[THÉMA] Couper l’eau au robinet, dernier recours avant la panne

Publié le ven 04/08/2023 - 10:00

Par Anna Sardin

L’été dernier, comme cet été, plusieurs maires prennent la même décision radicale : couper l’approvisionnement au robinet de leurs habitants, pour tenter de préserver le peu d’eau qu’il leur reste.

 

À Molières-sur-Cèze, une petite commune située au nord du Gard, la situation a frôlé la catastrophe durant l’été 2022 : les pompes ne tiraient plus assez d’eau pour couvrir les besoins des habitants. En cause, un niveau trop bas de la nappe phréatique, seule ressource de la localité, qui a provoqué une mise en sécurité du dispositif de captage. « Les pompes s’arrêtaient en permanence, les agents de la ville devaient les relancer toutes les deux heures, raconte la maire, Florence Bouis. La situation était extrêmement préjudiciable à la fois pour eux, le matériel, et bien sûr les habitants ».

« Il a bien fallu prendre une décision »

Au moment où l’ensemble de la France subit une sécheresse historique, « il a bien fallu prendre une décision », regrette l’élue. Pour la toute première fois, elle a dû couper directement au château d’eau afin d’éviter le pic de consommation de fin de journée. Plus d’eau au robinet à partir de 18 heures et jusqu’au lendemain, « pour que les réserves puissent reprendre leur souffle ». Une situation qui n’a heureusement duré que quatre jours consécutifs. Un seuil(1) déjà posé a ensuite pu être rehaussé pour augmenter localement le niveau de l’eau, permettant aux pompes de fonctionner jusqu’au terme de l’été.

Cette situation n’est pas isolée : la même décision a été prise par Michel-Charles Riera, le maire d’Arboys-en-Bugey, une petite commune de l’Ain. Alors que la pénurie se fait sentir et pour éviter d’avoir recours aux livraisons par camion-citerne, il décide de couper l’eau au robinet huit heures par jour l’été dernier. L’affaire se répète à l’envi pour toujours plus de communes, comme au Bouchet-Saint-Nicolas, en Haute-Loire, ou encore à Ollières et Bargemon, deux villages du Var qui ont vu la qualité de leur eau faire défaut. Les réserves quasiment à sec ne sont alors plus en mesure de fournir de l’eau claire : insuffisamment diluée, l’eau prélevée par les pompes est boueuse, mélangée au sable et aux sédiments du fond des nappes.

Dans l’immédiat, pas de plan B

Les 1 240 habitants de Molières-sur-Cèze, quatre ou cinq fois plus nombreux l’été venu, connaissent pourtant une autre source d’eau potable. Mais « elle n’est pas officiellement potable », et la démarche de validation par l’agence régionale de santé (ARS) prend en moyenne trois ans. Alors cet été, Florence Bouis remettra le seuil en place. « Chaque année, les restrictions sont annoncées plus tôt. Grâce à la régulation du barrage, nous avons toujours eu de l’eau. Mais jusqu’à quand ? », se préoccupe l’élue. Selon elle, l’inquiétude monte aussi dans la population : « Les gens ont continué à beaucoup en parler, ils se font du souci. La Cèze traverse le village, et tout le monde peut constater que son niveau est très faible. Aujourd’hui, plus question de s’y baigner, il y a à peine assez d’eau pour se tremper les pieds. »

1 - Barrière au fond d’un cours d’eau permettant de modifier localement sa profondeur. Ici, elle est artificielle pour permettre le pompage.

Se regrouper pour « ne plus courir »

« Les communes en difficulté durant l’été 2022 ont souvent été les plus isolées, ou celles dépendantes d’une seule source d’eau potable », rapporte Laurent Roy, président de l’agence de l’eau Méditerranée-Rhône-Corse. L’établissement public incite au regroupement des communes « pour faire face à la raréfaction de la ressource en eau, en particulier sur le pourtour méditerranéen, où la pluviométrie moyenne est à la baisse ». À cela, deux avantages : la mutualisation des moyens techniques et des ressources, ainsi que la possibilité de répondre de manière concertée et solidaire face aux pénuries à venir. Une anticipation de la Loi NOTRe (2015) rend obligatoire la délégation de la gestion de l’eau à un EPCI (établissement public de coopération intercommunale) d’ici à 2026. Malgré les difficultés techniques (liées à la géographie du territoire) et politiques d’un tel regroupement, c’est selon Laurent Roy une nécessité « pour ne plus avoir l’impression de courir sur le tapis roulant du changement climatique ».


Plus d’infos :

- Le site de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse : www.eaurmc.fr

- Le rapport du MedEC, le groupe d’experts méditerranéens sur les changements climatiques et environnementaux : www.medecc.org

- Les données sur l’eau, sa gestion, sa potabilité, par l’ARS Occitanie (dont dépend Molières-Sur-Cèze) : www.occitanie.ars.sante.fr
 

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