[THÉMA] Eau : une vision court-termiste

Publié le ven 07/07/2023 - 10:00

Par Magali Chouvion

Présenté comme une modernisation sans précédent de notre politique de l’eau, le Plan Eau du gouvernement possède des objectifs à court, moyen et long termes. Si ces mesures ont le mérite de couvrir de très nombreux champs, se pose la question des moyens sur lesquels elles pourront s’appuyer. Au risque d’être perçues, par grand nombre de spécialistes, comme une coquille vide.

 

Lors de sa présentation le 30 mars dernier, le président Macron a fixé une ambition à son Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau : 10 % d’économie d’eau dans tous les secteurs d’ici à 2030 et des efforts « par tous ». Il comprend 53 mesures concrètes, qui « répondent aux grands enjeux de sobriété, disponibilité et qualité, et de réponse face aux crises de sécheresse ». Rappelons qu’en 2019, lors des Assises de l’eau, le gouvernement s’était déjà engagé à diminuer les prélèvements dans les milieux, les nappes, les lacs et les rivières de 10 % d’ici à 2025 et de 25 % d’ici à 2035. Ce nouveau Plan, dévoilé en grande pompe, est donc moins ambitieux que le précédent.

Les ménages, premières cibles de la sobriété

« Ce n'est pas un plan de sobriété pour l'eau mais une annonce qui maintient l'ébriété dans la consommation de l'eau dans notre pays », a estimé l'eurodéputé Europe Ecologie-Les Verts (EELV) Yannick Jadot, dès le lendemain de son annonce. « C'est affligeant ! On va faire avec l'eau ce qu'on a fait avec l'énergie l'hiver dernier, c'est-à-dire qu'on met beaucoup la pression sur les Françaises et les Français », a-t-il expliqué. Derrière ces critiques, une lame de fond : le gouvernement s’attaque aux consommateurs particuliers au lieu de prendre le taureau par les cornes et de revoir notre politique agricole, responsable de 48 % des consommations d’eau en 2010, contre 24 % pour la consommation d’eau potable.

Première mesure phare donc — qui se veut « juste » — pour diminuer la consommation d’eau potable : une « tarification progressive et responsable » de l’eau qui puisse être « généralisée en France ». « Les premiers mètres cubes sont facturés à un prix modeste, proche du prix coûtant » et « ensuite au-delà d’un certain niveau, le prix du mètre cube sera plus élevé, et c’est normal pour les consommations que j’appellerais de confort, et pour inciter à la sobriété », a-t-il expliqué. Cette tarification progressive, soutenue par la grande majorité des écolos, est déjà testée par plusieurs collectivités comme Dunkerque, ville pionnière dans ce domaine. Auparavant, le m³ d’eau potable consommé était facturé un peu au-dessus de 1 euro, quel que soit le volume consommé. Avec la tarification progressive, le prix est tombé à 80 centimes d’euros pour les 75 premiers m3, puis passe à 1,50 euro entre 75 et 200 m3, et grimpe à 2 euros au-delà. D’autres collectivités s’y sont mises, comme Nice, Rennes, Niort, Rouen, Annecy ou encore la métropole de Montpellier où les quinze premiers m³ sont même gratuits.

Pour quel résultat ? Les consommations d’eau baissent entre 8 et 10 % pour les ménages, et sans augmentation tarifaire. Une bonne solution donc, mais qui demandera des moyens pour que le gouvernement parvienne à gérer les « biais techniques » liés à une facturation importante dans les logements collectifs (avec un seul compteur) ou la prise en compte du nombre d’habitants dans le logement.

Le président entend aussi développer des outils technologiques au service d’une gestion « économe » de l’eau pour les particuliers. Sur le modèle de l’instrument mis en place pour réduire la consommation d’électricité pendant l’hiver, un « Écowatt de l’eau » sera mis en œuvre. Disponible dès l’été, « pour que chaque Français, chaque agriculteur, chaque maire, chaque chef d’entreprise puisse connaître les gestes adaptés de manière très transparente et l’évolution de la situation » de l’eau, a précisé le président.

Des améliorations sur les réseaux

Autre amélioration technique annoncée : la réparation des fuites du réseau d’eau potable. Estimées à 20 % en moyenne en France, le gouvernement veut mobiliser, dès 2024, 180 millions d’euros par an pour résorber « en urgence » les fuites d’eau dans les points les plus sensibles. « C’est une situation aberrante qu’on doit corriger », a estimé le président, jugeant que cela est « le fruit d’un sous-investissement historique. » Aujourd’hui, le taux de renouvellement des tuyauteries des eaux françaises est de 0,61 %. Il faudrait ainsi plus de 150 ans pour renouveler tout le réseau, selonReporterre. Alors certes, ces réparations permettront in fine d’économiser de l’eau potable — c’est-à-dire sur laquelle on a investi en pompage et traitement —, mais cette eau n’est pas perdue puisqu’elle retourne au milieu, donc dans les nappes pour être de nouveau pompée et potabilisée. Bref, une économie financière plutôt qu’une économie de consommation d’eau à proprement parler.

