[INSERTION] À Toulouse, Rebonds! ne laisse personne sur la touche

Publié le ven 24/01/2020 - 07:00

Photos : Natacha Scheidhauer.  Une fois par semaine, L’Essai au Féminin permet aux jeunes filles de 8 à 11 ans de prendre toute leur place dans un espace public trop souvent occupé par les garçons. Ici, dans le quartier de la Faourette, à Toulouse.

Par Natacha Scheidhauer

L'association toulousaine Rebonds! parcourt les quartiers prioritaires de Toulouse pour y implanter la pratique du rugby. La finalité ? L'insertion et l'éducation des plus fragiles, depuis presque 16 ans.

La réussite d’un parcours de vie tient souvent à peu de chose. À Toulouse, c’est une rencontre avec un ballon ovale et avec ceux qui le tendent. Éducation, insertion, médiation : depuis 2004, Rebonds! sillonne les quartiers prioritaires, rugby au cœur.

Ça piaille, ça rit, ça crie ! Égayées sur le terrain de sport, elles sont une centaine à se défouler au grand air. Elles, ce sont les gamines de l’Essai au Féminin, un dispositif mis en place par l’association Rebonds! pour permettre aux toutes jeunes filles des quartiers prioritaires de s’initier au rugby. Car malgré l’affluence du jour, au départ, peu d’entre-elles étaient destinées à découvrir ce sport « de garçon » à la réputation violente et dangereuse. À l’origine, il y a 15 ans, Rebonds ! est né d’un constat plus large : celui de l’absence de rugby dans les quartiers prioritaires de Toulouse. « Malgré le fait d’être dans la capitale nationale du rugby, il y avait très peu d’initiatives proposées dans les territoires prioritaires et aux publics en difficulté », explique Sanoussi Diarra, ancien joueur de rugby et co-fondateur de Rebonds! Un diagnostic que confirme Dayal, 24 ans aujourd’hui et suivi par l’association pendant 10 ans : « Quand j’ai découvert le rugby en CM1, personne ne connaissait ce sport dans ma classe. Et personne n’y jouait dans le quartier. » Alors les filles…

Ne laisser personne sur la touche

Avec Sébastien Bouche, lui aussi ancien joueur, Sanoussi Diarra décide alors de créer une association pour favoriser la pratique du rugby des 6-17 ans dans ces quartiers. Ce dernier sait ce qu’il doit au rugby : « Je suis moi-même un enfant de la politique de la ville et le rugby m’a donné la chance de sortir du quartier pour rencontrer des ouvriers, des paysans, des étudiants, des ingénieurs… » Il nomme son association Rebonds! et lui donne pour objet d’offrir la même opportunité aux jeunes, c’est-à-dire « côtoyer un autre milieu que leur cadre social et familial d’origine ». Comment ? En leur ouvrant la porte de clubs de rugby « délibérément choisis à l’extérieur du quartier. » Pour cela, Rebonds! propose d’abord des séances de découverte dans les écoles, les collèges, les Clae, mais aussi les structures spécialisées. Bien au-delà d’un apprentissage technique, le rugby y est utilisé comme un outil éducatif au service de l’élève avec un travail sur l’écoute, le respect de l’autre et des consignes, le tout dans un cadre parfaitement ludique et sécurisé.
Le succès est au rendez-vous et des milliers de gamins – près de 9000 en 2019 – découvrent ce drôle de ballon ovale aux rebonds (sic !) capricieux. Mais, très vite, un second constat s’impose : malgré le succès rencontré lors des semaines d’initiation, il s’avère ensuite très difficile pour les jeunes de s’inscrire en club. « Il existe tout un tas de freins, explique Jules Sire, l’actuel directeur. Principalement liés aux difficultés financières et de mobilité des jeunes et de leurs familles. Et c’est encore plus difficile pour les jeunes filles à cause de la réputation de sport violent qui précède le rugby et parfois aussi de réticences culturelles. »

Le rugby permet un intense défoulement… dans un cadre précis. On y court à perdre haleine sans jamais oublier les règles, par exemple celle qui veut qu’on reste derrière le coéquipier porteur du ballon. 

