[THÉMA] Fuites du réseau, quand l’argent tombe à l’eau

Publié le ven 28/07/2023 - 10:00

Par Manon Le Dantec

Un chiffre qui inquiète : 20% de l’eau potable est perdue dans nos réseaux de distribution en France. La politique actuelle ambitionne une réparation des réseaux d’eau à tout prix, occultant ainsi la question de la sobriété de la consommation.

 

Sous nos pieds, le vieux réseau de distribution d’eau potable édifié au XIXe siècle et long de 850 000 km, semble s’épuiser. Un litre d’eau sur 5 s’y « perd ». Face à une ressource qui se raréfie, la chasse aux fuites est ouverte. Mais au-delà du bon sens, réduire les fuites est-ce vraiment la solution miracle ?

Une solution miracle ?

La proposition de réparation des réseaux par le gouvernement n’est pas nouvelle. Déjà, la loi « Grenelle II » de 2009, dans son chapitre « Eau », incite « les collectivités à évaluer les fuites des réseaux et programmer le cas échéant les travaux de réparation nécessaires. » Aujourd’hui, le « plan Eau » propose encore de réparer le réseau pour 180 millions d’euros par an, sans date limite d’horizon. En réalité, ce projet n’a pas de fin puisqu’à mesure que le réseau est restauré dans certaines zones, il s’abîme dans d’autres. Selon la FNTP (Fédération nationale des Travaux publics), « avec le taux moyen de renouvellement actuel des réseaux d’eau potable (0,58 %), il faudrait 172 ans pour le renouveler entièrement ». Un projet pharaonique, qui ne demande pas moins de « 150 000 euros pour rénover 1 km », selon Marillys Macé, directrice générale du Centre d’information sur l’eau.

Qui de l’eau ou du magot

Et s’il y a bien une perte dans le labyrinthe des canalisations, elle concerne d’abord l’énergie et le coût du traitement de la ressource. Dans Eau et énergie, un couple indissociable, Jean François Astolfi et Xavier Ursat indiquent que la production d’eau potable consomme entre 0,25 et 4 kWh par m3. C’est pourquoi, selon l’Observatoire des services d’eau et d’assainissement : « Réduire les fuites permet d’éviter le gaspillage de l’énergie et de consommer inutilement des services d’eau et d’assainissement. » Parce que le problème est aussi budgétaire. « Cette eau a été captée et traitée et cela a un coût », tacle Marillys Macé. Selon France Eau, au 1er janvier 2019, le coût de production et de distribution moyen de l’eau potable s’élevait à 2,07 euros par m3. Avec des fuites évaluées à 1 milliard de m3 d’eau par an, la perte financière se monte, quant à elle, à plus de 2 milliards d’euros ! De quoi justifier, selon le gouvernement, l’investissement public prévu à cet effet pour aller directement dans la poche des privés.

Changement de tactique

En outre, « toute l’eau qui s’échappe des tuyaux n’est pas définitivement perdue. Elle fuit généralement dans le sol et ré-infiltre les nappes phréatiques », précise encore la spécialiste. Or « la permanence d’une nappe souterraine reflète un équilibre entre ses entrées d’eau et ses sorties », avertit Ghislain de Marsily, universitaire spécialiste de l’hydrologie (Annales des mines, 2017). Mais ces nappes sont généralement exploitées de manière excessive par rapport à leur recharge naturelle, « au risque d’entraîner à terme le tarissement total des nappes les plus vulnérables », ajoute Ghislain. Des entrées d’eau qui permettent donc une continuité de ces milieux aquifères. Mais fuite ou pas fuite, il est temps de passer d’une politique d’économie financière à une politique de sobriété de la consommation de l’eau.

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