[THÉMA] Concilier les usages, mission délicate mais pas impossible

Publié le mer 16/08/2023 - 10:00

Par Lucas Martin-Brodzicki

Le Grand Parc Miribel Jonage, lieu de rencontre entre le Rhône et l’Ain, offre une illustration concrète des réussites et des difficultés d’une gestion globale de l’eau. Le site de 2 200 hectares est une réserve d’eau potable, une protection face aux crues, une réserve de biodiversité et un espace de loisirs.

 

Le regard dirigé vers la plage, Christophe Jarraud tente un pronostic : « Peu de baigneurs savent qu’ils nagent dans une réserve d’eau potable. » Le directeur des services techniques de la société publique locale Segapal, gestionnaire opérationnel du Grand Parc Miribel Jonage, a la lourde tâche de manœuvrer au quotidien cet espace de 2 200 hectares à une dizaine de kilomètres du centre de Lyon. Coloré par le bleu de ses lacs artificiels et le vert de ses pelouses, champs et forêts, le parc est aujourd’hui un milieu anthropisé. Même si « ce site est exceptionnel, car il abrite encore de rares milieux témoins de ce qu’était le fleuve naturel avant son aménagement », note l’Inventaire national du patrimoine naturel. France Nature Environnement (FNE) y organise régulièrement des observations.

Un parc à usages multiples

Mais le Grand Parc Miribel Jonage n’accueille pas que des naturalistes. Quatre millions de visiteurs s’y pressent chaque année : pêcheurs, baigneurs, sportifs… « La fréquentation de masse peut être destructrice pour un milieu pareil. Avoir des espaces d’accueil du public concentrés nous permet de concilier des usages hétérogènes, voire antinomiques », argumente Christophe Jarraud, conscient de la complexité de la tâche. Le Grand Parc est tout à la fois une réserve d’eau potable, une protection face aux crues du Rhône, un patrimoine naturel exceptionnel et un lieu de loisirs. Mais l’urbanisation croissante, le besoin d’accès à la nature amplifié par la pandémie de Covid-19, les divergences politiques locales et, surtout, la raréfaction de l’eau en raison du changement climatique sont autant de paramètres à intégrer dans la gestion au quotidien. « Vouloir concilier eau potable et agriculture par exemple, cela peut poser des problèmes de pollution liée aux produits phytosanitaires. Plus la situation hydrique va se tendre, plus les compromis seront difficiles à trouver », met en garde Martin Jouve, chargé de mission eaux et milieux aquatiques à FNE Rhône.

Alors le Symalim (Syndicat mixte pour l’aménagement et la gestion de l’île de Miribel Jonage) tente d’anticiper. Ildéfinit la stratégie du Grand Parc et réunit à la fois des élus de la métropole de Lyon, dominée par les écologistes d’EELV, et des élus de l’Ain, où la droite est bien implantée. Sur l’agriculture — une quinzaine d’agriculteurs se partagent 375 hectares sur le périmètre du Grand Parc — le syndicat met en avant ce chiffre : en 2021, deux exploitants ont converti une partie de leurs parcelles en agriculture biologique, « incités par la volonté du Symalim de développer une agriculture respectueuse et ce, notamment, pour préserver les nappes phréatiques du Grand Parc. »(1)

Autre exemple : dans le cadre d’un projet de restauration du Rhône, la remise en eau d’une lône — bras du fleuve en retrait — a été suspendue et remodelée pour éviter de polluer la nappe phréatique qui alimente le lac des Eaux Bleues. Car ce lac est aussi une réserve d’eau potable pour la métropole de Lyon, en cas de pollution du Rhône en amont du site qui impacterait le champ captant principal. « Chaque projet est passé au crible de toutes les vocations du territoire », résume Christophe Jarraud.

Un laboratoire de concertation

Cette gestion concertée ne va pas de soi. Dans une publication scientifique des années 2000(2), le géographe spécialiste du Rhône, Jean-Louis Michelot, notait l’apparition d’importants dysfonctionnements dans les années 80 : « Afin de simplifier à court terme la gestion de l’espace, s’est mis en place un aménagement cloisonné en concessions distinctes, insuffisamment pourvu de concertation et d’arbitrage ». Mais la situation s’est améliorée grâce à une meilleure concertation et « la mise en place d’un aménagement équilibré, assumant pleinement les différentes fonctions » du site. « Mettre tout ce monde autour de la table depuis vingt ans n’est pas simple, reprend Christophe Jarraud, mais cela permet aujourd’hui de faire de ce site un laboratoire de la concertation autour de l’eau. »

1 - Rapport d’activité 2021 du Symalim.
2 - In Hommes et Terres du Nord, 2000, pp. 117-124.

Un golf 9 trous

Le Grand Parc Miribel Jonage propose un parcours de golf neuf trous. Même au plus fort de la sécheresse 2022,entre 2 et 3 % du parcours ont continué d’être arrosés. Si Martin Jouve estime, d’un point de vue personnel, que l’arrêt total de l’arrosage est indispensable en période de restriction, les élus EELV de la métropole de Lyon s’étaient montrés plus compréhensifs. Par ailleurs, le golf met en avant ses expérimentations de semences adaptées aux sécheresses.


Plus d’infos :

Le site du Grand Parc Miribel Jonage : www.grand-parc.fr

La démarche Sauvons le Rhône : www.sauvonslerhone.com

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