Un accompagnement individualisé

Pour y remédier, Rebonds ! conçoit alors le Projet Insertion Rugby, aujourd’hui pilier central de son action. Au cours des cycles de découverte, ses animateurs socio-éducatifs tissent des relations avec les jeunes et travaillent en collaboration avec les référents éducatifs (professeur, éducateur spécialisé, animateur de Clae, etc.) pour repérer ceux qui sont motivés à poursuivre la pratique mais qui ont besoin de soutien. « On peut être alertés par des difficultés comportementales, scolaires, familiales ou sanitaires,détaille Sterenn Choquet, coordinatrice sociale. On se déplace alors à la rencontre des parents pour présenter notre démarche. On répond à leurs questions, on les rassure et, dès que le jeune a leur accord pour intégrer un club, on débute son parcours d’accompagnement individualisé. » Plus social que sportif, ce Suivi Rebonds ! doit permettre au jeune de bénéficier d’un « réseau informel d’adultes bienveillants » comme le qualifie Sanoussi Diarra et que l’association favorise via des échanges croisés entre éducateurs, parents et enseignants. Le but : suivre attentivement la progression de l’enfant et faire preuve de la plus grande réactivité en cas de besoin. « On prend en compte les caractéristiques de chaque enfant, on fait des points d’étape réguliers dont on garde la mémoire et on fait le lien avec l’ensemble des partenaires. » Une qualité de suivi qui permet, pour peu que l’enfant reste suffisamment longtemps dans le dispositif, d’avoir un véritable impact, à l’exemple de Dayal : « J’ai bénéficié de ce suivi pendant près de 10 ans. Et il m’a énormément apporté. Grâce à Rebonds!, je suis sorti de la cité. J’ai voyagé, appris à connaître d’autres gens, à me mélanger, à découvrir autre chose. Et j’ai pu éviter de rencontrer les mauvaises personnes. »

Du sur mesure

Au fil des années, pour appliquer cette recette gagnante à un public plus large, l’association qui compte à ce jour une trentaine de salariés, a multiplié les projets sur-mesure. L’Essai au Féminin, dans le cadre duquel évoluent les jeunes filles sur le terrain aujourd’hui est l’un d’entre eux. « En complément des séances d’initiation scolaires mixtes, cet entraînement hebdomadaire exclusivement réservé aux filles leur permet de s’exprimer sans le regard et la pression des garçons, explique Laura, coordinatrice du projet. Ça leur laisse le temps de découvrir le rugby sereinement avant de décider si elles veulent poursuivre en club. Et ça rassure aussi les parents. » D’autres dispositifs socio-sportifs dépassent même aujourd’hui le cadre du rugby pour s’appuyer sur les vertus du sport en général, comme les parcours d’accompagnement vers l’emploi : « On propose aux jeunes jusqu’à 25 ans la possibilité de travailler notamment leur savoir-être,explique Widdy Benamou, coordinateur du pôle insertion professionnelle. Séjours sportifs type spéleo ou escalade mais aussi ateliers théâtre : on les sort de leur zone de confort pour faire émerger des ressources qu’eux-mêmes n’ont pas identifiées ». Un cadre motivant pour beaucoup, comme Siva qui en a bénéficié : « J’ai travaillé l’élocution, l’argumentation, la confiance en soi, etc. J’ai pu apprendre les techniques de recherche d’emploi, simuler des entretiens mais aussi m’affirmer. Je n’avais personne dans mon entourage qui aurait pu m’aider à faire tout ça. Et, même si ça semble un peu cliché, je dirais que ça peut sauver des avenirs. »

Plus d'info :

www.asso-rebonds.com

Rebonds! est également présent sur d’autres territoires d’Occitanie (Gers, Hérault, etc.).

 

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