être secourus le lendemain puis guidés jusqu’au Refuge. Trois jours plus tard, ils avaient déjà repris leur route.

« Londres, c’est loin de Paris, à pied ? »

Steven fume une cigarette devant le local. À 30 ans, ce Ghanéen cherche de l’argent pour rejoindre l’Angleterre. Il demande : « Londres, c’est loin de Paris, à pied ? »Il a été retenu deux semaines à Briançon à cause de ses blessures mais pourra bientôt repartir. Il ne sait plus quel col il a emprunté pour traverser la frontière franco-italienne, mais il a compris après coup « que ça n’était pas la meilleure route. »Trop tard. Sans gant ni aucune protection, sa peau a brûlé au contact du froid et ses doigts ont gelé. Aujourd’hui, son index est toujours enroulé sous plusieurs couches de sparadrap. Car au-delà de l’hébergement d’urgence, le Refuge solidaire dispense aussi un accès aux soins. Une aide précieuse parmi tant d’autres, que l’association espère pouvoir encore offrir au sortir de l’hiver.

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Encadré : Vers l’ouverture d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) ?

En annonçant vouloir reprendre les clefs au Refuge solidaire, le maire de Briançon Arnaud Murgia avait déclaré à l’AFP que « la question migratoire et de l'hébergement d'urgence ne peut être réalisée que dans l'État de droit, avec des professionnels et dans un cadre réglementaire. »Il déclarait alors penser à implanter dans le local actuel une structure qui serait gérée par l’État : un Centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada).

Ces centres, qui comptent environ 45 000 places en France, permettent d’héberger les migrants souhaitant demander l’asile. Leur gestion est alors assurée par des entreprises ou des associations. Dans le Briançonnais, 60 places en Cada sont ainsi gérées par la fondation Edith Seltzer depuis novembre 2016. Pensés pour accompagner les migrants, notamment dans leurs démarches administratives, les Cada ne sont en revanche pas adaptés à l’hébergement d’urgence. Ils ne pourraient par exemple pas recevoir des migrants de passage à Briançon qui souhaiteraient demander l’asile en Angleterre ou en Allemagne.

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Plus d'infos :

 

Refuge solidaire : refugessolidaires.wordpress.com

Pétition contre la fermeture du Refuge solidaire : « Pour que le Briançonnais reste un territoire solidaire »sur change.org

Tous Migrants : tousmigrants.weebly.com

 

Notes de bas de page

(1) “Les centres d'hébergement d'urgence (CHU) ont pour mission d'héberger temporairement des personnes sans-abri, en réponse à l'obligation d'hébergement inconditionnel. [...] Les financements dédiés à l'hébergement d'urgence proviennent presque exclusivement du budget de l'État, mais la gestion des dispositifs d'accueil est confiée à des tiers, principalement des personnes privées.” (Source : www.senat.fr) Jusqu'à présent, le Refuge solidaire était soutenu par la Ville et la Communauté de communes du Briançonnais qui mettait un bâtiment à disposition de l'association gérante, Refuges solidaires.

  1. Selon l'Insee, la demande d'asile en France a diminué de 41,4 % en 2020 par rapport à 2019. (Source : Insee, les principales données de l'immigration, 21 janvier 2021.)

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