[THÉMA] Agriculture : apprendre à « cultiver la pluie ! »

Publié le mer 09/08/2023 - 10:00

Par Quentin Zinzius

Si l’agriculture a, de façon indéniable, besoin d’eau pour assurer ses productions, certaines pratiques permettent tout de même de limiter le recours à l’irrigation. Leur credo ? Travailler avec la nature pour protéger et stocker l’eau là où elle est nécessaire : dans les sols. 

 

Les experts n’en démordent pas : « Le meilleur endroit pour stocker l’eau, c’est dans le sol. » Un principe qui s’applique évidemment — surtout ! — à l’agriculture. Rappelons d’ailleurs que près de 50 % du territoire français est utilisé à des fins agricoles ! Autant de surfaces qu’il convient donc, dans un contexte de changements climatiques, de rendre les moins dépendantes possibles aux apports d’eau. Et plutôt que « d’augmenter artificiellement la quantité d’eau disponible pour les plantes en la pompant dans les milieux naturels, explique Guy Le Hénaff, agronome retraité du ministère de l’Agriculture, nous devons plutôt essayer de ralentir l’eau dans nos champs, afin d’améliorer son infiltration dans les sols », et donc lui donner la possibilité d’être utilisée par les cultures.

Une question de pratiques

Pour ce faire, l’agronome a plusieurs solutions. Enfin, parlons plutôt de méthodes et de pratiques issues de l’agroécologie, « car elles se choisissent et s’adaptent en fonction de la situation géographique, du type de cultures... de la réalité du terrain, pour dire simplement ! », précise Guy Le Hénaff. Parmi ces grands principes, une limitation du travail du sol est primordiale, tant en quantité qu’en profondeur. « Cela permet au sol de se reconstruire, de refaire « de la motte », structure typique d’un sol en bonne santé, décrit l’expert. Avoir des prairies où le tracteur ne passe pas trop souvent pour ne pas tasser les sols, cela améliore d’autant sa perméabilité. » Par exemple, sur la ferme agroécologique de Nicolas Verzotti, dans le Vaucluse, seuls un petit motoculteur et une sarcleuse sillonnent les parcelles. De même, la présence permanente d’herbe, d’un couvert végétal et même de débris végétaux (de récolte notamment) empêchent eux aussi l’eau de s’écouler trop vite en surface. « Cette rugosité végétale est importante car elle participe aussi à augmenter le taux de matière organique dans le sol, détaille Guy Le Hénaff. On peut ainsi gagner 5 à 10 mm de stockage d’eau de pluie en enrichissant le sol en matière organique. » Soit, sur une parcelle d’un hectare, l’équivalent de plusieurs milliers de litres d’eau. « En somme, c’est une façon de cultiver la pluie », résume l’agronome. Mais ce n’est pas tout. « L’agroécologie, c’est à la fois des connaissances et des pratiques sur ce qu’il se passe dans les champs, mais c’est aussi entre et autour des champs », reprend l’expert.

Infrastructures agroécologiques

Parmi ces pratiques « extérieures » à la culture, se trouvent notamment l’agencement des parcelles et cultures. Et là encore, il n’y a rien à inventer. « Il existe un contexte historique propre à chaque région, rappelle l’agronome. Pour beaucoup, il s’agissait de haies et bocages entre les champs. » Sur la ferme de Nicolas Verzotti, où le mistral souffle 100 jours par an, les parcelles sont ainsi séparées par des haies et des arbres fruitiers, « qui limitent les effets du vent, mais aussi du gel et du soleil », explique le maraîcher. « Mais dans d’autres régions, comme en Lorraine, les champs étaient agencés différemment, en lanières ou en mosaïque de parcelles », ajoute l’agronome. Spécificité qui a aujourd’hui disparu, au profit d’importantes monocultures céréalières. « Dans ces cas-là, il ne faut pas forcément remettre une haie, mais on peut commencer par couper la parcelle en plusieurs cultures distinctes. » En effet, chaque culture ayant des interactions différentes avec le sol, la surface du champ n’est donc plus uniforme et favorise l’infiltration des eaux de pluie. « Sans oublier les talus, haies, prairies humides en fond de vallées qui agissent comme de véritables garde-fous en retenant l’eau et limitant les ruissellements, explique l’agronome, à condition qu’il n’y ait pas des fossés partout ! » Car en redirigeant l’eau directement vers les cours d’eau, ils éloignent l’eau des sols, où l’on voudrait la stocker. « Il faut donc penser l’agriculture non seulement à l’échelle du champ, mais aussi du paysage tout entier », conclut l’agronome.


Plus d'infos :

Guide de la Confédération paysanne sur la gestion quantitative de l’eau en agriculture :https://www.confederationpaysanne.fr/sites/1/mots_cles/documents/230213_guide%20eau_CONF_VF1.pdf

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