[THÉMA] Comment le stress hydrique menace la production d’électricité française

Publié le lun 14/08/2023 - 10:00

Par Lucas Martin-Brodzicki

L’été 2022 l’a sèchement démontré : le changement climatique et ses effets sur la ressource en eau ont des conséquences sur le secteur énergétique. Dans ce contexte, la dépendance française au nucléaire pose question.

 

C’est depuis le lac artificiel de Serre-Ponçon qu’Emmanuel Macron a choisi de présenter son “Plan eau“ le 30 mars dernier. Si l’aménagement hydraulique achevé en 1959 illustre les liens historiques entre production d’électricité et accès à l’eau en France, un discours à proximité d’une centrale nucléaire aurait été plus évocateur encore. Les 56 réacteurs français ont été construits en bord de mer ou de fleuve : l’accès à une importante masse d’eau est indispensable à leur fonctionnement et leur refroidissement. Mais « il n’y a pas eu de réflexion, à l’époque de leur construction, sur les effets du changement climatique et son impact sur la ressource en eau », regrette Thibault Laconde, ingénieur et fondateur de l’entreprise Callendar, spécialisée dans l’évaluation des impacts du changement climatique. Pas de quoi poser un problème de sûreté, rassure le spécialiste : « en période de sécheresse et de fortes chaleurs, cela peut en revanche conduire à l’indisponibilité temporaire d’une grosse partie des réacteurs. »

Une situation problématique : la France s’appuie historiquement sur son parc nucléaire. Il fournissait encore plus de 70 % de son électricité avant 2020.

12 % de la consommation d’eau annuelle

Ce parc vieillissant est aujourd’hui pointé du doigt. D’abord pour sa consommation d’eau importante : le refroidissement des centrales représente 12 % de la consommation d’eau annuelle du pays(1), soit environ 0,5 milliard de mètres cubes par an. Il s’agit principalement des 30 réacteurs en circuit fermé, ou une partie de l’eau s’évapore des tours aéroréfrigérantes. Pour une partie des réacteurs en circuit ouvert, dont ceux de la vallée du Rhône, le problème est autre. Dans ce cas, toute l’eau prélevée en amont est rejetée en aval, mais à une température plus élevée de quelques degrés : de 3 à 5 °C en moyenne. Ces rejets sont encadrés, avec des normes propres à chaque site. Dans un rapport paru en mars 2023 sur l’adaptation au changement climatique du parc nucléaire(2), la Cour des comptes confirmait que « ces normes, associées à des épisodes de canicule et de sécheresse de plus en plus fréquentes, peuvent contraindre l’exploitation et réduire la disponibilité et la production du parc, notamment pour les sites thermosensibles en bord de fleuves. »

Au cœur de l’été 2022, en pleine canicule et combiné à d’autres sources de tensions, EDF a obtenu des dérogations sur les rejets thermiques des centrales de Blayais, Bugey, Golfech, Saint-Alban et Tricastin(3). D’ordinaire, la température maximale du fleuve en aval de ces centrales ne doit pas dépasser une moyenne journalière (comprise entre 26 et 29 °C pour le Rhône par exemple). Ces dérogations lèvent temporairement le principe d’une limite. Une situation qui risque de se répéter à l’avenir, source de conflits durables avec d’autres usages. « Cela pose des problèmes pour la biodiversité(4), pour les autres utilisateurs (industries, agriculture) qui récupèrent de l’eau encore plus chaude en aval de la centrale, pour la santé avec la prolifération de pathogènes et pour la production d’eau potable », liste Thibault Laconde.

Quand Emmanuel Macron mélange tout

Dans son discours, Emmanuel Macron a dit vouloir « adapter nos centrales nucléaires au changement climatique en engageant un vaste programme d’investissements pour faire des économies d’eau et permettre de fonctionner beaucoup plus en circuit fermé. » Cette dernière affirmation a provoqué la stupeur de nombreux spécialistes, dont Thibault Laconde : « aucune centrale au monde n’a subi ce type de modification au cours de son fonctionnement. » Et même si c’était techniquement possible, ce dont l’ingénieur doute fortement, les plus vieux réacteurs français ont passé la quarantaine, soit la durée de fonctionnement initialement envisagée par EDF. Yves Marignac, expert nucléaire au sein l’association négaWatt, estime de son côté que « si les réacteurs étaient jeunes, il faudrait peut-être se poser la question, mais là le jeu n’en vaut pas la chandelle. » Il ajoute : « Même à imaginer que ce soit faisable techniquement, il est plus raisonnable de se donner les moyens de diversifier notre production d’électricité, pour limiter notre dépendance aux réacteurs fonctionnant sur des cours d’eau, plutôt que de tenter de les rendre plus robustes aux sécheresses et aux canicules. » Afin d’avoir un système électrique plus résilient face au stress hydrique, l’association mise avant tout sur la sobriété et le développement des énergies renouvelables, plutôt que sur la construction de nouveaux réacteurs.


L’hydroélectricité à la peine

En 2022, EDF a annoncé un recul de 20 % de sa production hydroélectrique en raison de la sécheresse, son plus bas niveau depuis 1976, pour soutenir les cours d’eau. Le bilan 2023 devrait être également difficile, alors que les centrales hydroélectriques françaises étaient responsables en 2021 de 12 % de la production métropolitaine.


(1)www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr
(2) www.ccomptes.fr
(3) www.asn.fr
(4) www.sciencesetavenir.fr

Plus d’infos :

Le site de Callendar : http://callendar.climint.com/fr/

Le site de négaWatt : https://negawatt.org/

Le rapport de la Cour des comptes : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/ladaptation-au-changement-clima…

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