ENQUÊTE - Ecole : l'urgence d'innover
Interdisciplinarité, approche individualisée de l’élève et développement des outils numériques : la réforme du collège de 2016 prétend introduire plusieurs innovations pédagogiques dans les établissements. De leur côté, les enseignants sont de plus en plus incités par leur hiérarchie à expérimenter de nouvelles méthodes d’apprentissage. Mais les plus motivés se heurtent encore à de nombreuses difficultés… Comment faire bouger l’école ?


Faire entrer les pédagogies « alternatives » dans le public
Montessori, Steiner, Freinet : autant de pédagogies dites « alternatives » à l'enseignement conventionnel. Apparues entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle, « ces pédagogies dites "nouvelles" ont en commun de prendre en compte l'enfant dans sa globalité, dans sa vie émotionnelle et dans sa fragilité. Elles s'opposent à l'école classique autoritaire et austère », commente Henri-Louis Go, professeur en sciences de l'éducation à l'Université de Nancy, spécialiste des pédagogies alternatives. « Bienveillance », « autonomie » et « coopération » sont les maîtres-mots de Freinet, Montessori et Steiner. « Ces méthodes permettent de lutter contre la reproduction des inégalités en proposant aux enfants de travailler à leur rythme », précise le chercheur. Pourtant, elles demeurent marginales au sein de l’Éducation nationale. La pédagogie Freinet, née dans les années 1930 sous l'impulsion d'un instituteur de Vence (06), Célestin Freinet, ne concerne que l'enseignement public. Mais on compte à peine 25 établissements fonctionnant complètement selon ce modèle en France. En revanche, les écoles Steiner et Montessori n'existent que dans le privé, même si des enseignants (notamment de maternelle) s'inspirent parfois de cette dernière dans leurs travaux. « Depuis la loi d'orientation Jospin de 1989, l’Éducation nationale a intégré des apports de ces pédagogies. Mais nous faisons toujours face à des problèmes budgétaires pour aller plus loin. Par ailleurs, certains enseignants ne sont pas disposés à transformer leurs pratiques », indique Henri-Louis Go.
Freinet au collège-lycée
Ça n'est pas le cas de l'équipe du collège-lycée expérimental Freinet (CLEF) de La Ciotat (13). Créé en 2008, l'établissement est le seul à appliquer la pédagogie Freinet dans le secondaire, de la 6ème à la terminale. Au collège, l'enseignement y est organisé en « trisaine ». C'est-à-dire « selon un cycle de trois semaines durant lequel l'élève s'engage à réaliser une production de son choix dans la discipline concernée (exposé, recherche…) », détaille Alexandre Beautru, le principal. Dans un objectif de partage des connaissances, les meilleurs travaux sont présentés à l'ensemble des élèves. En plus des classiques cours disciplinaires, des groupes de travail individualisé en niveaux mélangés sont mis en place et des réunions de « coopérative » incitent les jeunes à réfléchir ensemble à ce qui se passe dans la classe (difficultés, projets communs…). Alexandre Beautru l'affirme, « les élèves fâchés avec l'école ont repris goût à l'apprentissage ». Il constate aussi que « l'évaluation et la pédagogie différenciée (adaptées au profil de l'élève) qui figurent dans la dernière réforme du collège s'inspirent de ce que nous faisons en Freinet ».
Autonomie pour les tout-petits
Toujours dans les Bouches-du-Rhône, Diane Combes, professeure de l'école maternelle d'Eguilles, s'inspire, quant à elle, de la méthode Montessori depuis deux ans. « J'utilise un outil tiré d'un ouvrage appelé La leçon de professeur hiboux. Dans chaque situation où il faut faire un choix, je demande aux enfants de s'asseoir, de fermer leurs yeux et de sentir dans leur cœur – donc dans leur conscience – ce qu'ils doivent faire. » Un moyen de les responsabiliser dans la prise de décision. L'instit a également acquis du matériel spécifique à la méthode Montessori : paires de cubes sonores, dominos tactiles, lettres rugueuses pour apprendre à tracer les lettres… Autant d'éléments permettant d'autonomiser les enfants dans leur apprentissage.
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Quand les profs transmettent autrement
Bienveillance, entraide, adaptation aux profils spécifiques des jeunes : un autre rapport à la pédagogie est appliqué par de nombreux établissements scolaires publics. Focus sur des exemples concrets.
De Freinet au numérique
L'innovation repose beaucoup sur les épaules d'enseignants passionnés. C'est le cas de Nadia Fontaine et de Charlène Ferrand, respectivement directrice et professeure de l'école primaire Victor Chapellière de Rimou, en Ille-et-Vilaine. L'autonomisation des 43 élèves est favorisée via des principes de la pédagogie Freinet adaptés au numérique : quizz, activités ludiques sur ordinateurs, cours accessibles en ligne… Les enfants enregistrent les dictés sur tablette pour pouvoir les réécouter à leur guise et progresser à leur rythme. Leur mise en concurrence est atténuée par une évaluation « avec un système de ceintures de couleur, comme au judo », décrit Nadia Fontaine. « Les élèves ont fait beaucoup de progrès. Les plus faibles ont une moyenne de 15/20 lorsqu'ils arrivent en 6ème », assure-t-elle. Efficace donc.
