[THEMA] Quand la lumière nuit !

Publié le mer 24/08/2022 - 12:00

par Quentin Zinzius

Facteur de déclin de la biodiversité, la pollution lumineuse est parfois un dossier sensible en ville. Car au-delà d’éclairer nos voiries, les lumières entretiennent un sentiment de sécurité pour les habitants la nuit. Alors comment allier les besoins de la biodiversité, à la sécurité des habitants ? Explications.

Relativement peu connue du grand public1, la pollution lumineuse affecte 85 % du territoire métropolitain à un niveau élevé, selon l’Observatoire national de la biodiversité (ONB). Et elle a de graves conséquences sur la biodiversité : dérèglement du cycle naturel « jour-nuit », éblouissements, entrave aux migrations, fragmentation des habitats… Alors pour limiter les dégâts, se développent depuis plusieurs années des projets de « trames noires », qui consistent à limiter l’éclairage dans certaines zones propices à la biodiversité. Des projets qui se heurtent malgré tout à une autre réalité : « éteindre les lumières, c’est exposer les habitants à un sentiment d’insécurité », pointe Virginie Nicolas, présidente de l’association des concepteurs lumière et éclairagistes (ACE).

Un enjeu public

Un sujet d’autant plus complexe, « qu’il existe plusieurs types d’insécurité : celle subie, et celle ressentie », complète Baptiste Faure, ingénieur spécialisé sur les continuités écologiques pour le bureau d’étude Biotope. Ainsi, si neuf personnes sur dix déclarent que l’éclairage public est un enjeu central de sécurité, selon une récente étude britannique2, l’absence d’éclairage des rues limiterait en fait les cambriolages ! Un décalage d’autant plus frappant que l’éclairage est parfois lui-même source d’insécurité. « Les lumières fortes sont souvent synonymes de zones à risque dans l’imaginaire collectif », relèvent les deux spécialistes, en plus d’être sources d’un très fort dérangement pour la biodiversité nocturne. Tout l’enjeu est donc de concilier les usages, pour lier protection de la biodiversité et sentiment de sécurité des habitants. « Car il ne faut pas choisir entre l’un ou l’autre : il faut faire les deux ! », s’accordent à dire les deux spécialistes. Dans ce processus, la concertation avec les habitants devient alors une étape indispensable pour adapter l’éclairage à leur besoin, tout en les sensibilisant aux questions de biodiversité. « Si on impose l’extinction des éclairages, on s’expose à un risque de rejet », reprend Virginie Nicolas.

Des solutions lumineuses

Mais les projets de trames noires ne se limitent pas à l’extinction pure et simple de toutes les lumières. Pour l’éclairagiste, la priorité est de mettre au point des solutions adaptatives. « On peut tester une solution sur un secteur donné, et l’adapter suivant les retours des habitants », décrit-elle. Certaines sources lumineuses peuvent néanmoins être éliminées, sans exposer les habitants au sentiment d’insécurité : « Les zones d’activités et centres commerciaux par exemple, détaille Baptiste Faure, qui sont des zones peu fréquentées la nuit, et sources d’une importante pollution lumineuse ». Des éclairages qui causent d’importants dégâts aux populations d’insectes, attirés par la lumière, qui meurent d’épuisement ou brûlés par la chaleur des lampes3. Quant aux zones plus largement fréquentées, elles sont souvent les plus problématiques. « Il n’y a malheureusement pas de solution miracle, reprend l’ingénieur, mais une baisse de la puissance d’éclairage en fonction de la temporalité semble être un bon compromis ». Un conseil confirmé par Virginie Nicolas : « Certaines agglomérations passent le cap des 50, voire 70 % de baisse de puissance, sans hausse du sentiment d’insécurité. Cela n’aurait même pas été imaginable il y a 5 ans ! », s’enthousiasme-t-elle. Reste que cette solution implique la possibilité de moduler l’éclairage, « souvent associé à une grosse dépense pour les municipalités », pointe Baptiste Faure, dont les installations sont souvent inadaptées. Quant aux bienfaits sur la biodiversité, ils restent pour l’heure difficilement mesurables, en raison « d’un manque de moyens et de suivi », se désole l’éclairagiste. La lumière n’est donc pas encore totalement faite sur ce dossier...

+ D’INFOS

Note de bas de page :

1 Questionnaire sur la trame noire, « Trame noire, journée d’échanges technique », Biotope, 2019.

2 Étude « Absence of Street Lighting May Prevent Vehicle Crime », Thompson et al., 2022.

3« La biodiversité menacée par la pollution lumineuse », Office Français de la Biodiversité.

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