L’eau prélevée et restituée au milieu naturel, c’est aussi celle qui sort des stations d’épuration. Or le président entend maintenant la réutiliser pour les besoins de l’agriculture. Objectif : 10 % de réutilisation d’eaux usées d’ici 2030, a annoncé Emmanuel Macron, quand moins de 1 % de ces eaux sont aujourd’hui réutilisées. « Nous avons décidé de lancer 1 000 projets en cinq ans pour recycler et réutiliser l’eau » et « in fine, nous voulons réutiliser 300 millions de mètres cubes, soit trois piscines olympiques par commune », a donné en exemple le président. Réutiliser l’eau à la sortie des stations d’épuration pour l’agriculture semble une solution évidente. L’Espagne, souvent portée aux nues pour sa politique Eau par le gouvernement, réutilise ainsi 14 % de ses eaux usées. Et plus de 50 % pour le Mexique, l’Australie ou Israël. Pourtant, cette solution n’est pas non plus la panacée. Car dévier cette eau pour l’irrigation agricole nécessite de nouveaux réseaux, de l’énergie pour la transporter et souvent des traitements complémentaires. Sans compter que cette eau ne servira plus, de fait, à la restauration des étiages des cours d’eau en été.

Cap maintenu sur le nucléaire

Autre point abordé par le président, et pas des moindres : celui des centrales nucléaires, responsables de 48 % des prélèvements d’eau. Il s’agit cette fois d’un plan d'investissement — encore non-chiffré — pour adapter au réchauffement climatique les centrales nucléaires qui vont devoir « fonctionner beaucoup plus en circuit fermé », a-t-il déclaré, pour se refroidir sans réchauffer les fleuves [l’an passé, une dérogation de l’ASN a autorisé des déversements au-delà de la limite des 28 °C pour un nouveau seuil fixé à 30 °C, NDLR]. « Emmanuel Macron nous a inventé encore une nouvelle technologie : des centrales de 40 ans qui vont avoir de l'eau en circuit fermé ? », a ironisé Yannick Jadot. Car pour le moment, les vieilles centrales fonctionnent en circuit « ouvert », ce qui leur permet de ne représenter « que » 12 % de la consommation d’eau en France. Si elles venaient à fonctionner en circuit fermé (ce qui reste à définir techniquement), leur niveau de consommation d’eau augmenterait considérablement.

Agriculture, toujours pas de changement de modèle

Enfin, quelques jours après la violente manifestation contre la méga-bassine de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), Emmanuel Macron a validé l'utilité de ce type de solution de stockage, tout en disant vouloir conditionner leur utilisation à des pratiques d'économies d'eau et de pesticides. Du côté du ministère de l’Agriculture, on approuve sans réserve cette stratégie, associée à d’autres solutions technologiques : « L’agriculture aura toujours besoin d’eau, il faut donc penser la sobriété différemment, et travailler en priorité à ce que la ressource mobilisée contribue effectivement au besoin de la plante, en minimisant les pertes », assure Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture. Autrement dit, favoriser l’irrigation « raisonnée » qui permet un arrosage plus précis des cultures mais demande de l’électricité et de la maintenance. En revanche, peu d’ambition sur le choix des cultures, sur la piètre qualité des eaux françaises, sur l’abandon des zones de captage, sur le démembrement et l’assèchement des zones humides...

Pourtant, d’autres voix proposent des alternatives, tels l’économiste Alexandre Mayol ou France Nature Environnement, qui déplorent notamment le fait que la tarification progressive ne soit pas appliquée à l’agriculture. « Ce serait pourtant un levier intéressant pour inciter à plus de sobriété notamment chez les agriculteurs irriguants, qui profitent de tarifs très faibles aujourd’hui sur l’eau », regrette Alexis Guilpart, coordinateur du réseau « Eau » de FNE. L’agro-écologie est aussi portée aux nues par les écologistes qui voient en cette technique, entre autres vertus, une restauration du cycle naturel et de la qualité de l’eau. Autant d’arguments qui font conclure l’écologiste Yannick Jadot : « Nous participons en permanence à travers nos impôts à une agriculture et un système d’irrigation totalement incompatibles avec le climat. » Encore.

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