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www.ecole-victor-chapelliere-rimou.ac-rennes.fr
Photos :
École Rimou 2 - Les élèves de l'école Victor Chapellière, à Rimou (35), sont incités à s'entraider. © DR
École Rimou jardin : Les enfants de l'école Victor Chapellière, à Rimou (35), font pousser des légumes dans leur cour de récréation. © DR
École de Rimou animal : Les enfants de l'école Victor Chapellière, à Rimou (35), élèvent des animaux dans leur classe. © DR
Confiance et estime de soi au collège
« Pour être un bon élève, il faut se sentir bien », lance Agnès Hemon, principale du collège des Gayeulles, à Rennes. Cet établissement de 520 élèves a fait du bien-être psychique et social sa priorité. L'équipe pédagogique a mis en place une série d'actions axées sur la bienveillance, l'entraide et la citoyenneté. Des ateliers menés en effectifs réduits 2 à 3 heures par semaine, selon les niveaux, permettent d’appréhender les matières différemment : débats argumentés, sketchs en anglais, théâtre, travail sur l'estime de soi… Le collège propose aussi un dispositif d'accompagnement personnalisé pour l'apprentissage de la lecture pour des élèves de 6ème en difficulté. Des 6èmes qui peuvent être aidés par des volontaires de 3èmes lorsqu'ils arrivent dans l'établissement. Le collège est aussi un des seuls de l'académie à fonctionner avec un système d’évaluation sans notes et individualisé dans toutes les classes. Agnès Hemon assure que « les tensions qui pouvaient exister se sont apaisées » et que « le nombre de sanctions est en baisse ».
Plus d'infos :
www.college-les-gayeulles-rennes.ac-rennes.fr
Coopérer entre élèves
Le collège Joseph Sébastien Pons, à Perpignan, n'a pas attendu la réforme de 2016 pour favoriser la coopération entre élèves. Il a entamé depuis 2011 un travail en ce sens en classe de 6ème. L'établissement accueille des jeunes en difficulté. « Notre souci principal était de donner le goût d'apprendre à des individus parfois très perturbés », témoigne Claire Ferrandiz, principale. Des heures sont dédiées à l’entraide : des binômes de volontaires sont constitués. Un conseil d’élèves a lieu chaque semaine. Un ordre du jour est affiché et les jeunes décident de thématiques qu'ils vont aborder durant la semaine. Ces dispositifs sont complétés par une évaluation « positive » et un encadrement renforcé par les professeurs principaux. Le tout est évalué par une équipe de recherche en sciences de l'éducation. L'expérience a valu au collège de recevoir le prix de l'innovation 2015 de la part du ministère de l’Éducation nationale ainsi qu'une subvention de la Fondation de France.
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Lutter contre l'esprit de compétition
Cette entraide, le lycée Lamour de Nîmes (30) la prolonge en seconde, dans le cadre d'une classe « innovante » de 36 élèves. « Nous luttons contre l'esprit de compétion qui aboutit à un tri entre ceux qui y arrivent et ceux qui n'y arrivent pas », défend Maya Amer-Moussa, professeure principale de la classe. Comment ? En essayant de « construire un collectif », poursuit l’enseignante d'Histoire-Géographie. Les jeunes bénéficient d'une salle de cours commune qu'ils s'approprient. Et un système de « cours solidaire » est mis en place : un élève en difficulté sur une notion ou un exercice prend appuie sur un de ses camarades. Les deux s'isolent et celui qui a compris explique à l'autre. « C'est très efficace car devant la classe, les élèves n'osent pas toujours réitérer leur demande s'ils n'ont pas compris », indique Maya Amer-Moussa. Une démarche qui s'accompagne d'un tutorat renforcé (un professeur suit en moyenne 5 élèves sur l'année) et d'une évaluation par compétence. Bienveillant.
www.lyc-lamour-nimes.ac-montpellier.fr/le-lycee-0
Photos : Collège Pons 2, 3 : Le collège Pons, à Perpignan, favorise le travail collectif et la coopération entre élèves et enseignants. © Collège Pons
Un lycée pour rendre son projet « possible »
Ils étaient 110 000 en 2014, 107 000 en 2015 et 98 000 pour la période 2015-2016. Le nombre des 18-24 ans quittant le système scolaire est en baisse, selon les derniers chiffres du ministère de l’Éducation nationale. Un progrès que la ministre attribue, en partie, à son soutien à la création de « micro-lycées ». De 12 en 2012, ils sont désormais 42, répartis dans toute la France. Parmi eux, le Lycée des possibles créé à Toulon en 2014. « Nous accueillons une vingtaine de jeunes âgés de 18 à 25 ans désirant se rescolariser », explique Christian Astolfi, conseiller principal d’éducation. Pendant un an, les ex-décrocheurs préparent un bac S, ES ou L, passeport pour les études supérieures. « Il s'agit d'abord de redonner confiance à des jeunes qui ont rencontré des problèmes avec l'école », indique le CPE. « Nous leur faisons confiance. S'ils sont en retard, on leur envoie un texto, s'ils ne rendent pas leur devoir à temps, on leur laisse un délai supplémentaire », précise Hélène Panzani, professeure de français. Des heures de « travail personnel accompagné » permettent à un enseignant d'aider un à trois élèves dans leurs apprentissages. Et l'évaluation est adaptée au profil de chacun. Cécile, 19 ans, avait arrêté l'école durant 3 ans. Elle veut désormais passer le bac pour aller en fac de psycho. Elle témoigne : « Ici, on se rend compte de nos difficultés, les profs sont à l'écoute. Ça n'est plus une souffrance d'aller en cours. Nous sommes considérés comme des adultes responsables. » Maëlys, 20 ans, souhaite l'année prochaine faire une licence trilingue, à Aix. « Avant je n'arrivais pas à suivre les cours. Ici, l'approche est personnalisée. Ça m'a réconcilié avec le cadre scolaire », assure la jeune femme. 80 % des membres des promotions antérieures ont obtenu leur bac. Félicitations !
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